Discours à l’occasion de l’inauguration de l’Institut National des Hautes Etudes de la Sécurité et de la Justice (INHESJ)

Discours du Premier Ministre à l’occasion de l’inauguration de l’Institut National des Hautes Etudes de la Sécurité et de la Justice (INHESJ)
Paris 7ème, mardi 21 mars 2017

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le ministre, Cher Pierre JOXE,
Mesdames et Messieurs les préfets et directeurs,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil d’administration,
Mesdames et Messieurs les auditrices et auditeurs de la 28ème session nationale et des deux sessions spécialisées de l’Institut national des Hautes études de la sécurité et de la justice,
Mesdames et Messieurs,

Cet Institut, vous le savez mieux que quiconque, a pour vocation de permettre aux cadres supérieurs de notre pays, aux fonctionnaires, officiers, représentants du secteur privé, avocats, journalistes, qui travaillent dans le domaine de la sécurité et de la justice, ou qui s’intéressent à ces questions, de parfaire leur formation et d’échanger à haut niveau autour des défis que nous devons relever pour protéger nos concitoyens.

Cet Institut a été créé, il y a de cela quelques décennies maintenant par l’un de mes prédécesseurs, lorsque j’étais ministre de l’Intérieur, Pierre JOXE, je veux le saluer, il a été un très grand ministre de l’Intérieur. Il a voulu faire en sorte que dans ce ministère, les universitaires et la recherche aient une place pleine et entière, car le ministère de l’Intérieur n’est pas simplement le ministère de la Sécurité, dans sa dimension opérationnelle, il est aussi le ministère au sein duquel la réflexion sur les sujets les plus stratégiques doit se nouer. Nous avions besoin pour cela d’instituts, comme celui où je me trouve aujourd’hui, et d’une ambition en matière de formations des forces de sécurité intérieure et de relations approfondies avec le monde de la recherche, notamment le monde universitaire.

Je sais que votre projet, Madame la directrice, consiste à renforcer la dimension opérationnelle des travaux de cet Institut. Je crois, comme vous, que l’INHESJ doit aider à construire des compromis utiles entre les acteurs politiques, syndicaux ou scientifiques, qui contribuent à la définition de notre politique de sécurité intérieure. Il peut d’ailleurs aussi assurer le passage du temps long, celui de la recherche fondamentale, au temps court, celui de l’exigence politique et opérationnelle, pour garantir la solidité, l’efficacité de l’action publique, alors que notre pays doit faire face à une menace redoutable, qui n’a jamais été aussi élevée qu’au cours de ces derniers mois, je veux parler de la menace terroriste djihadiste, dans un contexte, de surcroît, d’incertitudes géopolitiques accrues.

Pour faire face à cette situation inédite, je sais que nous pouvons compter sur le dévouement et le professionnalisme des forces de sécurité, auxquelles nous avons apporté, depuis cinq ans, les moyens d’accomplir leurs missions. Je sais que nous pouvons compter aussi sur le travail inlassable des magistrats, auxquels je veux dire ma grande estime. Ils sont les gardiens de nos libertés individuelles, et ils doivent pouvoir continuer à exercer leur lourde responsabilité, avec la sérénité et l’indépendance nécessaires.

Et j’ai eu l’occasion de dire, il y a de cela quelques jours, à l’Ecole nationale supérieure de la magistrature de Bordeaux, devant des élèves qui s’apprêtent à exercer leur profession de magistrat, à quel point j’étais attaché à cette école, que certains, dans leur programme présidentiel, se proposent de supprimer, et à quel point j’étais attaché à l’indépendance de la magistrature.

A la veille d’échéances importantes pour notre vie démocratique, il est, je crois, légitime que chacun s’interroge sur les progrès que notre pays peut encore accomplir pour adapter ses moyens de défense face à une menace évolutive. Pourtant, à lire certains programmes, à écouter certains candidats et candidates, je ne peux que me demander s’ils ont bien pris connaissance des réformes qui ont été accomplies depuis cinq ans, et qu’ils proposent d’ailleurs parfois d’adopter pour l’avenir alors qu’elles sont déjà à l’œuvre.

Mais aussi, je me demande s’ils ont une vision éclairée des réalités et des dangers réels auxquels notre pays doit faire face. Et c’est sur ces réalités, sur ces enjeux, sur ces réformes que nous avons engagées, que je voudrais essayer de vous tenir un discours simple et que je sais de vérité, et j’espère que vous le recevrez comme tel.

