Interview de Marisol TOURAINE au Monde : « Le tiers payant sera étendu à tous les Français de manière progressive »

Marisol TOURAINE a répondu aux questions de Laëtitia CLAVREUL et François BEGUIN, journalistes du Monde, pour une interview sur la loi de santé, publiée dans Le Monde du 10 mars.

Vous pouvez lire l’interview ci-dessous ou sur le site du Monde.fr.

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La ministre de la santé annonce que la moitié des consultations se feront sans avance de frais dès la fin 2016.

A quelques jours du début de l’examen du projet de loi santé en commission des affaires sociales, le 17 mars, la ministre de la santé, Marisol Touraine, annonce, lundi 9 mars, ses arbitrages après la remise des conclusions de quatre groupes de travail. Tout en procédant en deux temps, elle maintient la généralisation du tiers payant d’ici 2017, mesure vivement contestée par les médecins. Mme Touraine s’engage à ce que l’Assurance-maladie paie des pénalités aux médecins si elle met plus de sept jours à les payer. Sur d’autres points du projet de loi, comme la vaccination, la ministre fait des concessions aux médecins.

Depuis plusieurs mois, les médecins sont vent debout contre votre projet de loi santé. Une grande manifestation est prévue le 15 mars. Comment expliquez-vous cette réaction ?

La modernisation de notre système de santé est indispensable pour répondre aux défis d’aujourd’hui : déserts médicaux, inégalités de santé, maladies chroniques. C’est l’ambition de la loi. Cela passe par la prévention, l’organisation des soins en proximité et de nouveaux droits pour les patients. J’entends les inquiétudes des professionnels de santé et je ne les sous-estime pas. Elles renvoient à des préoccupations profondes sur les conditions d’exercice de la profession de médecin. Seules quelques mesures de la loi suscitent des craintes et nous les avons retravaillées de façon constructive et pragmatique avec eux.

Sans modernisation du système de soins, nous courons le risque d’une aggravation des inégalités de santé. Les médecins le savent.

Quels sont vos arbitrages finaux, notamment sur la mise en place du tiers payant, la mesure la plus contestée par les médecins ?

Le tiers payant sera bien étendu à tous les Français. Il le sera de manière progressive, et avec des garanties de paiement aux professionnels. Sur le terrain, beaucoup de médecins m’ont dit qu’ils pouvaient avoir du mal à se faire payer lorsqu’ils le pratiquent. Ce n’est pas acceptable. J’inscrirai dans la loi une garantie de paiement aux professionnels de sept jours maximum pour les feuilles de soins électroniques. Si ce délai n’est pas respecté, l’Assurance-maladie paiera des pénalités de retard au médecin. Les complémentaires prendront de leur côté des engagements sur les délais de remboursement aux médecins.

Nous allons procéder par étapes. Au 1er juillet 2016, les médecins disposeront du système technique qui leur permettra de proposer le tiers payant à tous les patients pris en charge à 100 % par l’Assurance-maladie – femmes enceintes, personnes en maladie de longue durée ou en maladie professionnelle –, soit 15 millions de personnes qui sont celles qui ont le plus souvent et le plus besoin de voir un médecin. Cela représente la moitié des consultations. Pendant six mois, les praticiens pourront tester et s’approprier le système technique. Et, au 31 décembre, cela deviendra un droit pour tous les patients pris en charge à 100 %.

Et pour le reste des patients, l’objectif de 2017 est-il maintenu ?

Oui, car le tiers payant n’est pas seulement une mesure sociale. J’ai demandé à l’Assurance-maladie et aux complémentaires santé de proposer d’ici quelques mois un système coordonné qui sera mis à disposition des médecins le 1er janvier 2017. De la même manière, les médecins disposeront de temps pour s’approprier le dispositif et, avant la fin de l’année 2017, le tiers payant deviendra un droit pour tous les Français.

Les médecins qui refuseraient de le pratiquer seront-ils sanctionnés ?

Je ne fais pas le pari du refus et de l’échec. Dès lors qu’il est simple et sans délai de paiement, je suis convaincue que le tiers payant s’imposera rapidement comme une évidence.

