Rapport de M. Olivier Rousselle – « Les écoles de service public et la diversité »

La mission confiée par le Premier ministre à Olivier Rousselle, conseiller d’Etat, visait à accompagner les 75 écoles de service public (ESP), qui recrutent et forment des fonctionnaires, dans une démarche d’état des lieux et d’élaboration de programmes d’action en vue de favoriser la diversité en leur sein.
 
La diversité dans la fonction publique, une exigence et une nécessité
 
Pour les ESP, et plus généralement pour la fonction publique, conduire une politique en vue de favoriser la diversité constitue tant une exigence sociale, justifiée par la demande toujours plus forte d’exemplarité des acteurs publics, qu’un besoin interne à l’administration, qui a besoin de points de vue diversifiés pour accroître sa légitimité et trouver les meilleures solutions pour relever les défis qui lui sont posés.
 
Or cette exigence et ce besoin de diversité ne sauraient être satisfaits par le simple respect, au demeurant loin d’être systématiquement assuré, des garanties procédurales à valeur constitutionnelle qui figurent à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, selon lequel tous les citoyens sont « également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». En effet, la relative étroitesse des viviers dans lesquels recrute la fonction publique appelle, de la part de l’administration, une action déterminée.
 
L’administration n’est pas entièrement responsable du manque de diversité de son recrutement, mais ne peut en être dédouanée
 
Il est vrai, comme l’ont relevé un grand nombre d’interlocuteurs de la mission, que les administrations n’interviennent qu’en « bout de chaîne » dans un processus social et éducatif qui conduit à reproduire les inégalités. La fonction publique comporte davantage de cadres que le secteur privé en France, et recrute par conséquent une proportion importante de diplômés de l’enseignement supérieur, avec les biais sociaux que cela implique. Toutefois, un certain nombre d’études montrent que certaines catégories sociales, tels que les descendants d’immigrés, sont sous-représentés dans la fonction publique toutes choses égales par ailleurs. Bref, si la fonction publique hérite d’inégalités existant par ailleurs, elle les accentue parfois, et ne peut donc se dédouaner de sa responsabilité à cet égard.
 
A cet égard, force est de constater que, du côté des ESP et des administrations dont la mission a accompagné la réflexion depuis mars 2016, la prise de conscience est variable, entre des écoles fortement mobilisées, et d’autres qui ont manifesté un sentiment d’impuissance voire de scepticisme sur ces questions. Pour contrer ces réticences, une priorité pour les écoles et les administrations est de pouvoir objectiver la question de la diversité, notamment pour mettre en évidence d’éventuels biais discriminatoires dans leurs processus de recrutement et identifier les actions prioritaires à mener. La mission a proposé à ce titre que les recruteurs de la fonction publique puissent recueillir et traiter à des fins statistiques les données relatives au contexte des candidats et des admis aux concours.
 
Les actions en la matière doivent respecter quelques contraintes

La préconisation d’une plus grande mobilisation sur la question de la diversité dans la fonction publique nécessite en tout premier lieu d’avoir une vision réaliste des contraintes qui s’imposent à l’administration, à commencer par les contraintes juridiques. Le principe constitutionnel d’égale admissibilité aux emplois publics interdit, en effet, tout mécanisme de discrimination positive pour accéder à de tels emplois, de même que la mobilisation de tout critère qui ne correspond pas à l’examen des capacités, des vertus et des talents, sauf quelques exceptions (pour l’égalité entre les femmes et les hommes, l’accès à l’emploi des personnes handicapées etc.) qui sont strictement cantonnées.
 
Ces exigences rencontrent cependant des limites. Ainsi, le principe d’égale admissibilité ne s’applique que lors de l’accès aux emplois publics en tant que tel, et non dans le cadre éducatif, où une plus grande marge de manoeuvre existe : agir en amont des concours sur l’enseignement secondaire et supérieur est donc non seulement indispensable, mais également tout à fait possible. En outre, la mission n’a pu que constater que ce principe n’était pas toujours aussi respecté que sa force juridique le laisserait entendre, notamment dans le cadre de recrutements très peu formalisés, de gré à gré, qui représentent pourtant une proportion importante du flux de recrutements dans la fonction publique (contrats courts, recrutements de catégorie C sans concours etc.).
 
Mais des marges de manoeuvre non négligeables existent, tant au niveau des écoles que des administrations
 
Face à ces constats, il était demandé aux écoles d’élaborer des programmes d’action en vue de favoriser la diversité en leur sein. Cette logique par école se justifie par des situations différentes d’une école à l’autre, qui appellent des actions souvent variées : évolution des épreuves des concours pour les rendre plus accessibles à tous (limitation d’épreuves porteuses d’un contenu scolaire précis, adaptation des épreuves pour les personnes handicapées), sensibilisation très en amont du parcours éducatif à l’égard des métiers de la fonction publique, actions ciblées sur certaines zones géographiques ou environnements scolaires (pour le concours externe) ou professionnels (pour les concours interne et troisième concours), accompagnement de futurs candidats en structurant des parcours très en amont des concours etc. Des constantes et des besoins communs apparaissent toutefois, tels que la nécessité de mieux former les jurys de concours en les sensibilisant à leurs biais inconscients, lesquels peuvent conduire à des discriminations dans le cadre des processus de recrutement, comme l’a montré l’important travail réalisé par le rapport de Y. L’Horty sur Les discriminations dans l’accès à l’emploi public (rapport au Premier ministre, juin 2016).
 