Jamais au cours de notre histoire récente, notre pays a dû faire face à des menaces aussi sérieuses, et aussi complexes que celles auxquelles nous sommes confrontés. Jamais. L’irruption brutale et persistante du terrorisme djihadiste en France a marqué, pour notre pays, incontestablement, une rupture. Nous sommes engagés dans une nouvelle forme de conflictualité, face au totalitarisme islamiste, dont le modus opérandi relève d’une barbarie absolument inédite sur notre sol.

Comme nos précédents ennemis, cependant, il a prétendu lever une armée, recrutant même certains de ceux qu’il appelle ses soldats, au sein de notre jeunesse. Il prétend bâtir et étendre un empire, quand il ne fait qu’asservir les esprits et détruire durablement des êtres. Cette menace n’a donc jamais été aussi élevée sur fond de bouleversements stratégiques, dans la bande sahélo-saharienne, au Maghreb et évidemment au Proche-Orient.

L’ennemi prospère sur le chaos qu’il provoque, d’ailleurs en grande partie, pour mieux s’en nourrir. C’est là le cœur de sa stratégie, semée par ailleurs dans les pays dans lesquels il essaie de faire régner l’effroi, la division, l’antagonisation, pour faire en sorte que dans ces sociétés affaiblies par les fractures, il puisse se frayer plus facilement un chemin. C’est la raison pour laquelle, face au terrorisme, nous ne pouvons pas avoir d’autre choix, si l’on est profondément épris de la République, de ses principes et de ses valeurs, que celui de l’unité et de l’indivisibilité de la République face aux épreuves. C’est là aussi la stratégie du gouvernement que je dirige, qui est une stratégie dictée par une ardente nécessité.

Mesdames et Messieurs, vous le savez mieux que quiconque, notre pays est une cible parce que nous sommes la France, avec son histoire, sa culture, ses valeurs. Nous sommes le pays de la laïcité et de la loi de 1905. Nous sommes le pays qui, depuis plus de deux siècles, envoie au monde un message de liberté et d’émancipation. Nous sommes un pays dont les armées se sont portées au secours de pays amis, menacés par l’expansion du djihadisme. Nous sommes un pays membre permanent du Conseil de sécurité et qui prend toutes ses responsabilités pour frapper aux côtés de ses alliés ceux qui violent les lois de la communauté internationale.

Après les crimes commis en 2012 par Mohammed MERAH, dont nous venons de commémorer le douloureux anniversaire, les attentats abjects perpétrés en 2015 et 2016 ont montré à nouveau comment des individus, parfois isolés, parfois même inconnus de nos services, pilotés ou inspirés par ces groupes djihadistes, par leur propagande, pouvaient passer à l’acte sur notre territoire, de façon subite et absolument violente.

Face à cette menace redoutable, mais diffuse, nous devons, bien entendu, prendre toutes les précautions possibles, tout en ayant la lucidité d’admettre, parce que nous devons aussi cette vérité aux Français, que le risque zéro n’existe pas.

Dans ce contexte, tous les responsables politiques – et je le dis, là, aussi, avec gravité et sincérité – tous les responsables politiques doivent faire preuve d’un sens élevé de l’intérêt général, en rejetant les vaines polémiques, en faisant bloc autour des femmes et des hommes qui assurent notre sécurité, en sachant, à chaque instant, rassembler les Français. Et lorsque je vois par exemple samedi à Orly, la rapidité avec laquelle les militaires et les forces de sécurité intérieure interviennent alors qu’un individu violent s’apprête à commettre des crimes, et qu’ils le font avec une efficacité dont nous devrions tous être fiers, car il s’est écoulé, peu de temps entre le moment où cet individu a agi et le moment où il a été neutralisé. Quelques heures après cet événement, une candidate à l’élection présidentielle a tenu des propos qui abaissent, qui abîment la République et qui blessent celles et ceux qui sont en première ligne dans la lutte contre le terrorisme et qui s’exposent en donnant le meilleur d’eux-mêmes, sous l’autorité de préfets, de directeurs, de ministres, qui sont, eux-mêmes, totalement mobilisés et engagés, je me dis qu’il y a loin entre l’exigence du moment, qui devrait être faite de dignité, et l’abaissement de la parole publique, à laquelle certains cèdent pour des raisons purement électorales.

