Défense de la fonction publique (le Figaro du 12 avril 2024)

Le thème du « licenciement des fonctionnaires » ou de la suppression de la sécurité de l’emploi dans la fonction publique, est revenu au goût du jour. Le sujet mérite d’être approfondi, à l’aune des faits et non de l’idéologie. Certes, l’article 15 de la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, dispose : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. » L’un des principes fondamentaux de la société française, à valeur constitutionnelle, affirme la responsabilité du fonctionnaire. Ce dernier n’est pas intouchable, ses manquements, ses fautes sont sanctionnables, y compris par le limogeage.

D’ailleurs le code de la fonction publique, issu notamment des lois de 1946 et 1983, ne dit pas autre chose. Son article  L. 533-1 prévoit la révocation pour les fautes les plus graves. En outre, le L.553-1 définit les cas de licenciements possibles : « pour abandon de poste ; pour insuffisance professionnelle [ou encore] en vertu de dispositions législatives de dégagement des cadres. » Dans la pratique, la sanction suprême est appliquée : de 2009 à 2018, 450 policiers – pour ne prendre que cette catégorie de fonctionnaires particulièrement exposée à la violence quotidienne, ont été révoqués en raison de fautes graves.

Les licenciements pour insuffisance professionnelle sont certes exceptionnels, mais en aucun cas en raison du statut de la fonction publique qui les prévoit noir sur blanc… Les fonctionnaires de l’Etat, au nombre de 2,5 millions, dont environ un million de professeurs, sont placés sous l’autorité du Gouvernement. Si le pouvoir politique (ou ses relais dans la hiérarchie administrative), est confronté à des situations d’insuffisance professionnelle – absentéisme, incompétence, négligence –, il incombe à lui seul de prendre ses responsabilités. Les outils existent. La question est celle de la volonté et le courage de les utiliser.  

Les révocations ou les licenciements de fonctionnaires – parfaitement possibles – sont encadrés dans des procédures notamment d’évaluation et de concertation destinées à établir la véracité et la gravité des faits reprochés à un agent public.  Il ne suffit pas à un ministre ou un directeur de claquer dans les doigts. Dès lors, la tentation de dirigeants politiques, quelles que soient les époques, peut être en effet de renforcer leur pouvoir discrétionnaire de révocation ou de licenciement des fonctionnaires en supprimant ou en réduisant au minimum les procédures. Une telle réforme est-elle vraiment souhaitable ?

Certes, tout fonctionnaire a un devoir d’obéissance envers sa hiérarchie, au sommet de laquelle se trouve un Gouvernement. Cependant, l’article L.121-10 du code de la fonction publique, fondé sur la tradition démocratique, prévoit : « l’agent public doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. »

Ainsi, dans certaines situations exceptionnelles, le fonctionnaire a aussi un devoir de désobéissance qui est l’une des garanties d’une société démocratique. Face à des situations de corruption ou d’atteintes graves aux libertés, il est de sa responsabilité de savoir dire « non ». Et l’histoire souligne que ce type de situation n’a malheureusement rien d’hypothétique. En dehors même de ces cas particuliers, la liberté de pensée du fonctionnaire conditionne sa capacité à fournir un conseil libre et éclairé au pouvoir politique (bien entendu sans décider à sa place). Banaliser les modalités de licenciement du fonctionnaire – en faisant peser une menace permanente sur sa tête – serait une manière de porter atteinte à sa liberté et indépendance intellectuelle, au cœur de son métier et d’autant plus fondamentale qu’il se situe à un niveau de responsabilité élevé.

Une telle mesure irait d’ailleurs dans le même sens que la remise en cause progressive du concours comme mode essentiel de recrutement. La sélection par le mérite, les connaissances, une réflexion et des aptitudes professionnelles – plutôt que par la cooptation (amicale, familiale, politique ou clanique) – constitue un autre pilier de l’indépendance intellectuelle des agents publics. Or, 21% des effectifs de la fonction publique sont désormais recrutés hors concours, par voie de contrats souvent temporaires et aisément révocables.

La fonction publique a beaucoup perdu de son attrait dans la société française depuis un quart de siècle. En 1997, elle comptait 642 000 candidats pour 40 000 postes offerts. En 2021, le nombre de candidats n’était plus que de 177 000 pour le même nombre de postes offerts. Les écarts de rémunération avec le secteur privé – à niveau de formation égal – expliquent largement ce désaveu (par exemple, un professeur agrégé, soit généralement bac +7, commence sa carrière, après un concours extrêmement sélectif, à environ 2 000 € net). D’ailleurs en 2023, 3 000 postes de professeurs n’ont pas été pourvus ! Est-il bien utile dans ce contexte de dévalorisation accélérée d’un métier – le service public – de remettre sur le tapis la question du licenciement des fonctionnaires ?

Le 29 août 1980, Raymond Barre, Premier ministre, déjà qualifiait les fonctionnaires de « nantis ». L’augmentation des effectifs (« l’emploi dans les administrations publiques a augmenté de 0,5% par an entre 2019 et 2021, contre 0,9% pour l’emploi total » selon l’OCDE), n’explique évidemment pas, à elle seule, l’ampleur des déficits et le gonflement d’un tiers de la dette publique en sept ans (de 2 200 à 3 100 milliards €). Les dirigeants politiques d’un Etat, qui sont absolument et entièrement responsables des difficultés ou de ses malheurs de la Nation dont ils ont la charge, du fait de leurs choix ou de leur non-choix, ne s’honorent jamais en désignant les serviteurs de cet Etat, les fonctionnaires, comme boucs émissaires de leurs propres insuffisances.

MT

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Author: Redaction

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