Lecture: Jean Sévillia, Cette Autriche qui a dit non à Hitler (1930-1945), Perrin, 2023

Dans son nouveau livre, Jean Sévillia fait la lumière sur un aspect mal connu en France des années 20 à 40, celui de la politique autrichienne face à la montée du national-socialisme en Allemagne.

Cet ouvrage absolument fascinant nous rappelle que l’Autriche fut le grand vaincu de la Première guerre mondiale, les traités de paix débouchant sur le démantèlement de l’empire des Habsbourg, dont il ne restait  que la partie germanophone – alors que l’Allemagne était pour l’essentiel préservée sur le plan territorial.

Dans les années 1920, l’Autriche est un pays dévasté par le chômage chronique, la pauvreté, la misère et le climat insurrectionnel alimenté par les marxistes-léninistes. Gouvernée par le parti social-chrétien conservateur confronté à un parti socialiste tenté par le bolchevisme, l’Autriche doit aussi faire face à un courant pan-germaniste qui, déjà, voit le salut dans la fusion avec l’Allemagne. Un courant nationaliste pro-allemand et antisémite était puissant avant même son avènement en Allemagne.

Adolf Hitler, autrichien de naissance haïssait l’Autriche catholique des Habsbourg et la ville de Vienne qui dans sa jeunesse, n’avait pas reconnu son génie artistique et dont il déplorait le caractère cosmopolite et la présence d’une forte communauté juive. Dès sa prise de pouvoir le 30 janvier 1933 à Berlin, l’une de ses premières ambitions est l’annexion de l’Autriche, son pays natal, pour y imposer le national-socialisme et son Etat raciste. Un puissant courant hitlérien manipulé depuis l’Allemagne en particulier par Joseph Goebbels est à l’œuvre en Autriche, représentant environ 15 à 20% des électeurs et qui multiplie les attentats sanglants et les émeutes dans un but de déstabilisation.

La résistance nationale autrichienne est incarnée par un homme en particulier : Engelbert Dollfuss. Né en 1892, à l’âge de 40 ans, il accède à la chancellerie d’Autriche et devient donc le chef de gouvernement de ce pays désigné par le président de la République Wilhem Miklas. Singulier personnage : issu d’un milieu populaire, fils naturel d’une paysanne, l’homme se caractérise par sa petite taille : 1, 51 m et la ferveur de sa foi catholique. Pourtant, il montre une volonté de fer dans la résistance aux pressions croissantes du voisin hitlérien, instaure un Etat autoritaire, réprime sans pitié la tentation bolchevique comme le chaos nazi. Sa fermeté dans la défense d’une Autriche indépendante permet de tenir en échec les nazis qui multiplient les actes insurrectionnels et pratiquent un terrorisme sanglant. Le 25 juillet 1934, Dollfus est assassiné par les partisans d’Hitler lors d’une tentative de putsch. Son successeur, Kurt Schuschnigg est sur la même ligne de résistance, mais il n’a pas du tout son charisme, son énergie ni son courage physique et intellectuel.

Jen Sévillia fait le récit détaillé heure par heure, des moments les plus sombres de l’histoire de l’Autriche. Le 11 février 1938, Schuschnigg est convoqué par Hitler au Berghof et reçoit une pluie d’insultes et de menaces. Leur échange est largement retranscrit dans le livre. Extrait : – Pour nous Autrichiens, notre histoire entière est une page importante et respectable de l’histoire allemande ; – Elle est égale à zéro ! » Le chef du gouvernement autrichien, souligne l’auteur, « trop bien éduqué, trop poli, trop réservé, assiste, sidéré, à cette logorrhée insultante ». Par la suite, face à la menace d’une attaque imminente, il doit céder sur toute la ligne : renoncement à un référendum sur l’indépendance autrichienne, nomination du pro-nazi Seyss-Inquart comme ministre de l’Intérieur. Mais ces concessions – auxquelles le chef de l’Etat Miklas était opposé – n’évitent pas l’invasion de l’Autriche les 10 et 15 mars, sans résistance de l’armée autrichienne.

L’arrivée de Hitler sur le sol autrichien est un moment particulièrement tragique du livre. Tout d’abord, les nazis sous l’apparence de l’euphorie populaire et d’une « fête de la libération » se livrent dès les premiers jours à une féroce répression de tous ceux qui leur ont résisté et le début de la persécutions des Juifs, se traduisant par des massacres et des déportations, des frontières qui se ferment devant les familles qui tentent de fuir (Hongrie) et doivent rebrousser chemin, s’exposant à l’anéantissement. Le retournement des élites autrichiennes donne le vertige. Même le cardinal Theodor Innitzer, archevêque de Vienne, qui appelait à voter « oui » au référendum sur l’indépendance rend une visite de courtoisie au Führer – avant, sous la pression du Vatican, de regretter son geste et de soutenir la résistance autrichienne.

Jean Sévilla raconte ensuite comment la résistance autrichienne a tenté de s’organiser, les milieux catholiques et socialistes surmontant leurs divergences pour combattre l’oppression nazie dans des conditions extrêmement difficiles et périlleuses dès lors que l’Autriche faisait intégralement partie du « IIIe Reich » et étroitement quadrillée par la Gestapo Il souligne le rôle d’un descendant des Habsbourg dans cette résistance.

Il rappelle aussi à quel point la conquête de l’Autriche et sa soumission ont été permises par la complicité de Mussolini (qui s’y opposait jusqu’à 1935, avant de s’aligner sur la volonté du Führer allemand), les démocraties britannique et française qui ont totalement baissé les bras et laissé faire presque sans broncher… Franchement, un très beau livre absolument passionnant qui ouvre des horizons nouveaux sur tout un pan de l’histoire des années sombres.

MT

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Author: Redaction

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