Je veux vous dire ici que le gouvernement, que je dirige, jusqu’au terme de son mandat, se conformera rigoureusement à cette obligation de dignité dans l’épreuve, il demeure mobilisé à chaque instant. Il se tient dans une posture de vigilance extrême pour éviter qu’un nouveau drame ne vienne frapper notre pays, et grâce à quoi, je veux aussi le dire ici, devant vous, cinq attentats ont encore été déjoués depuis le début de cette année. Il y en avait eu 17 au cours de l’année 2016, et pas moins de 36 individus suspectés de terrorisme ont été interpellés depuis début de l’année et placés hors d’état de nuire.

Je veux donc assurer ici, avec force et détermination, chacune et chacun d’entre vous, de la volonté qui est la nôtre de mener ce combat quotidien contre la menace terroriste, et je veux aussi réaffirmer, ce que j’ai eu l’occasion de dire à l’occasion de mon discours de politique générale, cet objectif est ma principale priorité. La vérité m’oblige à dire cependant que nous aurons à faire face encore longtemps au défi du terrorisme djihadiste, pendant de longues années. Nous devons continuer à nous donner les moyens indispensables pour identifier, entraver, neutraliser la menace, que ce soit sur notre sol ou sur les théâtres extérieurs.

Nous avons engagé nos armées dans les opérations Serval, Barkhane au Mali, dès 2013, nous sommes toujours impliqués dans le processus de stabilisation du nord de ce pays, nous devons poursuivre nos efforts en Afrique sahélo-saharienne, en apportant notre appui aux appareils de sécurité locaux avec nos partenaires africains et européens ; c’est là un enjeu essentiel pour la sécurité du Maghreb et du continent africain, mais aussi pour la sécurité de l’Europe et de notre pays. Au Levant, Daesh recule partout, les forces alliées gagnent du terrain chaque jour, les forces irakiennes progressent dans la reconquête de Mossoul, et nous avons engagé des moyens significatifs pour les y aider. Mais nous savons aussi que le combat contre Daesh ne prendra pas fin, ce serait une illusion que de le croire, avec la prise de Mossoul, ni même avec celle de Raqqa.

Sur notre territoire, près de 9.000 postes de policiers et de gendarmes ont été créés en cinq ans, ce chiffre a été confirmé par les inspections générale de l’administration et des finances, que j’avais saisies après que des polémiques s’étaient faites jour, qui avaient pu susciter des doutes ; polémiques d’ailleurs engendrées par ceux qui avaient contribué à supprimer 12.000 emplois entre 2007 et 2012 dans les forces de sécurité intérieure.

Je lis avec intérêt, je l’ai encore entendu hier soir, que certains candidats à l’élection présidentielle, de sensibilités différentes, voudraient réinstaurer la police de proximité, supprimée en 2002, j’observe que ce projet est celui qui a inspiré la mise en place des zones de sécurité prioritaires qui consistait à remettre la police dans les quartiers où des actes de délinquance étaient commis, qui pouvaient porter atteinte à la sécurité de ces quartiers et mettre en cause la tranquillité de ceux qui y vivaient. Zones de sécurité prioritaires décidées et mises en œuvre par Manuel VALLS lorsqu’il était ministre de l’Intérieur. J’observe aussi que pour créer des postes de policiers dans les quartiers, au plus près des habitants, c’est là l’objectif de la police de proximité, il faut des effectifs, si nous ne reconstituons pas des effectifs, et notamment les effectifs qui ont été supprimés, alors, nous n’avons aucune chance de pouvoir créer les conditions d’une présence policière dans les quartiers au plus près des habitants, là où se nouent les violences, et là où se commettent les actes de délinquance.

Il faut aussi, si on veut une police de proximité et des forces de l’ordre qui jouent leur rôle dans la République, qu’elles soient formées avec un très haut niveau d’exigence dans la formation des policiers et des gendarmes. Bien entendu, il y a une formation initiale de qualité dans les écoles de la police et de la gendarmerie dans notre pays, mais il y a une nécessité de formation continue, il y a une nécessité aussi, pour les policiers et les gendarmes, d’être constamment en prise avec les évolutions de la société et de pouvoir se former en permanence pour en comprendre toute la complexité ou toute la subtilité.

