Relire « l’étrange défaite » (Marc Bloch)

Aveuglement, indécision, déconnexion, atermoiements, improvisation, impréparation, lenteur, tergiversations,  grandiloquence, pagaille, incurie, gesticulation, indiscipline, panique, pénuries, désorganisation, incompétence,  du plus haut sommet à la base… Ne sombrons pas dans le ridicule d’un rapprochement général entre la crise du coronavirus et la IIe guerre mondiale. Pourtant, la manière dont la France réagit à une tragédie, même cent fois moins sanglante, donne lieu à de saisissantes ressemblances… Mêmes réflexes, mêmes caractéristiques! Relisons l’Etrange défaite de Marc Bloch, qui n’a pas vieillit d’une ride!  Relisons-le pour comprendre ce qui se passe  en ce moment.

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Marc Bloch est né en 1886. Ancien élève de l’école normale supérieure, il est agrégé d’histoire, fondateur, avec Lucien Febvre, des Annales d’histoire économique et sociale. Ancien combattant de 1914-1918, mobilisé volontaire en 1940, bien que père de six enfants, il a été le témoin direct de la débâcle. Grand résistant, il a été arrêté par la Gestapo et fusillé le 16 juin 1944. Son manuscrit a été sauvé de justesse par des proches à qui il l’avait confié.

L’étrange défaite de Marc Bloch pointe la responsabilité directe des élites dirigeantes et militaires dans  débâcle de juin 1940 : « Quoi que l’on pense des causes profondes du désastre, la cause directe fut l’incapacité du commandement ». Pour lui, le désastre fut avant tout celui de l’intelligence: les politiques comme les militaires français n’ont pas su penser, anticiper, concevoir, les changements du monde: « En d’autres termes, le triomphe des Allemands fut, essentiellement, de nature intellectuelle et c’est peut-être là ce qu’il y a eu en lui de plus grave. » Le politique, le commandement et les stratèges de l’armée française en sont restés, sur le modèle de batailles front contre front, 1914-1918, alors que, dans un contexte profondément différent, l’ennemi misait sur les offensives éclairs, le mouvement. « Les Allemands ont fait une guerre d’aujourd’hui, sous le signe de la vitesse […] Nous n’avons pas su ou pas voulu comprendre le rythme, accordé aux vibrations accélérées, d’une ère nouvelle« . Selon Marc Bloch: « Ils croyaient à l’action et à l’imprévu. Nous avions donné notre foi à l’immobilité et au déjà fait. »

Pourtant, l’auteur ne limite pas les causes de la catastrophe aux carences de la pensée des dirigeants du pays et des stratèges de l’armée. Il met en cause le déclin intellectuel de la société française dont celui des élites est le reflet. « Les états-majors ont travaillé avec les instruments que le pays leur avait fournis […] Ils ont vécu dans une ambiance psychologique qu’ils n’avaient pas toute entière créée. » Marc Bloch  déplore l’état d’esprit général qui imprègne la France dans les années 1920 et 1930. A vrai dire, nul ne trouve grâce à ses yeux: la presse, les fonctionnaires, les chefs d’entreprise, les  industriels, les syndicats de salariés, les politiques de droite et de gauche – à équivalence -, le peuple lui-même,  sont à ses yeux, tous à leur niveau, responsables du désastre. Le pays – avant tout ses élites dirigeantes mais aussi sa population – a trop tardé à regarder la réalité en face, il s’est enfoncé dans le déni. Il s’est enseveli la tête dans le sable et quand il s’est réveillé, il était trop tard.

Le point le plus fascinant de cet ouvrage: au cœur du désastre se trouve le déclin intellectuel de la France et notamment l’affaiblissement de l’enseignement de l’histoire (déjà!). L’histoire donne la vision en perspective qui permet de disposer du recul nécessaire face aux événements en cours et par là même d’en lire mécanisme, de les interpréter et d’anticiper: « Le passé a beau ne pas commander le présent tout entier, sans lui, le présent demeure inintelligible. Pis encore peut-être: se privant délibérément, d’un champ de vision et de comparaison assez large, notre pédagogie historique ne réussit plus à donner, aux esprits qu’elle prétend former, le sens du différent ni celui du changement. » Bien au-delà de la seule étrange défaite de 1940, ce petit ouvrage est une sublime source de réflexion générale sur notre époque contemporaine. Il décrit un pays, en particulier ses élites dirigeantes, dépassé par les événements et l’évolution du monde qu’il n’a pas vu venir… Il est stupéfiant d’actualité.

Maxime TANDONNET

 

Lire la suite sur le blog perso de Maxime Tandonnet ...

