Lecture: De l’Histoire à l’histoire, Daniel Cordier, Témoins, Gallimard, 2013 (par Cyril)

Daniel Cordier est né en 1920 à Bordeaux dans une famille de négociants. Il a été parmi les premiers Français à rejoindre le Général de Gaulle après l’appel du 18 juin 1940. Il fut révolté par l’annonce de l’Armistice. Il devint secrétaire de Jean Moulin par hasard, marchand d’art par passion et historien par accident.

Il est l’auteur de Jean Moulin, l’inconnu du Panthéon (1989), Jean Moulin, la République des catacombes (1999) puis d’Alias Caracalla (2009).

Il avait pris ses distances après la guerre en préférant le silence, seule réponse à apporter à tous les mensonges qui fleurissaient dans la société des années 1950 pour faire croire que la France avait été majoritairement résistante. Il a vu comment certains Français se sont conduits pendant l’Occupation et il a entendu comment ils en ont parlé après guerre : comique et honteux.

En mars 1943, à Paris, l’auteur raconte avoir remarqué sur le trottoir un homme d’une soixantaine d’années accompagné d’un enfant : tous les deux portaient l’étoile jaune. C’était la première fois qu’il en voyait. « Je ressens encore l’insupportable choc de cette scène ». Il s’agissait de deux êtres innocents marqués comme du bétail. « Je fus envahi par la honte…; de ce jour, mon passé idéologique [maurrassien] s’est désintégré ».

Daniel Cordier et Jean Moulin viennent en effet d’horizons très différents. Pourtant « Rex » (Jean Moulin) lui fait confiance en le prenant comme secrétaire, en le jugeant sur son engagement à rejoindre la France libre et De Gaulle et non sur ses convictions. C’est seulement en octobre 1944 qu’il apprendra qui était « Rex », son patron.  Pierre Meunier, qui a connu Jean Moulin au ministère,  le lui révèlera.

Daniel Cordier regrette très fortement que les résistants n’aient pas tenté de faire sortir Jean Moulin de prison après l’arrestation de Caluire. « Cela en dit long sur ce que la résistance pensait de lui » (page 134).

Après l’arrestation de Jean Moulin, en raison d’une trahison, Daniel Cordier alias « Alain » continue son travail mais la Gestapo arrête plusieurs de ses amis fin 1943 et dispose même d’une photo de lui. Il veut partir pour Londres. Puis en mars 1944, il part finalement en Espagne et est arrêté par la police espagnole, il est emprisonné pendant un mois. Il y voit des soldats allemands déserteurs. Puis il est libéré, s’envole pour Londres et travaille au BCRA.

Au retour de la guerre, il rentre à Bordeaux et d’anciens camarades lui disaient « Qu’est ce que tu fichais à Londres ? »  « Cette question témoignait d’un grand mépris à mon égard » (page 148). Il rencontre et livre son témoignage à Laure Moulin, la soeur de Jean, alors qu’elle rédigeait la biographie de Jean (cf Laure Moulin, Jean Moulin, Les Editions de Paris, 1969).

Il explique que le combat des résistants intéressait peu ou pas une majorité de Français (les gens avaient peur, refusaient souvent de loger des résistants etc.), avec des exceptions telles Mme Moret qui l’héberge, l’accueille en le considérant comme son fils. Les Français ne voulaient pas se battre. En plus, le nombre important de dénonciations provoquait des hécatombes. « Voilà la vérité que chaque Français doit assumer pour lui même ».

Jean Moulin avait compris la faiblesse des mouvements de résistance et avait décidé d’intégrer les syndicats et anciens partis au Conseil de la Résistance, ce qui provoquait des tensions avec certains chefs résistants dont Henri Frenay. Ce dernier lors d’une émission de télévision en 1977 attaque la mémoire de Jean Moulin en le qualifiant de crypto communiste. Daniel Cordier va alors tenter de défendre Jean Moulin en réalisant des recherches historiques pendant les années d’après. 

Il rend hommage à ses amis résistants, courageux, bravant les dangers liés à la clandestinité. François Briant, Maurice de Cheveigné, Stéphane Hessel rencontrés à Londres, seront arrêtés et déportés puis libérés des camps.

Deux autres amis, compagnons de la Libération, ont travaillé avec lui au secrétariat de Jean Moulin. Laure Diebold et Hugues Limonti ont été arrêtés en 1943, déportés mais reviendront vivants des camps.

Il raconte sa cruelle déception de constater, tout au long de la guerre, le silence et l’inaction d’écrivains qu’il admirait, tels Gide ou Valéry. « Combien d’intellectuels ont véritablement participé au combat ? « (page 127).

Ce livre retrace les lignes de la grande Histoire (celle que l’on vit) et la petite histoire (celle que l’on écrit). Aussi, l’auteur explique que les témoignages sont parfois peu fiables  (notre mémoire peut nous tromper) alors que les documents sont des preuves pour les historiens et sont irréfutables (par exemple les archives du BCRA, bureau central du renseignement et d’action).

D’après lui, le seul engagement qui honore un homme est celui de la Liberté. En 2013, il restait 23 Compagnons de la Libération, aujourd’hui, en 2022, ils sont tous décédés.

Daniel Cordier est décédé le 20 novembre 2020 et Hubert Germain, dernier Compagnon, le 12 octobre 2021.

A nous de transmettre leurs récits, leurs ouvrages et honorer leur mémoire…

Cyril

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Author: Redaction