C’est la raison pour laquelle j’ai pris la décision de recréer non pas un service de la formation, mais une véritable direction d’administration centrale de la formation au ministère de l’Intérieur, de manière à ce que ce sujet soit pris en compte pleinement, et que nous puissions créer les relations d’un autre type entre la police et la population. Pour la justice, ce sont 500 postes de magistrats, 600 postes de greffiers et de fonctionnaires qui auront été créés afin de permettre à l’autorité judiciaire de fonctionner normalement.

Tous ces magistrats et fonctionnaires ne seront bien entendu pas affectés directement à la lutte contre le terrorisme, mais tous y contribueront. Car chacun comprend bien qu’une société apaisée et sûre est une société qui sécrète moins de rejets, moins de frustrations et qui laisse moins de prises aux recruteurs de la terreur. Ont également été mobilisés les 10.000 femmes et hommes de l’opération Sentinelle, je veux ici leur rendre un vibrant hommage, car ils sont les acteurs d’un dispositif efficace, comme l’a montré l’attentat empêché à Orly samedi dernier, c’est un dispositif aussi qui a une dimension symbolique importante, car nos concitoyens sont attachés à ce que leur armée contribue à leur protection, c’est pourquoi ils la plébiscitent.
Et il n’est pas convenable, là aussi, que certains propos politiques tentent de faire de cette opération un sujet de polémique, comme cela s’est produit il y a quelques jours. Je veux dire aux militaires, qui sont présents dans cette salle, que le travail qu’ils ont accompli aux côtés des policiers et des gendarmes, dans les épreuves auxquelles notre pays a été confronté, et le travail qu’ils accomplissent quotidiennement, est la fierté des Français. Je disais que les Français plébiscitent les militaires de l’opération Sentinelle, mais ils plébiscitent aussi les policiers et les gendarmes, dont ils savent le tribut qu’ils paient quotidiennement pour assurer leur protection.

Je n’aurai jamais un vocabulaire assez dense, assez riche, pour pouvoir trouver le mot qui me permet d’exprimer la gratitude dans laquelle je vous tiens toutes et tous, et comme je ne suis pas sûr d’avoir l’occasion de m’exprimer de nouveau devant une telle assemblée, avant la fin de la mission qui m’a été confiée par le président de la République, je veux vous redire, une fois de plus, l’immense reconnaissance qui est la mienne pour le travail que vous accomplissez chaque jour pour la République, pour la Nation, et pour les Français.

Au-delà des moyens mobilisés et du travail des femmes et des hommes qui donnent le meilleur d’eux-mêmes, l’adoption depuis cinq ans d’un ensemble de textes législatifs cohérents a apporté aux forces de sécurité intérieure, aux services de renseignement, à l’administration pénitentiaire, aux forces armées, les instruments juridiques requis pour combattre avec efficacité la menace terroriste et la délinquance.

Ainsi, la dernière loi relative à la sécurité publique, adoptée par le Parlement dans un climat consensuel, a permis d’apporter une meilleure protection à tous ceux qui luttent au quotidien contre le terrorisme et la délinquance. Je relève que votre Institut, dans la droite ligne de la nouvelle ambition que vous portez, Madame la directrice, a contribué grandement à la construction de ce consensus, en bâtissant, à ma demande, un compromis sur le régime légal de l’usage des armes par les forces de sécurité intérieure avec tous les acteurs concernés, syndicaux, professionnels, politiques ou institutionnels.
Et je veux d’ailleurs profiter de ma présence ici pour vous remercier pour votre implication personnelle dans ce travail délicat, pour la concertation que vous avez conduite, et pour la subtilité et l’intelligence juridique avec laquelle vous avez réussi à faire entrer dans le droit ce que, un ensemble de textes juridiques, de niveau européen, constitutionnel ou législatif, avait déjà prévu en la matière. Il n’y a donc pas eu de dérive, nous ne la souhaitions pas, il y a eu une clarification. Et cette clarification, elle a d’autant plus de force qu’elle est le fruit d’un travail conduit avec l’ensemble des acteurs concernés.
Vous me permettrez, Mesdames et Messieurs, de dire un mot sur l’état d’urgence, qui est venu compléter et élargir les moyens d’action des forces de sécurité, notamment à travers les perquisitions administratives, qui permettent à nos services de vérifier le degré de menace, présenté par des individus potentiellement dangereux et de les empêcher de nuire, le cas échéant, il a amplement montré son efficacité, plus de 4.200 perquisitions ont pu être ainsi réalisées, conduisant à près de 500 interpellations, 400 gardes à vue, et à la saisie de près de 600 armes.

