Obligation d’afficher le portrait des présidents de la République dans les mairies: l’excès de personnalisation du pouvoir est contraire à la démocratie (pour Figaro Vox)

« Parce que la mairie est la maison de tous les Français, je portais ce soir un amendement visant à rendre obligatoire l’affichage du portrait officiel du Président de la République dans toutes les mairies ». Cette initiative (qui se superpose à celle visant à imposer le drapeau de l’Union européenne à la façade des mairies) n’est certes pas nouvelle. Il serait trompeur de l’interpréter comme une simple marque d’obséquiosité d’un député de la majorité présidentielle envers l’actuel chef de l’Etat.

En effet, plus de deux ans auparavant, le 9 février 2021 un groupe de parlementaires de l’opposition de droite déposait une proposition de loi formulée dans les mêmes termes : « L’affichage du portrait officiel du Président de la République est obligatoire dans toutes les mairies ».

Les auteurs de ce texte justifiaient leur démarche par le caractère démocratique et républicain de la nation française : « Afficher le portrait du Président de la République dans les maisons communes que sont les mairies de France n’est pas un geste politique, mais bien une marque civique d’appartenance à un pays démocratique et républicain, que l’ensemble des élus locaux et les citoyens doivent connaître et respecter. »

En vérité, l’exposition du portrait du chef de l’Etat en mairie n’a jamais eu de caractère obligatoire depuis la proclamation de la République le 4 septembre 1870 (à une exception près). Le ministre de l’Intérieur l’a rappelé le 17 janvier 2012 dans le cadre d’une réponse à une question parlementaire : « L’apposition dans les mairies de la photographie officielle du Président de la République et la présence du buste de la Marianne ne relèvent ni d’un texte législatif ou réglementaire ni d’une règle coutumière reconnue par la jurisprudence. Il est d’un usage courant et conforme à la tradition républicaine. » Cette réponse invoquait en particulier « le respect des libertés locales ».

Ainsi, il semble abusif de parler de démarche républicaine ou démocratique à propos de la création d’une obligation légale de ce type. D’ailleurs, le seul régime ayant rendu obligatoire l’affichage d’un portrait dans les mairies n’était ni républicain ni démocratique. Une instruction du ministre de l’Intérieur du gouvernement de Vichy, Marcel Peyrouton, le 9 octobre 1940, demandait que le portrait du chef de l’Etat français soit affiché sur les murs « des établissements publics, notamment des préfectures et des mairies, des établissements d’instruction, des bureaux de poste ». (Source : Servir l’Etat français de Marc-Olivier Baruch, Fayard 1997, p 98). Cette obligation a été abrogée à la Libération.

Bien entendu, le sujet peut paraître anecdotique : en quoi le fait de rendre obligatoire un usage républicain largement respecté serait-il gênant ? L’ordre du questionnement peut tout aussi bien être inversé : pourquoi, en l’absence de tout problème identifié, en finir avec une tradition – le volontariat et non la contrainte – relatif à l’affichage du portrait présidentiel en mairie ? Pourquoi cette initiative intervient-elle aujourd’hui, alors que depuis plus de 150 ans, l’absence de loi ou de règlement sur cette question n’a jamais soulevé de difficulté. Même le général de Gaulle, dont la Constitution du 4 octobre 1958 visait à renforcer le prestige et le pouvoir du président de la République, n’a pas voulu rendre l’exposition de son portrait en mairie juridiquement contraignante.

De fait, cette double initiative (en 2021 et 2023) a une signification profonde, reflétant l’un des traits de l’esprit du temps. Elle manifeste le franchissement d’un cran supplémentaire dans la personnalisation du pouvoir. La démocratie moderne suppose un équilibre entre « l’incarnation » et la chose publique ou l’intérêt général. Certes le pouvoir politique doit s’incarner dans une personnalité, mais sur la base d’un mandat temporaire, conditionnel, sous réserve de procédure de sanction d’une responsabilité, et seulement au service de la Nation et du bien collectif. Ce principe de vigilance face à la personnalisation du pouvoir, qui caractérise la démocratie française depuis 1870, est sous-jacent à l’absence de caractère obligatoire à l’affichage du portrait présidentiel en mairie.

Les velléités de rendre cet affichage obligatoire traduisent la tentation du chef providentiel, sauveur par-delà les institutions. Elles reflètent un profond malaise du monde politique en général. La France cumule les échecs et les malheurs depuis plusieurs décennies. Elle a été traumatisée par la vague d’attentats islamistes et les deux années d’épidémie de covid19 et de suspension des libertés démocratiques (confinements, couvre-feu, passe-sanitaire, etc.). Le bilan des politiques publiques est dramatique dans tous les domaines : violence, dette publique, prélèvements obligatoires, maîtrise des frontières, commerce extérieur, santé, énergie, logement, niveau scolaire, exemplarité politique, pouvoir d’achat (inflation), pauvreté… Face à l’impuissance, le culte de la personnalité qui se traduit aussi dans la saturation de l’espace médiatique, est un mode de compensation et l’allégeance au « chef » doit se substituer à l’esprit critique et au débat d’idées. Bref, ne vous inquiétez pas, le portrait veille sur vous.

MT

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Author: Redaction