Le nouveau rôle du parquet en matière commerciale

Regard croisé de deux magistrats du ministère public sur l'évolution du rôle du parquet en matière commerciale. 

Stéphanie Paguenaud et Christophe Delattre sont entrés dans la magistrature avec une idée précise : celle qu'un jour ils participeraient à la Justice commerciale, animés par l'envie de prendre leur part dans le règlement des difficultés des entreprises et d'apporter au sein de la magistrature leur connaissance du monde de l'entreprise. Un monde dans lequel ils ont travaillé pendant de nombreuses années, comme assistante de direction pour Stéphanie Paguenaud et comme collaborateur d'un mandataire de Justice pour Christophe Delattre. Un monde qu'ils ont également beaucoup « aimé » et dans lequel ils souhaitaient continuer à s'investir.

Estimant l'un comme l'autre que le rôle du parquet est primordial en matière commerciale, ils y consacrent une partie non négligeable de leur temps de travail. Pour Stéphanie Paguenaud, cela représente 20% de son temps et pour Christophe Delattre 40%. « Tous les dossiers d'entreprises en difficulté passent entre mes mains » précise ce dernier. Dans leur travail, il y a trois moments importants : l'analyse du dossier, l'audience et le contrôle des décisions rendues par le tribunal de commerce. Pour Stéphanie Paguenaud, « tout commence par l'analyse des bilans et par la lecture de la déclaration de cessation des paiements, faite par le dirigeant, en cas de dépôt de bilan » Des informations certes essentielles mais insuffisantes. Les deux magistrats conseillent également de consulter le site internet des greffes des tribunaux de commerce (appelé ''infogreffe'') et de contacter l’Urssaf, les services fiscaux, la Direccte (ancienne inspection du travail) ainsi que le Codéfi (le comité départemental d’examen des problèmes de financement des entreprises). 

 

Préserver le tissu économique et l'emploi

Comme la procédure est orale, beaucoup de choses sont dites à l'audience. C'est un moment-clé. « Les juges consulaires ont une expertise du monde de l'entreprise », explique Stéphanie Paguenaud, qui ajoute que le ministère public apporte, quant à lui, également son expertise juridique. « Nous sommes les gardiens de l'ordre public économique » renchérit Christophe Delattre, qui voit dans la présence du parquet la garantie d'une sécurité juridique accrue. Pour Stéphanie Paguenaud, il faut préserver le tissu économique, l'emploi mais « pas à n'importe quel prix », « pas au mépris de la règle de droit ». En veillant au respect de la loi, et en rappelant aux parties cette nécessité,  les magistrats du parquet facilitent le travail des juges du siège, et le rendent plus efficace. « Les juges consulaires sont très satisfaits de notre présence » insiste Christophe Delattre. 

L'audience permet également au magistrat du parquet de dialoguer avec le dirigeant, de se faire une idée plus précise de la situation et de s'assurer que les mesures prises sont opportunes. « J'aime poser des questions sur les chiffres, vérifier que ce que dit le dirigeant correspond bien à la réalité souligne Stéphanie Paguenaud. Grâce aux chiffres, on voit très vite s'il est sincère et si l'on dispose de marges de manœuvre ». A l'audience, il y a une forte dimension humaine, voire psychologique. « Il faut être à l'écoute des dirigeants, de leur état d'esprit, être capable de valoriser leurs atouts et ceux de leur entreprise mais aussi être capable de leur dire la vérité sur la situation » ajoute-t-elle. Le rôle du ministère public lors de l'audience est également de responsabiliser les dirigeants, de leur rappeler leurs obligations. Le magistrat du parquet doit bien mesurer l'impact économique, les conséquences de son réquisitoire car cela peut notamment entraîner la liquidation de l'entreprise et parfois des licenciements. Pour Christophe Delattre, si le dirigeant a fait - apparemment - tout ce qu'il pouvait pour redresser son entreprise et que malgré tout son sort est scellé, il ne faut surtout pas le dévaloriser : « j'essaye d'avoir des mots non culpabilisants comme ''Vous n'avez pas démérité'' car il ne faut pas oublier que sans le dirigeant il n'y aurait pas eu d'entreprise ».