Ces mesures se sont pleinement inscrites, je veux le redire aussi parce que, j’ai vu les débats et parfois les polémiques, dans l’Etat de droit. D’ailleurs, l’état d’urgence n’est pas une négation arbitraire de l’Etat de droit, il n’est pas une exception, faisant l’objet d’un caprice, il est un élément de l’Etat de droit prévu par l’Etat de droit, pour faire en sorte que dans des circonstances particulières, en cas de péril imminent, la République puisse assurer la protection de ses citoyens.

L’état d’urgence ne s’est pas substitué au droit commun, il l’a complété dans une période qui était une période de menaces particulières. J’ajoute que nous avons voulu que l’état d’urgence – et c’est bien normal – n’ait pas vocation à être permanent, il est un levier de notre Etat, lié à la notion de péril imminent – et je le redis – ce péril continue d’être caractérisé.

Pourquoi alors avons-nous retenu la date du 15 juillet 2017 pour la décision de prolonger ou pas l’état d’urgence ? D’abord parce que la période de campagne électorale sera naturellement marquée par de nombreuses réunions publiques, qui peuvent constituer, dans un contexte de risque d’attentats accrus, un enjeu particulier et peuvent aussi conduire ceux qui veulent frapper notre pays au cœur de ses valeurs démocratiques à agir à ce moment-là.
Ensuite, parce qu’en plaçant la date d’échéance au-delà des élections, nous permettons au président de la République et au Parlement, qui seront issus des prochaines élections, d’avoir le temps nécessaire pour apprécier la situation avant de se prononcer sur une éventuelle prolongation. Sur tous ces sujets d’une grande complexité, j’appelle là aussi à la réflexion, à la pondération, à la sagesse pour trouver le bon point d’équilibre entre le respect intransigeant des libertés et les exigences de sécurité. Et je sais pouvoir compter sur les réflexions de votre Institut sur ces sujets.

Le gouvernement a aussi agi pour prévenir la radicalisation et pour traiter le cas des milliers de jeunes Français qui se sont déjà radicalisés. Il s’agit, là, d’un phénomène nouveau, très complexe, sur lequel nous manquons à l’évidence du recul historique ou de comparaisons avec des expériences étrangères abouties pour nous aider à prendre les décisions les plus efficaces. Nous devons donc poursuivre les expérimentations conduites sous l’égide du comité interministériel de prévention, de la délinquance et de la radicalisation.

Pour les personnes condamnées, nous devons faire confiance au service d’insertion et de probation de protection judiciaire de la jeunesse, car nous ne pouvons pas rester passifs face à de telles situations, et nous devons au contraire essayer des solutions nouvelles, les évaluer, et faire évoluer nos dispositifs en fonction des résultats obtenus dans la lutte contre la radicalisation. C’est pourquoi je tiendrai, dans quelques jours, un comité interministériel afin de préciser la politique à tenir à l’égard de nos ressortissants qui, après avoir rejoint l’Etat islamique, tentent aujourd’hui de revenir en France.

La question des enfants, souvent très jeunes, de ces Français enrôlés dans des filières irako-syriennes, est aussi préoccupante, et je signerai dès cette semaine une circulaire interministérielle définissant le cadre de leur prise en charge, lorsque leurs mères ont décidé de revenir en France. Face à une menace d’un type radicalement nouveau, il nous fallait aussi réformer, moderniser, donner un cadre juridique nouveau à nos services de renseignement.

Dans ce domaine, le gouvernement a fait adopter une réforme d’une portée historique, en apportant un fondement juridique, une reconnaissance, une légitimité à cette politique publique, dans le respect scrupuleux de nos principes de droit. Je veux saluer la part prise par Jean-Jacques URVOAS, dans l’élaboration des lois du 24 juillet, du 30 novembre 2015, des personnels de renseignement bénéficient, grâce à ces textes, de moyens juridiques désormais mieux adaptés à leurs missions.

Dans le même temps, des mécanismes de contrôle puissants, y compris juridictionnels, ont été mis en place pour mieux garantir le respect des libertés individuelles. Sur le plan de l’organisation, dès 2013, les services de sécurité intérieure ont été considérablement renforcés, par la création de la Direction générale de la sécurité intérieure et du service central du renseignement territorial.

