Une authentique révolution politique (Pour Figaro Vox)

Ce que je dis depuis les élections législatives de juin se confirme: la France est en train de connaître une authentique révolution politique, une fracture qui inspire des sentiments partagés: une intense et profonde satisfaction sur le plan des valeurs démocratiques et libérales mais aussi une légitime inquiétude face à la perspective du chaos – et le risque d’un retour de balancier. En ce 14 juillet 1789, 2022, pardon! Rien n’est simple.

L’actualité politique française de ces derniers jours confirme que les élections législatives de juin, qui s’annonçaient comme purement routinières et malgré un taux d’abstention record de 54%, ont débouché sur une authentique révolution politique. Elles ont mis un terme brutal à soixante années d’histoire de la Vème République, depuis les législatives de 1962, dominées par l’existence d’une majorité absolue, ou quasi-absolue, qu’elle fût, comme dans l’immense majorité des cas, une majorité présidentielle, ou, comme dans les scénarios de cohabitation, en faveur du Premier ministre (1986-1988, 1993-1995 et 1997-2002). Même en 1988, à l’issue de la réélection du président Mitterrand, ses Premiers ministres savaient trouver au centre gauche les quelques voix qui manquaient au parti socialiste pour voter les budgets et les lois.

Le morcellement de l’Assemblée nationale issu des dernières élections législatives marque une rupture profonde avec cette tradition. Il est sans aucun précédent depuis les législatives de 1962. Nous sommes passés dans une nouvelle ère de la politique française qui correspond à des mouvements en profondeur de la société et de la sensibilité collective. A une immense majorité (71% selon un sondage), les Français ont délibérément voulu priver le chef de l’Etat et l’exécutif de la majorité absolue. Mais ils ne l’ont pas accordé non plus à un Premier ministre de cohabitation potentiel.

Cette victoire de la majorité silencieuse – qui a obtenu contre toute attente ce qu’elle voulait – signe la quintessence de la crise de confiance populaire envers la politique gouvernementale. Les Français ont dit non à la présidence Jupiter, à l’exercice narcissique du pouvoir et à la prétention de l’autorité verticale. Ce résultat exprime un message cohérent. Certes les Français ont reconduit un chef de l’Etat dans des circonstances exceptionnelles (crise sanitaire, Ukraine) et en l’absence d’alternative jugée crédible. Mais en parallèle, échaudés par un bilan qu’ils jugent sévèrement, ils lui ont retiré les pleins pouvoirs pour diriger le pays à sa guise.

Cette fragmentation de l’Assemblée nationale traduit par ailleurs, sur le plan des institutions, la décomposition de la politique française et la crise des partis politiques. Elle est d’autant plus spectaculaire qu’elle s’est imposée malgré un mode de scrutin – d’arrondissement à deux tours – destiné à assurer une majorité absolue. Elle introduit, au cœur du pouvoir, le fameux « archipel français » une France en morceaux, dont l’Assemblée nationale devient un fidèle reflet. Le chaos de la société française, qui s’est exprimé notamment dans la crise des Gilets Jaunes, a ainsi forcé les portes du Parlement.

L’Assemblée nationale qui vient d’être élue ressemble comme à une sœur à la toute dernière de la IVème République, élue en 1956, dans un climat chaotique dominé par la guerre d’Algérie, marquée par l’entrée en masse d’un puissant parti poujadiste (étiqueté extrême droite), une forte poussée du parti communiste, l’émiettement des autres formations dite « de gouvernement ». Le discours du chef de l’Etat comme celui de Mme Borne reproduit d’ailleurs le mode de pensée des gouvernants de l’époque qui composaient les gouvernements en excluant les deux partis considérés comme « extrêmes » : « ces formations (RN et LFI)  ne s’inscrivent pas comme des partis de gouvernement. »

Les vieux réflexes de la république parlementaire, dominés par des manœuvres en coulisse et les arrangements parfois contre nature, reviennent en un bond spectaculaire par-dessus six décennies d’histoire politique… Les « antisystèmes » de droite comme de gauche unissent leur vote pour mettre en échec une disposition de la nouvelle loi sanitaire. Par ce vote, ils enterrent deux années de gestion autoritaire de l’épidémie de covid19, fortement contestée pour son caractère bureaucratique, liberticide et douteux sur le plan de l’efficacité – et ils consacrent le basculement du régime. Mais aussi la cheffe du RN, dans la perspective de la dédiabolisation ou banalisation de son parti, multiplie les clins d’œil au gouvernement à travers le ministre de l’Intérieur. La droite classique quant à elle se positionne dans un rôle d’arbitre et de soutien conditionnel aux initiatives de l’exécutif. Bref, chacun cherche encore ses marques.

Tout ceci est-il un bien ou un mal pour le pays ? Le retour de l’Assemblée nationale au centre des enjeux politiques représente, de toute évidence, une bouffée d’oxygène démocratique. Il est le fruit d’un mouvement de balancier naturel qui répond au sentiment d’une dérive autocratique (ne pouvant même pas se justifier par l’amélioration des résultats de l’action publique). Mais comme l’écrit Montaigne : « D’un mal ne sort pas forcément un bien : un mal encore pire peut en sortir ». Si l’Assemblée nationale ne trouve pas, dans les mois à venir un mode de fonctionnement stabilisé, fondé sur le contrôle rigoureux de l’exécutif en dehors de toute obstruction systématique, dans un contexte économique et financier particulièrement trouble, la crise politique française débouchera sur une violente tempête sociale. Et alors, le risque est de voir le balancier rebasculer dans l’autre sens à la faveur d’un chaos total – par exemple à l’issue d’une dissolution…

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Author: Redaction