La déliquescence de la politique française

« J’avais ourdi le complot» raconte l’avocat Robert Bourgi dans l’émission de BFM, intitulée, « qui a tué François Fillon? » Son témoignage nous remémore le fond des ténèbres atteints par la politique française il y a tout juste un an. Qu’est-ce que la politique ? En principe, le débat d’idées, le choix d’un projet en vue de bâtir un destin commun et de régler le mieux possible les défis du présent et de l’avenir. Ces révélations donnent un nouvel aperçu du pire de la vie publique, un cocktail de batailles d’ego, de rancœurs, de vengeances personnelles qui anéantit toute idée de bien commun et d’intérêt général. A-t-il un intérêt, autre qu’anecdotique?

Aujourd’hui, la mode est à l’optimisme. Le discours dominant dans les médias et la presse sublime la recomposition de la classe politique et son rajeunissement. Le nouveau monde aurait définitivement enterré l’ancien. Les évènements de l’hiver 2017 semblent être à des années lumières. La France a son plus jeune président de l’histoire. Un grand balayage a entraîné le renouvellement du visage des députés et des ministres. La croissance est de retour. « France is back », la France est de retour.

Et si tout cela n’était qu’illusion ? Et si les causes profondes du Fillongate de 2017, la pire catastrophe démocratique de l’histoire contemporaine, bien loin de se résorber, n’avaient jamais été aussi vivaces sous le couvercle du brouhaha quotidien ?

Le déclin de la culture et de l’intelligence politiques est au centre du grand malaise, touchant en premier lieu les élites dirigeantes et médiatiques. Toute la vie politico-médiatique se ramène désormais à des effets de personnalisation narcissique au détriment des convictions. La Nation est amenée à voter pour l’image d’un individu, les sensations qu’il inspire, une image parfaitement volatile, conditionnée par les soubresauts des émotions collectives, au fil de l’actualité et le matraquage médiatique. Dès lors s’efface la notion de choix de société sur les grands sujets du moment: l’école, l’industrie, la dette, l’immigration, le chômage, l’autorité de l’Etat, la sécurité, la refondation de l’Europe…

Où a-t-on vu, depuis la déflagration de 2017, le moindre essai de réflexion sur un régime politique évidemment à bout de souffle, fondé sur l’idolâtrie narcissique, qui ne cesse de s’aggraver, la démagogie, la dissimulation, l’impuissance publique, la frime inefficace, la fuite devant la réalité et le sens de l’intérêt général au profit de l’image. Nulle part! Cette réflexion est comme interdite, étouffée par un carcan d’abêtissement collectif.

« Renouvellement », disiez-vous? La cassure entre le peuple et la classe dirigeante, comme le souligne le nouveau sondage CEVIPOF 2018 sur la confiance des Français, n’a jamais été aussi profonde: comme les années précédentes, 77% des Français ont une image négative de la politique qui leur inspire de la méfiance,39%, du dégoût, 25%, de l’ennui, 9%, de la peur, 3%. Par-delà l’effervescence joyeuse de la « France d’en haut », la fracture démocratique, ce mal qui ronge le pays, ne cesse de s’aggraver.

L’obsession élyséenne, quintessence de la dérive mégalomaniaque de la politique française au détriment du bien commun de la Nation, et les guerres d’ego qui ont conduit les Républicains à cette hallucinante déflagration de 2017, vont-elles enfin cesser ? En effet, la chute du FN et du PS, les tâtonnements de LREM, pourraient ouvrir un nouvel espace aux Républicains. Ont-ils enfin décidé de se mettre au service du pays et non d’eux-mêmes ? Tout laisse penser que non. La révolte des barons contre M. Wauquiez donne le sentiment que rien n’a changé à cet égard. Summum de l’absurdité et de l’obsession élyséenne: plutôt que de se pencher sur les raisons profondes de la crise de la politique française, certains, songeant uniquement à leur destin personnel, ramènent déjà la question des « primaires » de 2022, sans la moindre considération pour leur faillite en 2016-2017 !

Le récit de M. Bourgi sur BFM est purement anecdotique. Il est l’arbre qui cache la forêt. La politique française connaît une vertigineuse crise du sens dont le séisme de 2017 fut la première manifestation. D’autres viendront, encore pire. Aujourd’hui, rien n’a changé. Le mélange de nihilisme et de fureur narcissique, sur les ruines de l’intelligence politique, n’en finit pas de détruire la démocratie. Vous avez aimé 2017 ? Vous allez adorer 2022 !

Maxime TANDONNET

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Author: Redaction