Le déploiement de ces actions appelle également les administrations à agir sur plusieurs questions relatives au recrutement et au déroulement de carrière dans la fonction publique : formalisation d’une fonction de « recruteur » parmi les ressources humaines de l’administration ; accent mis sur le recrutement et la formation d’agents publics et non pas sur la prise du premier poste ; démarche volontaire d’ouverture à tous de la fonction publique via une charte du recrutement dans la fonction publique pour lutter contre le ciblage de chaque concours sur un vivier propre ; renforcement numérique du concours interne et du troisième concours, qui sont source de diversité sociale dans la fonction publique ; réflexion renouvelée, et appuyée par des exemples étrangers, sur le type d’épreuves sur lesquels recruter les fonctionnaires ; mobilisation des outils de connaissance du service public que sont les stages et l’apprentissage pour élargir les viviers.
Les actions possibles sont nombreuses : reste pour chaque administration à se saisir de l’opportunité que représente l’attention à la diversité pour accroître l’efficacité de son action et améliorer l’exemplarité du service public.
 

Liste des recommandations du rapport

 
Recommandation n° 1 : écoles, administrations recruteuses : Gagner en « accessibilité » des concours en explicitant plus clairement quelles sont les compétences recherchées.
 
Recommandation n° 2 : écoles : En vue d’accroître l’impact des classes préparatoires intégrées :
– favoriser l’égal accès aux CPI sur tout le territoire ;
– élaborer des parcours de CPI sur deux ans ;
– oeuvrer à la structuration de parcours, dans l’enseignement supérieur et secondaire, conduisant aux concours de la fonction publique.
 
Recommandation n° 3 : écoles : S’agissant du contenu de la formation :
– poursuivre les efforts entrepris en vue de personnaliser la formation ;
– adapter le rythme et le contenu de la formation afin de diminuer les risques d’inégalités de traitement entre élèves en fonction de critères objectifs (âge, situation familiale, handicap etc.) ;
– développer de façon commune des modules relatifs aux valeurs du service public.
 
Recommandation n° 4 : administrations de tutelle : Clarifier les objectifs du recrutement et de la formation dans les écoles en réaffirmant l’importance d’une formation à la carrière dans la fonction publique.
 
Recommandation n° 5 : DGAFP, RESP ou écoles : S’agissant des jurys et de l’organisation des concours :
– Poursuivre le travail de diversification de la composition des jurys.
– Élaborer un module commun en ligne de sensibilisation aux biais implicites dans le recrutement, ou, à défaut, définir des standards minimaux en matière de formation des membres de jury.
– Créer le cadre pour un vivier de membres de jurys dans les administrations et suivre sa mise en oeuvre.
– Veiller à une organisation des concours limitant le risque de discriminations.
 
Recommandation n° 6 : Écoles, administrations de tutelle : S’agissant du suivi de la diversité :
– Recueillir et traiter des données relatives aux profils et au contexte des candidats admis1.
– Assortir les programmes d’action d’indicateurs de suivi, présentés annuellement en conseil d’administration ou dans les instances de gouvernance des écoles.
 
Recommandation n° 7 : Écoles ou administrations de tutelle : Ouvrir les instances de direction des écoles à des personnalités extérieures.
1 Cette recommandation a fait l’objet d’une proposition d’amendement au projet de loi sur l’égalité et la citoyenneté (proposition en annexe).
 
Recommandation n° 8 : RESP, écoles : Afin d’élargir les viviers de la fonction publique :
– Instaurer des partenariats avec des associations nationales pour l’égalité des chances pour inscrire les actions de promotion des métiers de la fonction publique et d’engagement citoyen des élèves dans la durée.
– Développer le tutorat comme une modalité prioritaire d’information sur la fonction publique, de structuration de parcours vers la fonction publique et de lutte contre l’autocensure des étudiants.
 
Recommandation n° 9 : Gouvernement : Adopter, sur le modèle britannique, une charte du recrutement dans la fonction publique comportant :
– un rappel des règles existantes en matière d’égale admissibilité aux emplois publics ;
– des procédures minimales à respecter (assurer une publicité minimale au poste, recevoir au moins deux candidats pour un poste, constituer un panel d’au moins deux recruteurs) ;
– une communication officielle soulignant que toutes les candidatures sont les bienvenues, sans distinction d’origine, de parcours, de sexe etc., et qu’elles seront toutes traitées dans le respect des principes rappelés.
 
Recommandation n° 10 : DGAFP, RESP ou écoles (s’agissant de la communication spécifique aux écoles) : Rénover en profondeur la communication sur les missions du service public et les métiers qui s’y rattachent, ainsi que sur les recrutements afin de les rendre plus lisibles et plus attractifs.
 
Recommandation n° 11 : DGAFP, administrations : Concevoir un cadre permettant d’utiliser le recrutement de stagiaires et d’apprentis comme un outil d’élargissement des viviers de la fonction publique, et suivre leur corrélation avec la présentation des anciens stagiaires et apprentis aux concours.
 
Recommandation n° 12 : DGAFP, administrations : S’agissant des voies d’accès :
– Assouplir les conditions, notamment de durée, en vue de postuler au 3ème concours
– Étendre le recours au 3ème concours aux corps qui n’en proposent pas, et augmenter le nombre de postes proposés dans ce concours et au concours interne.
 
Recommandation n° 13 : DGAFP et administrations : Expérimenter dans quelques concours (et avec une évaluation scientifique) des épreuves évaluant plutôt les capacités des candidats, et des épreuves plus courtes mais permettant d’évaluer plusieurs fois la même compétence.
16.02.2017 Rapport de M. Olivier Rousselle – "Les écoles de service public et la diversité"

Author: Redaction