J’en profite pour indiquer à ceux qui, dans la campagne, veulent recréer le renseignement territorial, que c’est fait, que ses effectifs ont été sensiblement abondés, j’y reviendrai dans un instant. Il s’agissait pour nous de rebâtir le renseignement territorial dont l’actualité démontre chaque jour l’utilité, après la suppression des renseignements généraux, décidée au cours du précédent quinquennat. Par ailleurs, des moyens humains et budgétaires des services de la communauté du renseignement ont été, eux aussi, considérablement augmentés. Et leurs effectifs ont crû de 3.400 postes depuis cinq ans, je le dis là aussi pour ceux qui semblent l’ignorer.

L’administration pénitentiaire s’est aussi dotée, à l’initiative du Garde des Sceaux, d’un véritable service de renseignement, qui peut désormais recourir à des techniques de renseignement prévues par la loi sur le renseignement du mois de juillet 2015. Enfin, pour répondre aux besoins de coordination des services, nous avons créé l’état-major opérationnel de prévention du terrorisme, directement rattaché au ministre de l’Intérieur, qui, aux côtés de l’UCLAT, organise le suivi des individus présentant un risque sur le territoire national, parallèlement, et à un niveau très opérationnel, les services de renseignement intérieur et extérieur disposent désormais de cellules de coordination permettant un partage permanent de l’information et de l’analyse.
Au regard des importantes réformes, dont le renseignement a fait l’objet depuis cinq ans, des moyens supplémentaires dont il a été doté, de cet effort de réorganisation. J’avoue que certaines propositions avancées sur ce sujet me laissent parfois incrédule. Bien sûr, il est toujours utile – le savez mieux que quiconque – de savoir adapter un dispositif face à une situation nouvelle, comme nous l’avons fait d’ailleurs nous-mêmes depuis cinq ans, et ce que je viens d’indiquer des réformes engagées en témoigne s’il en était besoin.

Il n’est pas exclu non plus que de nouveaux aménagements soient souhaitables à l’avenir, mais il nous faut absolument éviter, dans un domaine aussi essentiel pour la sécurité du pays, de détruire par une espèce de frénésie de réformes d’organisations et de structures, ce qui fonctionne bien, de désorganiser des services qui doivent être entièrement concentrés sur la lutte antiterroriste et de se priver des compétences et des expertises difficilement acquises.

On peut également se demander pourquoi nous devrions rattacher l’administration pénitentiaire au ministère de l’Intérieur plutôt qu’au ministère de la Justice, si la Justice exerce cette responsabilité depuis 1911, c’est parce qu’on a compris depuis plus d’un siècle que la prison doit aussi préparer la réinsertion des condamnés, et pas seulement les mettre à l’écart de la société pendant la durée de leur peine. Revenir aujourd’hui sur cette conception peut à mes yeux difficilement passer pour un progrès.

Dans un même ordre d’idée, quels bienfaits devrions-nous attendre de la suppression de l’École nationale de la magistrature, alors que la qualité de la formation qui y est dispensée fait l’unanimité, et nous est enviée de l’étranger. S’agit-il de la volonté de mettre un terme à l’indépendance dans laquelle exercent désormais les magistrats de ce pays ? Peut-on penser que le fonctionnement de notre Parquet antiterroriste en serait amélioré ? Je ne le crois pas. Et je veux d’ailleurs profiter de l’évocation du Parquet antiterroriste pour rendre un hommage sincère et vibrant à François MOLINS, qui est une figure pour les Français de la lutte antiterroriste, et ce n’est pas pour rien. Cela résulte de l’efficacité avec laquelle il conduit les enquêtes, du niveau de précision exigeante avec laquelle il s’exprime et du souci de précision, plutôt que la volonté de susciter des émotions, qui a toujours présidé à ses déclarations devant les Français.

Et cette éthique, qui est la vôtre, Monsieur le Procureur, force l’admiration de nos concitoyens et la mienne, vous le savez, j’ai eu l’occasion de vous le dire à plusieurs reprises, si vous n’aviez pas été là dans un certain nombre de circonstances tragiques, auxquelles le pays a été confronté, nous n’aurions pas pu faire face ensemble comme nous avons réussi à faire face à la barbarie. Comme vous le savez, on fait fausse route lorsqu’on prétend fonder de la sécurité des Français sur l’abaissement de la justice ou sur le renoncement aux principes de notre droit ; c’est au sein de notre propre société, dans le respect de nos valeurs que nous trouverons les ressources pour vaincre notre ennemi.

