Lecture: La violence et le sacré, René Girard, Grasset, 1972.

Pourquoi chroniquer un ouvrage si ancien? Mes lectures se font au fil des rencontres de  hasard avec les livres, comme des amis, dans les bibliothèques et les librairies et d’ailleurs, je conçois la vie comme le rattrapage de tout ce que j’aurais dû acquérir dans l’enfance et la jeunesse… « La violence et le sacré » fait partie des chefs d’oeuvre de la pensée du XXe siècle, de ces textes dont la lecture fournit une grille de lecture du monde contemporain.

Pour René Girard, « le désir est essentiellement mimétique, il se calque sur le désir modèle; il élit le même objet que ce modèle« . Or, « Deux désirs qui convergent sur le même objets se font mutuellement obstacle. Toute mimesis portant sur le désir débouche automatiquement sur le conflit. »

C’est pourquoi selon lui, la violence est inhérente à toute forme de vie sociale. Elle est d’autant plus féroce que les « différences » entre les hommes – justifiant des désirs différenciés – s’estompent. Le nivellement naturel correspond à une marche des sociétés vers l’uniformité (mis en question des traditions fondatrice des hiérarchies rituelles, sociales, sexuelles ou liées à l’âge). Il produit ainsi les conditions d’une explosion destructrice: les membres du corps social convergent tous vers les mêmes désirs.

Comment dès lors, s’interroge le penseur, l’humanité peut-elle survivre et se développer dans ces conditions? Selon lui, les sociétés se préservent en canalisant la violence réciproque sur une victime émissaire, qui est l’un de ses membres, représentatif des autres, mais qui se voit, par ce biais, ostracisé et considéré comme un être singulier. Le sacrifice est l’acte par lequel la violence réciproque est canalisée sur cette victime émissaire. Celle-ci, dès lors, est à la fois maudite – au moment du sacrifice – et magnifiée en tant que fondatrice du nouvel ordre social pacifié qui est issu de la crise sacrificielle.

La victime émissaire se voit sacralisée et devient un emblème d’essence religieuse, socle de la paix renouvelée, d’un nouvel ordre social et culturel.  « C’est bien pourquoi toute existence sociale serait impossible s’il n’y avait pas de victime émissaire, si, au-delà d’une certain paroxysme, la violence ne se résolvait pas en ordre culturel. Au cercle vicieux de la violence réciproque, totalement destructrice, se substitue le cercle vicieux de la violence rituelle, créatrice et protectrice. » 

René Girard fonde sa démonstration sur les études ethnologiques,  les mythologies de la Grèce antique, les grands textes de la littérature et de la pensée occidentale – Freud y est abondamment cité. Il n’évoque quasiment jamais, dans ce livre considéré comme son chef d’oeuvre, les implications possibles de ses réflexions sur l’interprétation du monde contemporain. Cependant, il nous fournit un outil prodigieux de compréhension de la réalité et de l’actualité, autour du désir mimétique, de la violence apocalyptique qui domine l’esprit humain et du sacrifice rituel de la victime émissaire comme issue à la destruction générale.

A lire aussi: Des choses cachées depuis la fondation du monde (Grasset, 1978), où René Girard applique sa théorie à la bible et au christianisme, et Les origines de la culture, Desclée de Brouwer,  2004, ouvrage de synthèse et de vulgarisation de son oeuvre.

Maxime TANDONNET

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Author: Redaction