Author: Redaction

Relire « l’étrange défaite » (Marc Bloch)

Aveuglement, indécision, déconnexion, atermoiements, improvisation, impréparation, lenteur, tergiversations,  grandiloquence, pagaille, incurie, gesticulation, indiscipline, panique, pénuries, désorganisation, incompétence,  du plus haut sommet à la base… Ne sombrons pas dans le ridicule d’un rapprochement général entre la crise du coronavirus et la IIe guerre mondiale. Pourtant, la manière dont la France réagit à une tragédie, même cent fois moins sanglante, donne lieu à de saisissantes ressemblances… Mêmes réflexes, mêmes caractéristiques! Relisons l’Etrange défaite de Marc Bloch, qui n’a pas vieillit d’une ride!  Relisons-le pour comprendre ce qui se passe  en ce moment.

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Marc Bloch est né en 1886. Ancien élève de l’école normale supérieure, il est agrégé d’histoire, fondateur, avec Lucien Febvre, des Annales d’histoire économique et sociale. Ancien combattant de 1914-1918, mobilisé volontaire en 1940, bien que père de six enfants, il a été le témoin direct de la débâcle. Grand résistant, il a été arrêté par la Gestapo et fusillé le 16 juin 1944. Son manuscrit a été sauvé de justesse par des proches à qui il l’avait confié.

L’étrange défaite de Marc Bloch pointe la responsabilité directe des élites dirigeantes et militaires dans  débâcle de juin 1940 : « Quoi que l’on pense des causes profondes du désastre, la cause directe fut l’incapacité du commandement ». Pour lui, le désastre fut avant tout celui de l’intelligence: les politiques comme les militaires français n’ont pas su penser, anticiper, concevoir, les changements du monde: « En d’autres termes, le triomphe des Allemands fut, essentiellement, de nature intellectuelle et c’est peut-être là ce qu’il y a eu en lui de plus grave. » Le politique, le commandement et les stratèges de l’armée française en sont restés, sur le modèle de batailles front contre front, 1914-1918, alors que, dans un contexte profondément différent, l’ennemi misait sur les offensives éclairs, le mouvement. « Les Allemands ont fait une guerre d’aujourd’hui, sous le signe de la vitesse […] Nous n’avons pas su ou pas voulu comprendre le rythme, accordé aux vibrations accélérées, d’une ère nouvelle« . Selon Marc Bloch: « Ils croyaient à l’action et à l’imprévu. Nous avions donné notre foi à l’immobilité et au déjà fait. »

Pourtant, l’auteur ne limite pas les causes de la catastrophe aux carences de la pensée des dirigeants du pays et des stratèges de l’armée. Il met en cause le déclin intellectuel de la société française dont celui des élites est le reflet. « Les états-majors ont travaillé avec les instruments que le pays leur avait fournis […] Ils ont vécu dans une ambiance psychologique qu’ils n’avaient pas toute entière créée. » Marc Bloch  déplore l’état d’esprit général qui imprègne la France dans les années 1920 et 1930. A vrai dire, nul ne trouve grâce à ses yeux: la presse, les fonctionnaires, les chefs d’entreprise, les  industriels, les syndicats de salariés, les politiques de droite et de gauche – à équivalence -, le peuple lui-même,  sont à ses yeux, tous à leur niveau, responsables du désastre. Le pays – avant tout ses élites dirigeantes mais aussi sa population – a trop tardé à regarder la réalité en face, il s’est enfoncé dans le déni. Il s’est enseveli la tête dans le sable et quand il s’est réveillé, il était trop tard.

Le point le plus fascinant de cet ouvrage: au cœur du désastre se trouve le déclin intellectuel de la France et notamment l’affaiblissement de l’enseignement de l’histoire (déjà!). L’histoire donne la vision en perspective qui permet de disposer du recul nécessaire face aux événements en cours et par là même d’en lire mécanisme, de les interpréter et d’anticiper: « Le passé a beau ne pas commander le présent tout entier, sans lui, le présent demeure inintelligible. Pis encore peut-être: se privant délibérément, d’un champ de vision et de comparaison assez large, notre pédagogie historique ne réussit plus à donner, aux esprits qu’elle prétend former, le sens du différent ni celui du changement. » Bien au-delà de la seule étrange défaite de 1940, ce petit ouvrage est une sublime source de réflexion générale sur notre époque contemporaine. Il décrit un pays, en particulier ses élites dirigeantes, dépassé par les événements et l’évolution du monde qu’il n’a pas vu venir… Il est stupéfiant d’actualité.

Maxime TANDONNET

 

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