Lecture d’été: Napoléon, Jean Tulard, Fayard 1977

Il paraît que l’on enseigne plus, ou si peu, Napoléon au collège et au lycée. Voici une bonne raison pour se replonger dans ce grand classique des biographies de Napoléon. L’ouvrage est complet et didactique en même temps, trouve un bel équilibre entre l’événementiel et la description de la société française de ce temps. Jean Tulard nous fait partager un agréable moment de littérature historique. Ce livre a un immense avantage: il est non idéologique, non partisan, ne cherche pas à nous imposer un jugement de valeur, un point de vue politicien (ce qui est le sommet de la vulgarité et de la bêtise quand on prétend se mêler d’histoire).  Sans revenir à la chronologie, très claire dans cet ouvrage, ni au contenu proprement dit, voici quelques rappels ou considérations éparses que sa lecture m’a inspirés:

  1. Aucune conviction ne tient face à l’ambition et à l’orgueil. On l’oublie souvent: Napoléon est une créature de la Terreur. Venu de l’aristocratie corse, il a bâti sa carrière sur un engagement initial en faveur de l’indépendance de la Corse (pascal Paoli). Puis, avant tout ennemi de la monarchie qu’il exècre, il embrasse la cause jacobine, proche de Robespierre « le jeune » (le frère de Maximilien) et alors partisan résolu de la Convention dans ce qu’elle a eu de plus sanglant. Arrêté pour robespierrisme à la suite de Thermidor, c’est par une sorte de paradoxe étonnant qu’il est devenu par la suite l’icône du camp conservateur. Le grand écart entre la vision contemporaine de Robespierre, généralement considéré comme diabolique, et Napoléon, vu comme un héros de l’histoire, a quelque chose de contradictoire quand on sait que tous deux ont été des alliés jusqu’aux pires moments de la Terreur et la carrière de Napoléon issue en partie de cette alliance.
  2. La force du charisme: Napoléon est un personnage au départ assez banal. Il est maigre, mal habillé,  d’allure complexée, d’une apparence extrêmement simple, voire minable, tel que le décrivent ses contemporains, vêtu d’une gabardine trop grande pour lui, élève et étudiant moyen, même lors de sa scolarité militaire, faible orateur, avec son accent corse. Son « génie politique », n’est pas non plus évident, plus souvent mené par les événements et exploité par d’autres (Barras) que vraiment tacticien et dominateur. Intelligence stratégique sur le champ de bataille? Sans doute mais il est servi par une génération de grands généraux, le dynamisme et la jeunesse d’un peuple, commet lui-même parfois de lourdes erreurs. Non, sa puissance personnelle tient sans doute à autre chose: un étrange et mystérieux charisme. Il envoûte, magnétise, ensorcelle ce qui l’approchent, en particulier ses généraux et ses soldats: la simplicité, le regard, la voix, un rayonnement mystérieux, indescriptible, qualité indéfinissable, propre aux « grands hommes ».
  3. Qu’est ce que le culte de la personnalité? Il en est de deux sortes: au XXIe siècle, la personnalisation du pouvoir est une construction factice, médiatique, sublimation sans fondement de personnages le plus souvent médiocres. A l’évidence, le culte de la personnalité, sous Napoléon, est tout autre chose: le fruit d’une oeuvre gigantesque.  Jusqu’à 1804, Napoléon, ou plutôt Bonaparte, est dans une logique d’héroïsme pur. Le personnage est immense. Il entraîne le pays par son fabuleux rayonnement. Les exploits qu’il accomplit sont sans équivalents dans le monde contemporain. Songeons un peu: en cinq ans, il remodèle en profondeur la carte de l’Europe notamment après Marengo (soumission de l’Autriche, domination sur l’Italie, l’Allemagne occidentale, paix d’Amiens avec la Grande Bretagne). Il accomplit la prouesse gigantesque de pacifier la France, en conciliant les acquis de la Révolution (principe d’égalité, code civil, biens nationaux) et l’essentiel de la France traditionnelle à travers le Concordat et la réhabilitation du christianisme. Après la Révolution, Napoléon réconcilie la France avec elle-même et favorise un grand élan de prospérité. Il fallait le faire…
  4. L’héroïsme est éphémère. Voici un point de vue personnel que nul n’est obligé de partager. A partir de 1804-1805, il me semble que le héros immense, au sommet de sa gloire, bascule dans la démesure. Ainsi parle-t-il après Austerlitz, et un an après son couronnement: « Soldats, la dynastie de Naples a cessé de régner! Son existence était incompatible avec le repos de l’Europe et l’honneur de ma couronne. Marchez, précipitez dans les flots, si tant est qu’ils vous attendent, ces débiles bataillons des tyrans des mers. [A Joseph] « Vous lui direz que je le fais roi de Naples, mais que la moindre hésitation, la moindre incertitude le perd entièrement. Je ne reconnais pour parents que ceux qui me servent. Ceux qui ne s’élèveront pas avec moi ne seront plus de ma famille. J’en fais une famille de rois ou plutôt de vice-rois. » L’esprit humain, quel qu’il soit, est fragile.  Ces paroles ne me paraissent pas être celles d’un homme qui a gardé toute sa lucidité. Elle ne sont pas celles d’un personnage sensé, ayant conservé toute sa raison. Il me semble, à la lecture de ces phrases, que Napoléon, à ce stade, aveuglé par son succès, a perdu pied et que son désastre est déjà en gestation. Je crois qu’il n’est d’héroïsme dans l’histoire que de courte durée, éphémère, le « sauveur » a une mission de quelques mois, quelques années au grand maximum, mais dès qu’il tente d’inscrire son action dans le temps, de s’incruster, de fixer, d’institutionnaliser son héroïsme, il roule à l’abîme entraînant son peuple avec lui.

Maxime TANDONNET


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Author: Redaction