Présentation de la stratégie de santé pour les outre-mer : intervention de Marisol TOURAINE

Min2014-092
Intervention de Marisol Touraine

Ministre des Affaires sociales et de la Santé

Présentation de la stratégie de santé pour les outre-mer

Mercredi 25 mai 2016

Seul le prononcé fait foi

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Madame la Ministre,

Monsieur le Président de la Fédération Hospitalière de France,

Monsieur le Délégué Général,

Monsieur le Secrétaire Général des Ministères sociaux,

Monsieur le Préfet, Directeur Général des Outre-mer,

Mesdames et Messieurs les Elu-e-s,

Mesdames, Messieurs,

La France est forte parce qu’elle dispose d’un modèle social protecteur. A l’opposé des fatalistes, des déclinistes et autres Cassandres, les Français revendiquent leur attachement à la solidarité et à la protection. A l’égalité, aussi, qui en matière de santé est l’une des marques d’identité de notre modèle.

L’égalité d’accès aux soins est l’une de mes priorités. Se donner les moyens de cette ambition, c’est évidemment garantir l’application de la loi de la République sur l’ensemble du territoire de la République. Mais c’est aussi reconnaître que certains territoires ont besoin d’une attention particulière. Les territoires ultramarins vivent une réalité géographique et environnementale à part, ils ont des atouts et des difficultés spécifiques, qui diffèrent de la métropole.

Il y a évidemment des situations difficiles, des situations de crise, comme actuellement à Mayotte. Mais à chacun de mes déplacements outre-mer, ce qui m’a frappée avant toute chose, c’est bien le dynamisme et la très grande capacité d’innovation qui caractérisent les acteurs locaux. A problèmes spécifiques, solutions spécifiques, innovantes, imaginatives, et collectives !

C’est la raison pour laquelle, avec George PAU-LANGEVIN, nous avons voulu que soit élaborée une stratégie de santé spécifique aux outre-mer. L’objectif, c’est d’identifier les enjeux et d’y apporter des réponses spécifiques. C’est aussi de construire une action publique adaptée, propre à chaque territoire. C’est enfin de soutenir et d’amplifier les énergies, les idées, les solutions du terrain. Je suis heureuse de vous présenter aujourd’hui cette stratégie.

Elle est le fruit d’un long travail. Elle a été construite dans la concertation. Je tiens à remercier Chantal DE SINGLY, qui en a piloté les travaux, pour son engagement sans faille. Le cœur de vos réflexions a été de tirer les conclusions des échecs passés, je pense évidemment au plan santé outre-mer de 2009, et de répondre aux attentes des professionnels, des élus, des associations et des patients. Les directions de mon ministère et du ministère des outre-mer, les grands opérateurs publics en santé et les Agences régionales de santé (ARS) concernées ont participé à ces travaux. Je suis très heureuse de vous en présenter le sens aujourd’hui.

  1. Cette stratégie de santé pour les outre-mer fixe un cadre d’action adapté à la réalité du terrain. Elle s’inscrit pleinement dans la dynamique engagée depuis 2012.

Les territoires ultramarins connaissent des difficultés propres, qui diffèrent de la métropole. Personne ne peut nier cette réalité.

Les risques liés à la naissance, qui pèsent tant sur l’enfant que sur la mère, sont plus importants. De même, l’obésité et le surpoids frappent plus sévèrement, ils entraînent une forte prévalence du diabète, des insuffisances rénales et cardiaques et des accidents vasculaires cérébraux plus nombreux. Les risques liés aux maladies sexuellement transmissibles ou aux conduites addictives sont également plus élevés qu’en métropole. Certaines maladies rares y sont plus fréquentes ; je pense par exemple à la drépanocytose. Et puis, l’environnement climatique accroît évidemment les risques vectoriels. L’actualité montre bien les risques que font peser les épidémies de chikugunya, de dengue et de zika sur la population ultramarine.

Face à cette réalité, j’ai pris des mesures fortes, des mesures urgentes et attendues.

En soutenant les établissements de santé, d’abord. J’assume de dire que j’ai été frappée, choquée même, par l’état de certains établissements lors de mes déplacements. Certaines situations sont tout simplement inacceptables en France, et soulèveraient l’indignation générale si elles se déroulaient en métropole. Alors j’ai voulu agir. Agir en soutenant massivement l’investissement hospitalier. Reconstruction du centre hospitalier de l’Ouest guyanais et bientôt de Cayenne, construction du pôle sanitaire de l’Ouest Réunionnais, mise aux normes du CHU de Fort-de-France et reconstruction du CHU de Pointe-à-Pitre. Evidemment, de tels chantiers prennent du temps. Mais ils sont là, ils sont engagés et ils aboutiront. Au total, près d’un milliard d’euros a été consacré à l’investissement hospitalier dans les Outre-mer. C’est une somme inédite et colossale.

