Mon analyse de la manifestation de dimanche contre l’antisémitisme (pour Atlantico, avec M. Jean Petaux)

1/ Les gens qui se sont déplacés dans ces manifestations étaient davantage bourgeois et âgés, là où les manifestants pro-palestiniens sont plus jeunes. Quel tableau sociologique cela donne de la France derrière les chiffres eux-mêmes, au regard de la composition de la foule ? Que nous dit ce tableau de la manière dont se structure le débat politique en France ?

La manifestation de ce jour contre l’antisémitisme a été qualifiée « d’essentielle » par le Grand Rabbin de France et saluée par le président du CRIF. Elle a permis de médiatiser un geste précieux et salutaire de solidarité envers la communauté juive de France particulièrement meurtrie par les événements d’Israël et qui fait l’objet de violences croissantes en France au point de devoir quitter certains quartiers dits « perdus de la République ». A ce titre elle est un succès.

Cependant, avec 105 000 participants à Paris, 180 000 en France, le bilan de la manifestation du 12 novembre contre l’antisémitisme est-il triomphal ou un succès en demi-teinte? C’est toujours l’histoire du verre à moitié vide ou à moitié plein. A l’évidence, on était loin du million et demi à Paris et 3 millions en France le 11 janvier 2015, huit ans auparavant, à la suite des attentats de Charlie Hebdo et de la Porte de Versailles alors que le nombre de compatriotes massacrés était encore plus important: 40 et plusieurs otages dont des enfants.

Alors, évidemment, qu’est-ce que 180 000 manifestants sur  64 millions de Français, un sur 228 ! Ce niveau de participation, certes satisfaisant, méritait-il l’enthousiasme des commentateurs sur les plateaux de télévision au regard du 11 janvier 2015 ? D’autant plus qu’au premier regard, la jeunesse et ladite « diversité » brillaient par leur absence… Sur le plan de la composition sociologique on retrouve le public de janvier 2015 (beaucoup moins nombreux). C’est aussi la confirmation de la fracture de la société française entre la classe moyenne d’origine européenne et la population issue de l’immigration du Sud. Un tableau tout de même inquiétant montrant une fois de plus un pays fracturé…

2/ Au regard de la culture politique française, avec un président dans les habits d’un monarque républicain, l’absence d’Emmanuel Macron a-t-elle empêché de signifier au monde entier que la France était bien dans la rue ?

Une explication partielle à cette mobilisation réussie, mais quand même en demi-teinte, était l’absence du chef de l’Etat, unanimement regrettée par les participants qui s’exprimaient devant les caméras et les micros. On se gardera ici de juger les motivations de ce dernier. Toujours est-il que la plupart des commentaires entendus à la télévision et sur les radios, et même de la part de sympathisants macronistes, déploraient non seulement son absence, mais aussi des revirements de sa part sur la guerre entre Israël et le Hamas.

Pourquoi, nous disaient les personnes interviewées sur les radios et sur les écrans, y aller si le chef de l’Etat donne l’exemple en ne s’y rendant pas? Et surtout, sur quel socle pourrait se fonder l’unité nationale dès lors que le chef de l’Etat, ou le « guide de la Nation » comme disait de Gaulle ne propose pas une orientation claire ? Telle était la tonalité des commentaires. Pour autant, le fait que l’appel à la manifestation ait été lancé par M. Larcher et Mme Braun-Pivet est un signe révélateur d’un tournant dans l’histoire politique comme si l’autorité morale s’éloignait de l’Elysée pour revenir au parlement.

3/ Alors que Mélenchon joue sur la conflictualisation, l’idée d’un bloc contre un autre, dans un schéma politique traditionnel, les responsables politiques au pouvoir, Emmanuel Macron en tête, restent dans un monde dépolitisé avec des individus atomisés où on essaye de mobiliser les gens qu’avec des slogans, à défaut de créer des creusets sociologiques. Dans quelle mesure Emmanuel Macron n’a-t-il toujours pas compris qui il avait en face de lui ?

Alors, encore une fois sans réduire les aspects positifs et heureux de cette mobilisation, il est légitime de se demander : pourquoi, malgré une belle participation,  dix fois moins que pour Charlie et la porte de Vincennes ? Alors que le nombre de Français tués était encore plus élevé ?

