Interview de Marisol TOURAINE à Libération : «Je sais que la loi sur la santé nécessite des adaptations»


Marisol TOURAINE a répondu aux questions d’Éric FAVEREAU, journaliste à Libération, au sujet du projet de loi de santé.

Vous pouvez lire l’interview ci-dessous ou sur le site de Libération en cliquant ici.

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Devant les vives critiques des professionnels, l’examen du projet de loi de la ministre Marisol Touraine est reporté au printemps.

Jeudi soir, Marisol Touraine a achevé une première phase de discussions avec les syndicats de médecins autour de sa prochaine loi de santé publique. Un texte fortement critiqué, au point que certains envisageaient son report. La ministre de la Santé fait le point sur la loi et des aménagements possibles.

Votre loi sur la santé, qui devait être débattue en janvier au Parlement, est-elle repoussée ?

De quoi parlons-nous ? La loi de santé est une loi avec un objectif clair : faire reculer les inégalités de santé et lever les obstacles d’accès aux soins grâce à la généralisation du tiers payant [la dispense d’avance de frais] pour tous les patients d’ici à 2017. En mettant l’accent, pour la première fois, sur la prévention, mais aussi en améliorant la coopération entre les acteurs du système de santé et leur organisation à l’échelle de chaque territoire.

Cette loi fait le choix assumé de la justice en matière de santé. Et derrière ces choix, il y a des mesures concrètes : la mise en place du paquet neutre pour faire reculer le tabagisme en France alors qu’il progresse. La création du logo nutritionnel sur les produits industriels alimentaires pour lutter contre l’obésité, qui est un enjeu de santé publique essentiel. Des moyens nouveaux donnés aux associations pour améliorer le dépistage. De nouveaux droits pour les patients, avec la possibilité des actions de groupe en santé. Et je pourrais évoquer bien d’autres sujets. Cette loi est nécessaire.

Certes, mais votre texte arrivera-t-il un jour au Parlement ?

Cette loi est soutenue par de nombreux acteurs, notamment les associations de patients ou encore de grandes fédérations hospitalières. Mais je sais qu’elle soulève des inquiétudes. Elle sera donc débattue au Parlement au printemps prochain. D’ici là, je souhaite lever les malentendus et travailler avec les professionnels de santé sur les mesures qui font débat.

Par exemple, sur la question de la généralisation du tiers payant qui cristallise bien des mécontentements. Qu’allez-vous faire ?

La généralisation du tiers payant, c’est le choix de la justice. Elle se mettra en place par étapes avant 2017. La première, en juillet 2015, concernera les bénéficiaires de l’aide à la complémentaire santé [ACS]. Je suis prête à voir si d’autres étapes, avant sa généralisation, sont nécessaires.

Le tiers payant obligatoire est donc maintenu ?

Oui, le tiers payant sera généralisé, mais je veux que cela soit simple. Le tiers payant ne doit pas faire peur : il est en place dans beaucoup de pays et, en France, à l’hôpital ou dans les pharmacies, sans poser de problème majeur. J’entends l’inquiétude des professionnels sur les modalités techniques : eh bien, travaillons-y ! Je propose que, dès janvier, dans un groupe de travail avec les professionnels, nous définissions les garanties à apporter, qui pourront être inscrites dans la loi. Le but étant de garantir un paiement rapide et simple aux médecins. Mais je ne peux pas accepter qu’en France il y ait des personnes qui renoncent à se soigner pour des raisons financières.

Certains ont évoqué une étatisation rampante, avec le service public territorial de santé…

J’entends beaucoup de contrevérités : cette mesure, c’est d’abord la reconnaissance du rôle essentiel des médecins généralistes pour faire émerger des projets de santé à l’échelle de chaque territoire. C’est également la garantie d’une meilleure information des patients près de chez eux car beaucoup sont perdus ; nous allons mettre en place un dispositif d’information clair et simple, sous la forme d’un site internet. Un numéro unique sera par ailleurs mis en place pour connaître et joindre facilement, dans chaque territoire, un médecin de garde.

Mais sur les risques d’étatisation…

Je veux rassurer. Travaillons à une rédaction plus claire. La loi veut favoriser la coopération entre les acteurs de santé en partant des initiatives des professionnels dans chaque territoire. C’est cette coopération qui garantit aujourd’hui une réponse adaptée aux besoins des patients.

Je ne veux en rien étatiser. Je suis prête à travailler avec les médecins pour mieux reconnaître les soins de premier recours et le rôle des généralistes.

Et qu’en est-il de la coopération entre les professionnels de santé ?

On ne peut rester immobile. Aujourd’hui, les changements en termes de santé sont nombreux : la population vieillit, les maladies chroniques sont de plus en plus importantes. Et le défi des inégalités appelle à des changements qui peuvent bouleverser certaines pratiques. La loi propose par exemple que les pharmaciens puissent vacciner, comme dans beaucoup de pays. Il ne s’agit en rien de porter atteinte aux compétences de chacun. Travaillons-y !

Les médecins généralistes se plaignent toujours du prix de la consultation. Qu’allez-vous faire ?

Ces discussions relèvent de la convention avec l’assurance-maladie. Mais depuis 2012, la rémunération des médecins pour le travail d’équipe et les missions de service public a augmenté, ce qui équivaut à une hausse de 2,70 euros par consultation. De ce fait, il est inexact de dire que la rémunération des médecins généralistes n’a pas augmenté.

Recueilli par ÉRIC FAVEREAU

Author: Redaction