Sur l’éviction d’Aurélien Pradié de la vice-présidence de LR (pour la Revue politique et parlementaire)

L’éviction d’Aurélien Pradié de son poste de vice-président de LR (les Républicains) pourrait s’interpréter comme une simple anecdote dans la vie politique française.

Cependant, elle est bien davantage, car révélatrice du mal profond qui ronge cette formation, probablement à l’image de la classe politique dans son ensemble. Ce mal a un nom : la déconnexion. Tout se passe dans ce dossier comme si les leaders de la droite LR avait perdu le sens des réalités, le contact avec la vie réelle et la population du pays.

Miné par la vague des ralliements au macronisme de 2017 et 2022, l’effondrement électoral de la dernière présidentielle et des législatives où il a perdu la moitié de ses députés, LR avait au départ choisi de camper fermement dans une posture d’opposition fustigeant les trahisons des transfuges.

Pourtant, son état-major a décidé de soutenir la réforme des retraites du président Macron et sa majorité, qualifiée de mère des réformes du quinquennat, c’est-à-dire une réforme emblématique de la transformation de la France selon le credo « macroniste ». Ce faisant, en soutenant une réforme aussi politique et aussi symbolique, LR a donné au pays le sentiment de se rallier à son tour de la majorité macroniste.

L’argument invoqué par LR était double : donner une impression de sérieux et de respectabilité par opposition aux courants « extrémistes » de la Nupes et du RN, et surtout offrir des gages de cohérence avec lui-même. Dès lors que le report de l’âge de la retraite à 65 ans figurait dans les programmes de M. Fillon en 2017 comme de Mme Pécresse en 2022, LR s’estimait lié par l’obligation de soutenir le projet de loi macroniste axé sur un report de l’âge de la retraite à 64 ans. Ce raisonnement exhalait un étrange parfum d’entêtement : au prétexte de ne pas se déjuger, LR collait à un programme qui à quatre reprises (deux présidentielles et législatives) a contribué à son échec.

Mais surtout, LR passait à côté de l’essentiel. De fait, la portée réelle du report à 64 ans qui cristallise la contestation sociale, est limitée compte tenu des 43 annuités obligatoires et d’un âge moyen du premier emploi en France situé bien au-delà des 21 ans. La règle des 64 ans visait au départ les travailleurs ayant fait peu d’études, entrés sur le marché du travail avant 21 ans, c’est-à-dire les travailleurs manuels, la France populaire.

Cette réforme des retraites, en soi d’un intérêt réduit (pour ne pas dire inexistant), a ainsi donné lieu à un vent de colère du pays dans son immense majorité contre sa classe dirigeante en raison de son caractère injuste. Elle a pris une dimension emblématique de la fracture démocratique entre les milieux dirigeants (ou les «élites ») et le peuple ou la France périphérique. Selon de multiples sondages concordant, 72% des Français y était opposés et 90% des actifs. Par le plus invraisemblable des paradoxes, dans ce bras de fer, les leaders d’un parti LR prétendument d’opposition et populaire, ont choisi le camp d’une macronie en plein doute, incarnation de la France des « élites », contre le peuple ou contre la Nation.

Aurélien Pradié et quelques députés de la jeune génération LR ont compris la nature de ce conflit bien avant l’état-major de LR, empêtré dans le dogme des 65 ans comme les généraux de 1939 campaient dans des stratégies obsolètes. Et c’est principalement l’activisme à l’Assemblée nationale des quelques rebelles de LR qui a poussé le gouvernement et la majorité présidentielle à annihiler presque entièrement la règle des 64 ans en imposant la généralisation des 43 annuités aux carrières longues – une évolution dont l’état-major LR se félicite désormais tout en accablant ceux qui en sont à l’origine ( évidemment sans pour autant admettre que de fait, les 64 ans ont été quasiment retirés…) 

Dans cette affaire, ce sont évidemment les députés réfractaires auxquels les faits donnent raison (par-delà la satisfaction ostentatoire des partisans de la fermeté à leur encontre). Et les gardiens du temple ou du programme de 2017 et 2022 sentent bien au fond qu’ils se sont fourvoyés. D’où la raideur de leur réaction. L’autoritarisme conduisant à l’éviction de M. Pradié de la présidence de LR signe le désarroi de ceux qui ont conscience de s’être trompés. Sanctionner un député pour ses choix lors des débats parlementaires n’est pas conforme à la tradition d’un courant politique qui se réclame de la liberté et de la démocratie.

D’autant plus que les faits (la neutralisation par le gouvernement des 64 ans) donnent raison à ce député et ses alliés chez LR. En politique, l’autoritarisme est généralement un aveu de faiblesse. L’éviction de M. Pradié résonne avec des accents d’autorité « jupitérienne » ou « verticale » à l’image de la mésaventure du général de Villiers poussé à la démission en 2017 – pour avoir dit la vérité sur l’état des forces armées (évidemment avec des conséquences sans commune mesure). Elle sera ressentie, par l’état d’esprit qu’elle exprime, comme une trace supplémentaire de l’influence croissante du macronisme sur le leadership de LR. Quant à M. Pradié, il ne peut que se féliciter de cette séquence qui le victimise, lui permet (à tort ou à raison) de se présenter en défenseur du peuple en colère contre les dirigeants du pays et en homme de conviction, dans la posture avantageuse du rebelle solitaire, peu sensible à la perte d’un prébende. 

MT

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Author: Redaction