Autre point de crispation des médecins, les pharmaciens seront-ils autorisés à vacciner les patients ?

Ma préoccupation, c’est que les Français se vaccinent davantage. Il y a sur ce point une défiance qui monte et un défaut de vaccination parfois préoccupant. Cet hiver, seulement 43 % des plus de 65 ans se sont vaccinés contre la grippe. Pour répondre à cela, les autres pays ont diversifié les modes de vaccination. Comme il y a chez nous des inquiétudes, nous proposerons des expérimentations. Ma volonté n’est pas de détricoter le métier de médecin.

On vous a beaucoup reproché de privilégier l’hôpital public au détriment des cliniques, notamment par le biais du label service public hospitalier, qui pourrait les exclure de certaines activités. Allez-vous l’amender ?

La grande inquiétude des cliniques, c’est que la non-appartenance à ce service public hospitalier leur ferme des portes. Il sera donc inscrit dans la loi que comme aujourd’hui, cela ne conditionnera pas le droit à avoir tel ou tel matériel. Mais le service public hospitalier n’est pas seulement un slogan, ce sont aussi des obligations, dont celle, réaffirmée dans la loi, de ne pas pratiquer de dépassements d’honoraires. Ce sont aussi des spécificités, comme l’accueil de tous les patients ou la permanence des soins, et cela mérite d’être reconnu.

La mise en place, très critiquée, d’un service territorial de santé qui devait permettre aux agences régionales de santé d’organiser l’offre de soins est-elle toujours d’actualité ?

Les médecins étaient inquiets que l’organisation des soins dans les territoires soit pilotée de manière administrée et autoritaire. Ce n’était pas mon objectif. Les coopérations entre les acteurs de santé seront à l’initiative des professionnels, et puisque il y a eu une ambiguïté dans l’écriture, cet article de la loi sera réécrit. On parlera désormais de « communauté professionnelle territoriale de santé », un terme choisi avec les représentants des médecins.

De même, certains reprochaient à la loi de ne pas identifier assez précisément le rôle du médecin traitant. Ce sera fait, tout comme sera précisé dans la loi celui des équipes de soins primaires amenées à travailler avec les généralistes.

Nicolas Sarkozy a reçu les syndicats de praticiens, et Bruno Le Maire vient de déclarer que la loi allait transformer les médecins en fonctionnaires…

L’UMP réclame le retrait de la loi, ce que la plupart des professionnels, qui ont participé aux groupes de travail, ne demandent pas ! Or, un retrait du texte, cela voudrait dire le retrait de mesures concrètes de lutte contre le tabagisme, le retrait du numéro de téléphone de garde unique, de l’action de groupe en santé, du droit à l’oubli pour les anciens malades, du médecin traitant de l’enfant…

Je ne veux pas fonctionnariser la médecine, et il n’y a pas une mesure allant dans le sens d’une réduction de la liberté d’installation des médecins dans le texte. Depuis trois ans, aucune mesure de restriction de cette liberté n’a été prise, Je ne suis pas certaine que la droite gagne à caricaturer le débat. Au-delà de la loi, nous aurons besoin qu’une concertation soit organisée sur les conditions d’exercice et l’avenir de la profession de médecin.

Mardi 10 mars arrive, à l’Assemblée, la proposition de loi sur la fin de vie soutenue par le gouvernement. Comme Manuel Valls, qui la portait, vous aviez signé en 2009 une proposition en faveur de l’aide active à mourir, ce que le texte d’aujourd’hui ne propose pas. Un renoncement ?

François Hollande a souhaité un débat large sur la question. Il a eu lieu, il a été long. Sur un tel sujet, il s’agit de prendre en compte les attentes de la société. La proposition de loi marque pour moi une avancée très importante : au lieu de se placer du point de vue du médecin, on se place du côté du malade. Certains auraient voulu qu’elle aille plus loin, d’autres trouvent que c’est déjà trop. Le texte représente un équilibre, une étape sûrement, mais une avancée certainement.

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Author: Redaction