Une responsabilité collective

La France est probablement à la veille d’une crise politique majeure. Dans mon livre sur l’histoire des présidents de la République (Perrin 2013, réédition Tempus 2017), j’écrivais: « Le chef de l’Etat, ultra-médiatisé, incarne à lui seule le pouvoir politique dans toutes ses dimensions. Le cocktail de la grandiloquence – le statut de premier français – et de l’humiliation quotidienne est explosif. Il explique cette fuite en avant dans l’expression d’une vanité débridée aux accents suicidaires. Dans la France actuelle, le président de la République n’est plus le guide de la nation, mais son bouc émissaire naturel. » Nous assistons en ce moment, avec trois mois d’avance sur mes attentes, au commencement du lynchage collectif de l’occupant de l’Elysée. Pourtant, cet hallali a quelque chose d’infiniment malsain, à l’image de l’état d’esprit de la France actuelle. En effet, la responsabilité d’une situation extrêmement délétère est collective, universelle. Qui sont les fautifs?

  • L’ancienne classe politique est responsable: M. Juppé et M. Bayrou se déchaînent en ce moment sur le plus jeune président de la République, avec une virulence qui donne le vertige. « C’est de la com, c’est de la com! » Ils ne le savaient pas avant? Ce dernier ne serait peut-être pas là si tous deux ne lui avaient pas ouvert grand la voie du succès, surtout Bayrou avec son alliance, emblématique du recentrage de l’ancien ministre de M. Hollande. M. Fillon lui-même a fait le lit du « dégagisme ». Il commit la maladresse hallucinante de promettre qu’il se retirerait en cas de mise en examen. Mis en examen, il s’est maintenu contre vents et marées, trahissant sa parole et précipitant le désastre. Et M. Hollande qui donne aujourd’hui des leçons! Quelle image de la parole politique! Voilà pourquoi nous en sommes là, au bord de l’abîme.
  • Le monde médiatique est lui aussi responsable: pendant des années, des mois, BFM, itv, mais aussi TF1, F2 et F3, rtl et Europe 1 nous ont vendu un sauveur de la France, jeune, moderne, beau. Aujourd’hui, les mêmes chaînes commencent à le traîner dans la boue et parlent de ses frais de maquillage. Mais qui sont les maquilleurs? Qui a vendu à la France, dans un matraquage sans précédent, un homme providentiel, l’envoyant ainsi au casse-pipe? Qui a offert un prodigieux tremplin à la droite extrême, en jouant à fond le jeu de la « dédiabolisation » et en lui assurant  une sur-présentation médiatique pour permettre sa présence au second tour et assurer ainsi le résultat?
  • Les supposées élites française sont responsables, la haute administration, les cadres du privé, les intellectuels: tout ce petit monde a fait aussi, globalement, preuve d’un grand aveuglement coupable, une euphorie sans fondement, qui expliquent largement l’impasse vers laquelle nous marchons. Certes, les places étaient bonne à prendre. Mais tous ces gens supposés intelligents ne voyaient donc pas le néant sous la bulle médiatique, l’isolement, l’absence d’assise politique, le vertige de la position centrale au-dessus de l’abîme, entre la gauche et la droite, la fragilité d’un pouvoir dont la seule légitimité est le dégagisme, le gouffre vertigineux qui s’ouvre en permanence sous le culte de la personnalité d’un autre âge? Allons donc!
  • Le peuple, le sacro-saint peuple est responsable. Evidemment pas tout le monde, mais un bon paquet de Français quand même. Certes, le choix était devenu quasi inexistant au moment des présidentielles. Mais aux législatives, l’électorat, dans son ensemble à une responsabilité vertigineuse dans le désastre en cours. Où étaient les 51% d’abstentionnistes le jour du second tour, un 13 juin? A la pêche? Ceux-là ont une part de responsabilité. Il était encore possible à ce moment là de sauver les meubles en élisant une assemblée d’alternance, républicaine, avec un Premier ministre chargé de mettre en œuvre une politique responsable, tout en rééquilibrant les institutions entre un président arbitre et un véritable gouvernement d’action. La chance était à saisir. Mais la lumière n’est pas venue. La morale du troupeau a prévalu, comme d’habitude: il fallait une « majorité présidentielle ». L’opinion, intoxiquée, a suivi, par indifférence et manque de lucidité.

Oui, la responsabilité de la crise politique n’est pas celle d’un homme seul et de son entourage. Elle est collective, elle est partagée, et le lynchage d’un homme qui vient, que l’on sent approcher à une vitesse vertigineuse, une nouvelle infamie et étape dans la décomposition politique du pays.

Maxime TANDONNET


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Author: Redaction