La question de l’autorité de l’Etat

Voici ma dernière interview pour Atlantico, avec M. Edouard Husson.

1- Ce mercredi 17 janvier, le premier ministre Edouard Philippe a annoncé « Je constate aujourd’hui que les conditions ne sont pas réunies pour mener à bien le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes », ceci faisant suite à un passif de près de 50 années sur ce dossier. Dans quelle mesure NDDL peut-il révéler une crise de la décision publique ? Que celle-ci soit la conséquence d’une perte du pouvoir politique au profit d’institutions supranationales, des marchés financiers etc…de la possibilité ouverte aux citoyens de contester judiciairement les décisions de l’Etat, ou de l’abandon de la décision par les politiques eux mêmes, quels a été l’ordre d’importance de tels facteurs dans cette crise de la décision politique ? 

Sur une affaire de ce genre, les organisations internationales ne me paraissent être les principaux responsables, ni l’ONU, ni l’Union européenne. D’ailleurs, on n’imagine difficilement un tel scénario dans une autre démocratie européenne, ni en Espagne, ni au Royaume-Uni, ni en Allemagne. En revanche, il est vrai que des possibilités de recours étendues ont été prévues par le code de l’environnement contre les projets d’équipement, ouvertes aux citoyens mais plus encore aux associations de défense de l’environnement. Avec les recours en première instance, puis les appels, ces procédures peuvent prendre des années. La phase administrative des grands projets, incluant les études d’impact, les consultations, les phases juridictionnelles, sont lourdes compte tenu des délais d’instruction et de jugement. Mais en l’occurence, c’est tout autre chose qui est en cause. C’est un état de la mentalité française qui explique le recul observé dans ce dossier. L’autorité de l’Etat est en perte de légitimité, sans que cela ne choque personne ou presque. Il suffit d’un groupe d’une centaine de personnes déterminées pour obliger la puissance publique à renoncer à une décision conforme à la légalité. Nous sommes face à une crise majeure de l’autorité de l’Etat et de la démocratie, qui ne date pas d’hier. En termes de grands équipements, barrages, routes, autoroutes, aéroports, centrales nucléaires, que pourrait-on faire aujourd’hui? Sans doute pas grand chose.

2- Concernant plus particulièrement la contestation des décisions de l’Etat des citoyens devant les tribunaux (179 décisions de justice au total dans le cas de NDDL), comment trouver une juste mesure entre l’autorité de ces décisions de l’Etat et les possibilités ouvertes aux citoyens ? Quel est ici le rôle du juge ? Dans quelle mesure les politiques ont également pu se réfugier derrière un blocage apparent pour éviter de se confronter aux décisions ? 

 Il me semble que c’est une affaire de responsabilité et de mesure. Il est normal que les citoyens bénéficient de garanties et de possibilités de recours devant les tribunaux administratifs pour éviter le risque de décision arbitraire. La juridiction administrative exerce un « contrôle normal » sur ce type de décision de l’administration. Elle s’assure que ses inconvénients sur l’environnement ne l’emportent pas sur les avantages attendus pour la collectivité. La procédure peut durer des années avec les recours possibles. Pourtant, il est inadmissible que les dossiers administratifs de grands projets puissent prendre des décennies ! Il faudrait pouvoir accélérer au maximum les procédures et, dans quelques cas d’abus flagrants à des fins dilatoires, responsabiliser les requérants, réformer le code de l’environnement pour s’assurer qu’un grand projet nécessaire à l’intérêt général puisse être bouclé sur le plan procédural en quelques années… Mais surtout, une fois que ces procédures exigeantes et rigoureuses ont été suivies et respectées, chacun doit jouer le jeu de l’Etat de droit et respecter la règle du jeu. Le droit sert à éviter la force. Si après avoir utilisé toutes les garanties offertes par le droit, des requérants s’opposent à un dossier par la force, on entre dans une situation de blocage généralisé et de négation de l’Etat de droit.

3- Quels sont les remèdes possibles à une telle crise de la décision politique ? Quelles en sont les conditions, aussi bien d’un point de vue juridique, que du point de vue des qualités du personnel politique ? 

Il me semble que la France traverse une crise extrêmement grave de l’esprit public. Tout provient d’une dérive sur le sens de la vie politique. En principe, dans une démocratie, elle est au service de l’intérêt général, du bien commun, d’une communauté politique.  Ce principe a été perdu de vue. Nous vivons aujourd’hui dans des sociétés d’ultra-narcissisme où l’individu passe avant toute autre considération, comme l’a si bien montré Gilles  Lipovestsky dans « l’ère du vide ». L’engagement politique, le mandat électoral, jusqu’au plus haut niveau, ou la fonction ministérielle, vécus comme la récompense d’un parcours, valent avant tout par les satisfactions personnelles qu’elles procurent, matérielles ou de vanité. Dès lors, la préservation le plus longtemps possible de cette situation, la réélection, deviennent le but ultime de tout dirigeant. Il faut donc à tout prix protéger son image, esquiver les risques, éviter les crises et les ruptures. L’image narcissique devient le but essentiel de la vie politique: d’où les reculades, la fuite permanente devant l’action et la décision et l’obsession de la communication. Gouverner n’est plus choisir, mais paraître et protéger cette image. L’intérêt individuel ou corporatiste écrase l’intérêt général. C’est tout le problème de la perte de sens du politique lié à l’affaiblissement de l’idée de Nation. Comment changer cet état d’esprit? Je ne connais pas de solution miracle mais il me semble que le système présidentialiste, l’illusion du pouvoir concentré sur un visage, est l’un des responsables du désastre, car il offre à la société politique un modèle de narcissisme à outrance incompatible avec l’action. Je pense qu’il faudrait en sortir et revenir à une vision plus collective de la politique, moins centrée sur les personnes et davantage sur l’intérêt général. Mais qui peut entendre un tel message en ce moment?

Maxime TANDONNET

 

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Author: Redaction