L’urgence, c’était aussi de réagir face aux maladies vectorielles. A nouveaux risques, nouvelles réponses. J’ai ainsi, par exemple tout récemment, autorisé le remboursement des tests diagnostiques et mis en place un suivi spécialisé des syndromes post-chikungunya.

Urgence toujours, s’agissant de la prévention. C’est un combat que je porte sur l’ensemble du territoire national. La loi de modernisation de notre système de santé fait ainsi de la prévention le pilier de notre politique de santé. Le combat contre l’obésité, le diabète ou les grossesses précoces, la priorité donnée aux jeunes, sont désormais une réalité inscrite dans la loi et dotée de dispositifs nouveaux. J’ai aussi porté ce combat spécifiquement pour les outre-mer. Un exemple, parce qu’il est d’actualité, avec la proposition de loi sur la qualité nutritionnelle. Nous avions eu tort de penser que le combat s’arrêterait une fois la loi votée ! Le plus dur était de garantir la juste application de cette loi. Ce travail a été long, trop long. Les blocages et les obstacles ont été forts. Mais j’ai tenu bon, parce que j’ai la conviction que ce texte permettra d’améliorer la qualité des produits consommés outre-mer et donc la santé publique. L’arrêté établissant la liste des produits concernés a été publié hier et nous pouvons toutes et tous nous en réjouir.

Urgence enfin, s’agissant de l’accès aux soins. Avec le Pacte territoire santé, nous avons renforcé la présence médicale dans les territoires ultramarins. Les résultats sont là : à mon arrivée au Ministère, aucune maison de santé n’existait en outre-mer, on en compte aujourd’hui 20. C’est évidemment insuffisant, mais la dynamique est engagée et s’amplifie.

  1. L’urgence nous a mobilisés, mais elle ne nous a pas absorbés. J’ai lancé les travaux de cette stratégie justement pour sortir des seules réponses de l’urgence, et engager une réflexion prospective sur la santé outre-mer.

Nous avons fait le choix d’innover dans la méthode-même de construction de cette stratégie. Concrètement, la concertation avec les acteurs de terrain a permis d’identifier de grandes priorités qui recouvrent l’ensemble des territoires ultramarins. A partir de là, une feuille de route personnalisée à chaque territoire a été élaborée, avec ses actions et ses mesures propres. Elles ont été validées par les Conférences régionales de santé et de l’autonomie (CRSA). Je veux donc vous présenter les grandes priorités de cette stratégie de santé outre-mer : la prévention, la veille sanitaire, la perte d’autonomie, la modernisation de l’hôpital et l’accès aux droits.

  • Le premier axe, c’est de renforcer la prévention pour mieux lutter contre les inégalités de santé.

L’isolement de certains territoires et la précarité empêchent une partie de la population d’accéder à l’information. C’est pourquoi, sans doute plus qu’ailleurs, l’ensemble des acteurs doivent se coordonner pour transmettre des messages clairs de prévention et garantir que chacun puisse protéger sa santé.

Les idées sont là, les initiatives aussi. A la Réunion, c’est un programme de sports pour les seniors. En Guadeloupe, un label pour les restaurants et les food trucks situés à proximité des établissements scolaires et s’engageant à promouvoir une alimentation plus saine. Je veux aider ces projets à se déployer, à se dupliquer dans d’autres territoires. Nous fixons un cadre pour cela : les programmes régionaux Alimentation Activité Nutrition Santé (PRAANS). Concrètement, ces programmes permettront de mobiliser les services de l’Etat et les collectivités territoriales pour concrétiser des projets et s’inspirer de ce qui a fonctionné ailleurs. En matière de dépistage ensuite, nous fixons l’objectif d’aller vers l’ensemble des populations ultramarines, même les plus éloignées des structures de soins, grâce à la diffusion massive des TROD et des autotests. Enfin, plusieurs mesures nouvelles visent à réduire la part des décès maternels évitables, en renforçant notamment le suivi des grossesses à risque pour les très jeunes femmes ou celles qui souffrent de diabète ou d’hypertension.

Pour assurer le bon déploiement de ces mesures, je fais le choix, malgré le contexte financier contraint qui invite à limiter nos dépenses, de garantir l’enveloppe de 40 millions d’euros par an affectée à la prévention dans le cadre de fonds d’intervention régionaux.

  • Le deuxième axe, c’est l’amélioration de la veille, de l’évaluation et de la gestion des risques sanitaires.

Les outre-mer sont les territoires français en première ligne face aux crises sanitaires. Ils s’y sont évidemment habitués, et on su construire une réponse forte, une organisation collective. L’enjeu, c’est donc de s’appuyer sur ces initiatives, sur ces actions innovantes, pour renforcer la préparation aux crises. Sur la base des initiatives du terrain, nous allons donc faire évoluer les plans de prévention et de lutte contre les maladies zoonotiques et le paludisme. Les agences régionales de santé devront poursuivre les actions de formation de leurs agents à la gestion des alertes et des crises et développer leurs systèmes d’informations.

