D’abord, les arguments du pouvoir politique pour fustiger le vote du motion de rejet ne tiennent pas un instant. Rien n’est plus dérisoire que le fait de fulminer contre le vote commun de forces politiques qui n’envisagent pas de gouverner ensemble, (le RN, LR et les Verts) : de fait, plusieurs partis politiques, dont les députés, régulièrement élus ayant toute légitimité pour représenter la Nation, se sont entendus pour combattre un projet qu’elles désapprouvaient pour des raisons diverses, formant une alliance de circonstance. Un tel scénario est parfaitement compatible avec les traditions et les valeurs de la démocratie parlementaire. Quant à déplorer le « refus du débat », il est sidérant de la part d’un gouvernement qui ne cesse de tronquer les débats en abusant de l’article 49-3 (à 20 reprises) et d’autres outils constitutionnels de passage en force à l’image de la réforme des retraites, non débattue à l’Assemblée.
Ensuite, cet événement marque sans doute un tournant politique dans le quinquennat pour plusieurs raisons:
- En mettant fin au tabou d’un vote commun à des forces diverses qui (répétons-le) sont formées de députés régulièrement élus et donc tous dépositaires d’une part de la légitimité démocratique, l’adoption de cette motion de rejet souligne que désormais, le gouvernement, extrêmement fragilisé, n’est plus à l’abri d’une motion de censure.
- La motion de rejet, sur un sujet aussi fondamental, enterre l’idée d’une coalition commune de LR et des partis macronistes qui permettrait au pouvoir de reconstituer, par des combinaisons de couloir, une majorité absolue dont la Nation n’a pas voulu en juin 2022. C’est une victoire pour les partisans d’une droite fermement ancrée dans l’opposition et une lourde défaite pour le camp du ralliement à la majorité présidentielle.
- Cette motion de défiance est un désaveu du macronisme et de son emblématique « en même temps ». Le projet de loi ouvrait la voie d’une large régularisation « de plein droit » pour contenter la gauche tout en affichant quelques mesures destinées à la lutte contre l’immigration illégale pour rassurer la droite: le Parlement vient de balayer cette contradiction.
- Cette motion de défiance est révélatrice des tensions internes à l’exécutif. L’absence de la Première ministre à l’AN sur un vote de cette importance est significative. Elle montre ainsi la fragilité d’un gouvernement désormais probablement en sursis.
- Elle souligne l’impasse phénoménale de la politique française: un président isolé, un gouvernement de plus en plus réduit à l’impuissance et l’épuisement accéléré du macronisme.
- Elle affaiblit un mode de gouvernement d’inspiration césariste en opérant de fait un rééquilibrage du pouvoir en faveur du parlement dont on peut concevoir qu’il sera durable. Ce vote est aussi celui d’une réaction contre les humiliations et le mépris qui reflète, au-delà du parlement, une exaspération populaire. La représentation nationale a cette fois-ci remplit sa mission de représentation de la Nation.
- Cette situation sans précédent ne pourrait trouver d’issue que dans un réflexe d’homme d’Etat: le recours au peuple par la dissolution de l’AN ou un référendum engageant la poursuite du mandat présidentiel. Mais hélas, l’incapacité à décider, à choisir, à prendre un risque personnel est l’une des caractéristiques de l’époque. La préférence pour l’incruste à n’importe quel prix, notamment celui pourrissement sur les 3,5 ans qu’il reste du quinquennat, finira toujours par prévaloir sur l’intérêt du pays. Saut énorme surprise… MT