C’est pourquoi nous devons être vigilants à ne pas accentuer les fractures, les tensions qui affectent notre pays. L’unité, le rassemblement, la capacité des responsables de la nation à surmonter leurs divisions, lorsque l’essentiel est en jeu, comptent parmi nos moyens de défense les plus efficaces. De la même manière, je veux dire avec la plus grande netteté que cela ne sert à rien de convoquer tous les jours l’autorité de l’Etat et d’en appeler à l’autorité de l’Etat à chaque fois qu’un délinquant agit, comme si c’était par la volonté de l’Etat qu’il commettait ses méfaits.

Alors même que lorsqu’il les commet, l’action publique se déclenche et les forces de sécurité agissent, et qu’il s’agisse de tous les sujets, qui ont fait polémique, l’intervention sur l’autoroute A1, Moirans, où les manifestations, les forces de sécurité sont intervenues, et sous l’autorité des magistrats, l’action publique a été déclenchée, et les infractions pénales graves qui ont été commises ont été sanctionnés. Mais si l’on est attaché à l’autorité de l’Etat, on n’oublie pas de dire ce qui doit être dit sur les forces de sécurité lorsqu’elles interviennent avec bravoure.

Lorsqu’on est attaché à l’autorité de l’Etat, on ne laisse pas à penser que les magistrats, lorsqu’ils interviennent, interviennent à partir d’autres considérations que celles du respect du droit, voté par le souverain. Lorsqu’on est attaché à l’autorité de l’Etat, on ne remet pas en cause l’indépendance de la justice, bref, lorsqu’on est attaché à l’autorité de l’Etat, on est impeccable face aux institutions et aux règles qui les régissent, sans quoi, l’autorité de l’Etat est abaissée, et l’autorité de l’Etat, ça commence par cette exigence et par cette rigueur. Je voulais aussi le dire devant vous, à un moment où l’on peut être inquiet des conséquences de certaines formes d’abaissement dans la République.

Je voudrais enfin vous dire quelques mots au sujet de l’Europe, je sais que cet institut fait beaucoup pour analyser les expériences conduites à l’extérieur de nos frontières, et pour les faire connaître en France, et je salue d’ailleurs ici, aujourd’hui, les auditeurs étrangers qui sont parmi vous. La menace terroriste n’épargne aucun pays européen, les attentats en Belgique, au Danemark, en Allemagne l’ont montré. Et notre réponse doit donc, elle, être aussi européenne. De façon parfaitement légitime, les Européens attendent de l’Union qu’elle les protège de façon plus efficace, ce qui est fait pour la politique commerciale, la gestion des flux migratoires, par exemple, en matière de sécurité, de lutte contre le terrorisme.

C’est la raison pour laquelle, la France a plaidé, en étant en première ligne, sur ces enjeux de sécurité, de défense, de contrôle des frontières, et a fait en sorte que ces sujets soient parmi les priorités de l’agenda européen, pour l’amélioration notamment du fonctionnement de l’espace Schengen, d’importants progrès, comme le reconnaîtra tout observateur de bonne foi, ont été accomplis autour des dernières années, je veux les évoquer.
Nous avons obtenu la création d’une agence européenne de gardes-frontières et de garde-côtes, c’était une proposition française qui est désormais pleinement opérationnelle, elle compte 1.500 personnels dont 170 sont français et mis à disposition par notre pays. Elle peut intervenir rapidement pour prêter main forte sur le terrain à un Etat membre qui se trouverait dans l’incapacité de protéger nos frontières communes. Nous avons obtenu que le code frontière Schengen soit modifié, de manière à mettre en place un contrôle systématique des entrées et des sorties aux frontières extérieures de l’Union européenne, en permettant aux frontières de l’Union européenne le contrôle des ressortissants de l’Union, ce qui n’était pas possible avant la modification de l’Article 7-2 du code frontières Schengen.

J’entendais hier soir à la télévision qu’il était temps de rétablir le contrôle aux frontières, mais enfin, tous les policiers et gendarmes, qui assurent le contrôle aux frontières depuis le 13 novembre 2015, savent parfaitement que depuis près de 18 mois, il a été rétabli, ils savent parfaitement qu’aux frontières, plusieurs millions de personnes ont été contrôlées, et ils savent parfaitement que, aux frontières, près de 80.000 personnes ont été renvoyés dans les pays de provenance après que ce contrôle aux frontières a été effectué.