L'audience permet également au magistrat du parquet de repérer des infractions commises par le dirigeant comme par exemple un abus de bien social ou encore un comportement frauduleux. « Dans ce cas, le ministère public joue le rôle de passerelle entre la procédure pénale et la procédure commerciale » précise Stéphanie Paguenaud. Certains souhaiteraient pourtant dépénaliser le monde des affaires, faire en sorte qu'il n'existe plus - ou moins - d'infractions dans ce domaine. Ce que rejette sans ambages Christophe Delattre : « Il est inconcevable d'abandonner les sanctions pénales car il faut que tout le monde sache ce qui est possible de faire et ce qui est interdit ». « Le respect de la loi pénale est protecteur pour tout le monde » ajoute-t-il. Les magistrats du parquet ont souvent estimé que leur rôle à l'audience consistait à amasser des informations, à détecter des infractions, en vue de lancer ensuite des procédures pénales. Mais cela a changé. « Avant, le parquet commercial n'intervenait que dans les grosses affaires pour chercher des informations et lancer des procédures pénales. Aujourd'hui, on est là pour mettre un terme à la fuite en avant du dirigeant, pour faire respecter le cadre légal et pour aider l'entreprise à passer un cap difficile » assure Christophe Delattre. « Les magistrats du parquet aiment les sorties par le haut » renchérit Stéphanie Paguenaud.

 

« On fait de plus en plus de prévention »

Ce n'est pas la seule évolution qu'a connue le ministère public en matière commerciale. Les magistrats du parquet tentent désormais de mieux prévenir les difficultés des entreprises. « On fait de plus en plus de prévention » souligne Stéphanie Paguenaud. Le tribunal de commerce signale au magistrat du parquet tout non-dépôt des comptes - ce qui permet de l'alerter - et celui-ci s'entretient régulièrement avec le commissaire au redressement productif et avec le comité départemental d’examen des problèmes de financement des entreprises. Le président du tribunal de commerce peut également transmettre au ministère public une note dans laquelle il l’informe des difficultés sérieuses d’une entreprise.

La tendance actuelle est également de renforcer la présence du parquet à tous les stades de la procédure. On assiste ainsi à un accroissement du rôle du ministère public en matière de conciliation, une procédure préventive et confidentielle permettant de régler à l'amiable les difficultés des entreprises. « Le législateur a rajouté des cas dans lesquels l'avis du parquet est nécessaire » indique Christophe Delattre. L'ordonnance du 12 mars 2014 et son décret d'application ont prévu, par exemple, que les magistrats du ministère public peuvent donner leur avis sur la rémunération du conciliateur. Autre nouveauté : le ministère public est désormais averti en cas d'échec de la conciliation ou en cas de préparation d'une cession de l'entreprise.

Au fil des réformes, le parquet est devenu un acteur essentiel des procédures collectives. Pour Christophe Delattre, « il est quasiment omniprésent ». Le ministère public a de plus en plus la possibilité d'agir à la place du débiteur. Il peut, par exemple, demander l’ouverture d’une procédure collective. « Si l'on se rend compte que les chances pour une entreprise de sortir de ses difficultés sont irrémédiablement compromises, on peut même demander une liquidation judiciaire » explique Stéphanie Paguenaud. Avant de préciser qu'avec la réforme de 2014, le parquet doit être « très vigilant » sur deux points : les délais très courts prévus par la nouvelle procédure de sauvegarde accélérée et par la procédure de négociation ayant abouti à la cession de l'entreprise. Pour autant, Stéphanie Paguenaud et Christophe Delattre sont unanimes : l'ordonnance du 12 mars 2014 et son décret d'application constituent, pour les entreprises et pour le parquet, un réel progrès. Fin 2014, l'Ecole nationale de la magistrature publiera un fascicule, rédigé par Christophe Delattre, sur le rôle du parquet en matière commerciale.

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Author: Redaction