  • Troisième axe : nous voulons mieux répondre aux besoins de nos concitoyens dans le champ de l’autonomie

La loi sur l’adaptation de la société au vieillissement constitue une étape historique pour l’autonomie des personnes âgées. Elle encourage les initiatives des collectivités locales et des ARS à travers l’action des collèges des financeurs. La Guadeloupe et La Réunion sont d’ores et déjà en phase d’expérimentation. Je souhaite que les autres territoires ultramarins puissent eux-aussi s’engager rapidement dans cette voie.

Toujours dans le champ médico-social, je souhaite donner un nouvel élan à la politique du handicap outre-mer. Le dispositif « zéro sans solution » sera évidemment appliqué outre-mer. Mais il faut aller plus loin.

Je sais les retards dont souffrent nombre de territoires. Je sais aussi que, bien souvent, les projets sont là, prêts à sortir mais condamnés à attendre faute de financements. Je pense par exemple au projet d’Institut médico-éducatif de Saint-Laurent du Maroni, qui m’a été présenté lors de mon déplacement. A Mayotte, à Saint-Martin, des projets sont aussi en cours d’élaboration. Le Président de la République a annoncé la semaine dernière une enveloppe de 180 millions d’euros affectée à la création de solutions nouvelles. Je peux d’ores et déjà vous annoncer qu’au moins 20 millions d’euros seront consacrés aux territoires ultramarins et à ces projets prêts à voir le jour. Enfin, je veux que nous renforcions le dépistage et la prise en charge précoces des handicaps. Le rôle de la commission régionale de la naissance et de la périnatalité est central et sera donc renforcé.

  • Quatrième axe: renforcer l’efficience du système de santé.

L’organisation des hôpitaux doit être repensée pour gagner en efficacité. C’est pourquoi j’ai demandé à l’IGAS, à l’ANAP et à l’ensemble des services de mon ministère de se mobiliser pour accompagner les deux CHU des Antilles sur un programme de long terme. L’objectif, c’est de mettre tout le monde autour de la table avec les agences nationales venant en appui des acteurs locaux. Avec George PAU-LANGEVIN, nous savons que nous pourrons compter sur la mobilisation des services de l’Etat en région, des parlementaires et des élus locaux pour mener à bien ce travail.

Renforcer le système hospitalier, c’est aussi revoir le modèle de financement des établissements de santé pour mieux prendre en comptes les surcoûts spécifiques aux Outre-mer. C’est un sujet dont les élus me parlent fréquemment, parce que bien souvent, les effets néfastes de la T2A constatés au niveau national sont plus importants encore dans les territoires ultramarins. J’ai enclenché un mouvement pour sortir du « tout T2A ». Dès cette année, les dispositifs de financement d’activités isolées et de meilleure prise en compte de l’accompagnement de la précarité seront appliqués outre-mer. Concrètement, ce sont des moyens financiers en plus pour les hôpitaux de proximité. Je veux poursuivre ce mouvement et aller encore plus loin : je prendrai dans les prochains mois une mesure pour mieux prendre en compte les surcoûts outre-mer. Cette mesure aura vocation à entrer en application dès l’an prochain.

  • Enfin, le cinquième et dernier axe vise à renforcer l’accès aux droits.

Le droit d’accéder à ses droits, doit devenir une réalité pour les ultramarins. La mise en place de la protection universelle maladie (PUMA), qui mettra fin aux ruptures de prise en charge liées aux parcours de chacun, constitue un levier majeur pour cela. Il s’agit encore de renforcer l’accès aux droits en développant les modalités d’instruction prioritaire pour permettre à des publics sensibles, notamment les femmes enceintes ou les personnes les plus isolées géographiquement, d’être pris en charge lorsqu’ils se déplacent pour recevoir des soins adaptés.

Mesdames, messieurs,

Cette stratégie est ambitieuse parce qu’elle s’appuie sur les atouts des outre-mer, sur leurs idées et leur capacité d’initiative. Nous avançons de manière pragmatique et réaliste. Les feuilles de routes personnalisées seront présentées dans chaque territoire dans les semaines à venir.

Cette stratégie nécessite la mobilisation de tous les acteurs pour porter ses fruits. Je sais que les professionnels de santé, les directeurs des agences régionales de santé, les élus et les conférences régionales de santé et d’autonomie sauront s’impliquer pour la réussite de ce projet. Je veillerai, de mon côté, ce que l’ensemble du Gouvernement s’en empare. Parce que lorsque l’on parle diabète, par exemple, on parle santé mais on parle aussi sport et alimentation.

La santé est l’affaire de chacun et de tous. Il nous faut unir nos forces, conjuguer nos efforts pour aller de l’avant. Nous avons désormais un cadre pour cela. A nous de jouer !

Je vous remercie.

Author: Redaction