Hélas, les polémiques politiciennes ont quelque peu terni l’image de l’appel de M. Larcher et Mme Braun-Pivet. Les déchirements de la gauche et le prétexte donné par LFI pour ne pas y participer – la présence du RN – a pu dissuader une partie des jeunes de s’y rendre en tout cas, ruiner le mythe de l’unité nationale autour de cette manifestation. D’autant plus que le calcul de LFI consiste en effet à attiser les clivages, à séduire la France dite de « la diversité » contre une France dite « traditionnelle ». Ce climat de déchirement n’était pas propice à un élan unitaire.

Par ailleurs, il est heureux, souhaitable et même réjouissant que des électeurs et même militants du RN soient présents à titre individuel. Mais qu’est-ce qui justifiait la participation ostentatoire du RN en tant que parti politique avec à sa tête Mme le Pen et ses collaborateurs, sinon un calcul de posture, la stratégie de récupération et de dédiabolisation, c’est-à-dire la basse politicaillerie ? D’ailleurs, qu’ont à faire les partis (en tant que tels) dans une manifestation unitaire qui doit justement transcender les logiques partisanes?

La lutte contre le terrorisme islamiste et l’antisémitisme est un sujet bien trop dramatique pour s’accommoder de ce genre de démarches politiciennes sur lesquelles les médias radio-télévision se sont beaucoup focalisés. On comprend que cette présence affichée, partisane, ostentatoire, clivante ait pu dissuader des personnes de s’y rendre.

Et aussi, l’absence d’un chef de l’Etat qui devrait être au-dessus de la mêlée, incarner l’unité nationale ne pouvait que renforcer cette impression d’une manifestation prise en otage de certaines passions politiciennes au rebours du nécessaire consensus face à une telle situation.

4/ « Il faut qu’une marche conduise à une démarche », a clamé le président du Sénat Gérard Larcher hier. Quelles décisions le gouvernement doit-il prendre pour lutter de manière efficace, et non pas qu’avec des appels à l’unité, contre l’antisémitisme ?

Le jeu de mot est bien trouvé, presque un peu facile… Un Français sur 228 était présent dans les manifestations : cela ne signifie absolument pas que le pays se désintéresse de la situation ou qu’il soit gagné par l’indifférence envers la tragédie d’Israël, l’horreur de l’antisémitisme, le massacre de 40 compatriotes dont des enfants et plusieurs otages dont des nouveau-nés. En revanche, ce niveau de mobilisation révèle peut-être une lassitude de l’opinion devant l’envahissement de l’émotionnel.

Bien sûr ce témoignage de solidarité envers la communauté juive était indispensable et il convient d’en remercier M. Larcher et Mme Braun-Pivet.

Mais mettons-nous à la place des Français. Après le massacre de Charlie Hebdo et la Porte de Vincennes, il y a eu une manifestation d’1,5 million de personnes à Paris. 11 mois plus tard, se déroulait le massacre du Bataclan, puis celui de Nice. Alors, l’émotionnel, pourquoi pas ? Mais que règle-t-il concrètement ?

Surtout, ce que les Français attendent aujourd’hui, au-delà des couronnes de fleurs et des marches blanches, c’est une politique, des actes. Pour combattre le chaos qui s’empare du pays depuis longtemps, et la barbarie dont l’antisémitisme marque le paroxysme, il faudrait des décisions fermes et courageuses sur l’école, sur la répression impitoyable de la délinquance et l’insécurité – par exemple des peines planchers –, sur la lutte contre l’islamisme sous toute ses formes qui doit être d’une fermeté absolue ou sur la maîtrise des frontières.

Tels sont les vrais sujets qui mériteraient des réformes constitutionnelles… Il faudrait faire le bilan d’une politique qui depuis au moins un demi siècle nous a conduit à l’impasse où nous sommes. Mais de cela il n’est guère question. Comme si l’émotionnel comblait le vide laissé par le politique. Et cela, le peuple qui est plus intelligent que ne le pensent leurs dirigeants, l’a parfaitement compris…

MT

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Author: Redaction

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