La prime Levy, quelles taxes dessus?

La prime de Maurice Levy  fait l’objet d’une vive polémique. La pratique des primes annuelles est courante, elle vient du monde anglo-saxon où la prime annuelle bénéficiait d’un régime fiscal de faveur (US, UK). Elle était de ce fait devenue l’instrument phare de la politique de rémunération dans certains secteurs (comme les banques et plus largement les entreprises du tertiaire). La « vraie » rémunération différée des dirigeants n’est utilisée que dans les grosses entreprises (là où elle est d’ailleurs réglementée)  Cette rémunération différée est versée lors de la fin du mandat du dirigeant (formation « politique de rémunération des cadres : rémunération immédiate vs rémunération différée » (ici)). En l’espèce, l’entreprise paraît indiquer qu’il ne s’agit pas d’une prime liée à la cessation d’activité mais d’une rémunération certaine dont la mise en paiement a été différée en raison d’un droit de rétention exercé par l’entreprise (mais l’entreprise précise également que la rémunération était soumise à une condition de durée de mandat cf. Challenge, voir également Marianne (ici). L’intéressé toucherait par ailleurs une retraite chapeau de quelques milliers d’euros depuis le début de l’année. Qu’en est-il de l’imposition de cette prime  versée en 2012?

  • Pour l’entreprise, la prime n’est déductible que lorsqu’elle correspond à la rémunération qui n’est pas excessive. Cette conception de la rémunération « excessive » est issue de la jurisprudence du Conseil d’Etat. Elle a été dessinée, il y a longtemps, à une époque où les rémunérations versées par les sociétés étaient beaucoup plus homogènes. Aujourd’hui, il est très délicat de déterminer ce qu’est une rémunération excessive (surtout lorsque celui qui juge a une ou deux expérience de pantoufle). 16 millions pour un grand patron: est-ce normal, est-ce anormal? En pratique, ce point ne pose pas véritablement de contentieux. Il est essentiellement débattu lorsqu’un chef d’entreprise (bien souvent petite ou moyenne) rémunère son épouse ou ses enfants. Les contentieux peuvent prendre une dimension « sexiste » qui n’est pas toujours confortable: on va se demander si le travail de l’épouse correspond à celui d’un salarié « normal »…De même, l’héritier n’est pas toujours très présent et très compétent.  Depuis peu, les rémunérations différées servies aux dirigeants des sociétés cotées (les retraites chapeau par exemple) ne sont déductibles que sous un certain plafond (environ 1M€ l’an dernier, 218 232 € pour 2012, article 39.5 du CGI ici). Cette limitation de la déductibilité s’entend de la rémunération différée afférente à l’exercice 2012, et non de celle des années antérieures, qui sont comptabilisées mais demeurées impayées jusqu’à ce que le salarié la demande. Donc, pour une prime de 16M€, essentiellement constituée avant 2010, on pourra admettre que l’essentiel de la prime versée est déductible des résultats de l’entreprise qui la verse. En outre, la prime est soumise aux cotisations sociales. Le système français étant particulièrement peu lisible, il est très délicat d’estimer le montant des charges patronales sur une telle prime. Certaines cotisations sont plafonnées, mais les différentes réformes de la sécurité sociale ont fait qu’elles sont pour l’essentiel déplafonnées. On pourra tabler sur des cotisations patronales de l’ordre de 5 ou 6 M€. C’est donc environ 21 ou 22 M€, le coût de la prime pour l’entreprise, précision étant faite que ce coût est comptabilisé au fur et à mesure que la prime est acquise.
  • Le salarié subit également des charges sociales sur le salaire qui lui est versé. Coté impôt prélevè à la source, la prime est soumise à la CSG (sur les revenus d’emploi): cette dernière est directement collectée par l’employeur sur le bulletin de salaire et versée à l’URSSAF. Ici, encore le système est assez complexe et  nécessite des informations spécifiques. C’est environ 20% du salaire brut soit 3,2 M€ qui passe dans le financement de la sécurité sociale. Quand à l’imposition sur le revenu, il faut souligner que les très gros salaires sont les premiers touchés par la politique d’austérité mise en place depuis 2010.  Avec environ 13 M€ de prime sur salaire net, en 2010, on aurait tablé sur 5,2 M€ d’impôts. En 2011, c’est plutôt 5,5M€ d’impôt sur le revenu plus 0,5M€ de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, donc 6M€ d’impôts qui sont attachés à cette rémunération. En 2012, nous connaissons bien des taux, mais les lois de finances avec leurs effets rétroactifs rendent les calculs d’impôt très incertains (cf. programme fiscal des candidats ici). 
  • Ajoutons que cette rémunération différée a peut-être été imposée à l’ISF pendant toute sa constitution : l’exonération d’ISF pour les rémunérations acquises via des régimes de retraite vise les pensions de retraite et peut-être pas spécifiquement la prime différée (les communicants de Publicis font état  d’une rétention de la prime).
En résumé, pour une prime de 16M€ brut, il en coûte environ 22 M€ à l’entreprise. Le salarié reçoit environ 7 M€ après impôt. La déperdition totale, soit environ 15 M€ sert à financer l’Etat et le système social. Elle serait moins importante si d’autres formes de rémunération avaient été choisies. Elles aurait été encore moins importante si le gain provenait d’une plus-value sur un investissement. Il n’y aurait eu aucune fiscalité si au lieu d’être un des « happy few » salariés bien payés, M Levy aurait été l’un des gagnants du loto. 
Restreindre le débat politique à la question de savoir qui va décider du bien fondé de la rémunération de M.Levy par rapport à celle d’autres travailleurs n’a en définitive guère d’autres intérêts que de mettre des chiffres derrière celui sur les prélèvements obligatoires….
Stanislas Lhéritier
Author: Redaction