Donc le contrôle aux frontières, dans notre pays, il a été rétabli, nous avons obtenu de l’Union européenne qu’elle en accepte la prorogation. Et quand j’entends dire qu’il faudrait modifier le code frontières Schengen, de manière à permettre à ces contrôles, je dis que, non seulement, nous les avons établis, non seulement, nous avons modifié le code frontières Schengen, j’évoquais l’article 7-2 du code Schengen, pour permettre le contrôle de nos propres ressortissants qui bénéficient de la libre circulation au moment du franchissement des frontières extérieures, mais je pourrais aller plus loin, lorsque nous avons demandé que l’ensemble des services de renseignement de l’Union européenne alimente le système d’information Schengen, de manière à ce qu’au moment de l’interrogation de ce fichier, lorsque les frontières extérieures sont franchies, nous puissions avoir des informations exhaustives sur l’identité de ceux qui franchissent ces frontières, et qui peuvent représenter un risque sécuritaire pour notre pays, nous avons fait progresser considérablement l’Union européenne sur le chemin de la sécurité.

Lorsque nous avons décidé – c’était une proposition française, je l’avais exprimée lorsque j’étais ministre de l’Intérieur et avais emporté autour de cette démarche mon homologue allemand, puis, le Conseil Justice, Affaires Intérieures – de créer les conditions de l’interconnexion des fichiers criminels, lorsque nous avons demandé à ce que soit engagée la réforme de la banque de données Eurodac, de manière à ce qu’elle puisse être utilisée à des fins de sécurité intérieure, lorsque nous avons fait en sorte que le PNR européen soit adopté, alors qu’il était sur le métier depuis 11 ans et que rien n’avait progressé.

Nous avons, sur ces sujets, contribué à faire évoluer la doctrine de l’Union européenne, de telle sorte à ce que l’Union européenne soit un espace qui protège. Et je crois à la nécessité de faire en sorte que l’Europe protège davantage, et que les décisions qui doivent être prises pour atteindre cet objectif le soient.

Mesdames et Messieurs, les auditeurs et auditrices, en participant à cette session, vous avez fait le choix de mettre votre expérience et votre intelligence au service d’une réflexion collective sur la justice et la sécurité nationale, je suis, pour ma part, absolument convaincu de la nécessité de nous réarmer intellectuellement, pour permettre à notre pays de faire face aux nouvelles menaces qui pèsent sur sa sécurité. C’est pourquoi j’avais veillé, lorsque j’étais ministre de l’Intérieur, et Bruno LE ROUX a poursuivi cela, à réintroduire le souci de la prospective dans la gestion de cette grande administration et à renforcer ses liens avec le monde de l’université et de la Recherche qui avaient été rompus.

En effet, les défis sont immenses, les changements sont brutaux. Ils nous obligent à remettre en cause nos habitudes de pensée, c’est pourquoi nous avons besoin, plus que jamais, de vos idées, de votre enthousiasme, de votre force de conviction, contrairement à ce que certains laissent croire, le débat démocratique, la réflexion partagée, la recherche universitaire, la confrontation des idées, la pensée tout simplement ne constituent pas des obstacles à l’action ou à son efficacité. Ils sont au contraire les conditions de notre réussite, car ils nous permettront de définir des réponses adaptées et légitimes face à des questions inédites et complexes.

Et c’est bien le rôle de l’INHESJ que d’être un lieu d’ouverture, de débats, un lieu où puissent échanger fructueusement des personnes qui n’ont pas la même expérience professionnelle, ni les mêmes préférences politiques, grâce à quoi, l’INHESJ pourra être une véritable force de proposition, une pensée en action, nous faisons face – je l’ai dit – à une mutation profonde des conditions de notre sécurité. Le choix que les Français feront dans le cadre des prochaines échéances électorales ne modifiera pas ces conditions, mais il aura des conséquences très profondes sur la nature des réponses que l’Etat sera amené à apporter.

Ma conviction personnelle, je vais vous la dire, est que l’essentiel réside dans cette perspective, dans la résolution que nous mettrons à la fois à combattre nos adversaires et à défendre nos valeurs, une fois encore, nous avons besoin, Mesdames et Messieurs, de tenir bon, c’est la grandeur de la France et de son peuple que de se rassembler pour faire face.

Vive l’INHESJ, vive la République et vive la France !
2017.03.21 Discours de Bernard Cazeneuve à l’occasion de l’inauguration de l’INHESJ

Author: Redaction