Lecture: Le dernier carré, sous la direction de Jean-Christophe Buisson et Jean Sévillia, Perrin 2021

« Waterloo, 18 juin 1815 […] Le destin hésite, puis bascule. Lorsque Zieten et Wellington repassent à l’attaque, il ne reste, autour de Napoléon, que trois bataillons de la Garde, dont l’un commandé par Cambronne, qui luttera jusqu’au bout non sans avoir lancé un mot cru qui nourrira la légende après avoir conclu l’épopée. »

Le dernier carré est un livre passionnant dont le thème est celui de l’honneur ou du sacrifice, le combat de ceux qui refusent de se rendre même quand tout semble définitivement perdu. Il aurait pu aussi s’intituler « l’histoire des hommes qui ne renoncent jamais ». Les vingt-cinq chapitres qui illustrent le comportement de combattants dos au mur et poursuivant leur résistance, soulignent la constance de la nature humaine: tout change, sauf les caractères et les comportements qui demeurent identiques malgré des époques et des conditions extrêmement différentes. D’ailleurs, les exemples puisés dans l’histoire vont de Thermophile en 480 avant JC, pour la liberté des Grecs, jusqu’à la bataille de Kobané en 2014, le Stalingrad kurde contre l’Etat islamique Daesh.

Chacun de ces brefs chapitres d’une vingtaine de pages est à lui seul une formidable leçon d’histoire universelle, rédigée dans un style synthétique et limpide. Tous ces récits sont aussi incroyablement divers dans le temps et l’espace, que ressemblants par la psychologie humaine qui s’en dégage .

On retiendra par exemple l’ultime combat de Pontiac, Amérindien du Canada, fidèle à l’alliance des Français et des Amérindiens qui, après la cession par la France du Canada à l’Angleterre, poursuit le combat entre 1763 et 1769 contre le colonisateur britannique avant d’être assassiné. (Récit de Mathieu Bock-Côté).

L’un des récits les plus emblématiques et les plus sidérants de ce livre est celui des soldats français enfermés dans les forteresses de la ligne Maginot, qui refusent de se rendre à la Wehrmacht après la débâcle de l’armée française et l’armistice du 22 juin 1940. Trois jours plus tard, assiégés, quelques Français, résistants avant l’heure, continuent de ferrailler. « Les ouvrages, progressivement encerclés, refusent de se rendre, à de très rares exceptions près, et poursuivent le lutte, comme celui de Fermont qui tire encore le 25 juin en riposte à une dernière attaque allemande. Un commandant d’ouvrage en fait le constat: A l’heure du cessez-le-feu, nous tenons toujours, nous n’avons pas été vaincus et nous disposons de tous nos moyens de feu. Par conséquents, nous ne sommes pas prisonniers […] On ne voulait pas sortir des ouvrages les bras en l’air. » Cette belle et incroyable histoire si bien racontée par Rémy Porte soulève une question évidente: pourquoi un tel épisode qui contraste avec l’image d’Epinal d’une armée démotivée et d’une France soumise et pacifiste en mai-juin 1940 n’est-il pas mieux connu des Français. Cela viendrait-il de la tyrannie de la haine de soi?

Mais ce livre n’est pas forcément un hommage à l’héroïsme. Les derniers carrés sont souvent formés de héros mais aussi de fanatiques. On y apprend par exemple que certains régiments de la Wehrmacht par fidélité au nazisme et surtout l’espoir d’échapper à la captivité en URSS, ont continué de se battre jusqu’au 11 mai, quatre jours après la capitulation de Reims, contre l’armée soviétique sur les rives de la mer baltique.

Sa richesse tient à la fantastique diversité des thèmes qui y sont abordés autour d’un commun dénominateur, dont certains nous sont familiers mais d’autres, la plupart, nous ouvrent la porte d’événements moins présents dans notre mémoire collective. Il en est ainsi de la résistance passionnée et sanglante des Jacobites d’Ecosse (fidèles à Jacques II Stuart, roi d’Angleterre, d’Ecosse et d’Irlande, catholique et proche de Louis XIV), à la conquête de la Grande-Bretagne et au couronnement de Guillaume d’Orange en 1689 (Christophe Parry). Outre les chapitres déjà évoqués:

  • Massada mai 73 après JC, le suicide collectif des zélotes juifs, par Georges Ayache;
  • Montségur, 1244, le dernier bûcher cathare, par Paulin Cesari;
  • Trébizonde, 1463, les ultimes feux de l’Empire bizantin, par Joseph Macé-Scaron;
  • Cévennes, 1702-1704, la guerre des Camisards par Agnès Walch;
  • Vendée-Bretagne, 1815, la Chouannerie des Cent-jours par Jean Sévillia;
  • Europe-Amériques, 1815-1821, une diaspora militaire napoléonienne par Thierry Lentz;
  • Oklahoma, 1865, le combat perdu de Stand Watie, Cherokee sudiste;
  • par Vincent Bernard; Mexique, 1867, la chute d’un empire illusoire, par Jean Sévillia;
  • Rome, 1870, les zouaves pontificaux contre le royaume d’Italie, par Christophe Dickès;
  • Paris 1871, les espérances mortes des communards, par Jean-Christophe Buisson;
  • Japon, 1877, Saigo Takamori, le dernier samouraï, par Vincent Jolly
  • Irlande, 1923, les vaincus de la guerre civile, par Pierre Joannon
  • De la Crimée à la Tunisie, 1920-1924, l’agonie des armées blanches
  • Mexique, 1934-1937, les braises de l’incendie cristero, par Isabelle Schmitz
  • Allemagne 1945, les derniers bataillons nazis par Jean Lopez
  • Espagne, 1942-1952, les maquis rouges oubliés, par Emmanuel Hecht
  • Lituanie 1944-1655, l’épopée des « frères de la forêt » par Jean-Christophe Buisson
  • Alger, 1962, le crépuscule de l’Algérie française, par Jean-Pax Méfret
  • Asie du Sud-Est, 1949-1975, les guérillas de la liberté par Jean-Louis Tremblais
  • Liban 2000, le baroud désespéré des soldats chrétiens par Jean-rené Van Der Plaesten.

MT

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Author: Redaction