Le droit se livre : la représentation de la famille au cinéma

Pour ce nouveau numéro de l'émission « Le droit se livre », nous recevons Magalie Flores-Lonjou, maître de conférences à l'Université de la Rochelle, co-auteure d'un blog sur le droit et le cinéma, et coordinatrice d'un ouvrage sur la famille au cinéma.

Ecoutez l'interview sonore (durée 5,44 minutes) :

 

 

Magalie Flores-Lonjou - Crédits photo : MJ/Dicom/DRPourquoi ce thème de recherche sur la famille au cinéma ?

Magalie Flores-Lonjou (M F-L) : Nous avions déjà conduit une recherche autour de l’enfant au cinéma il y a quelques années, recherche qui avait été financée par la Mission de recherche Droit et Justice. Il nous semblait que le sujet n’avait pas été épuisé. Nous avons donc souhaité poursuivre en élargissant cette fois-ci à la famille au cinéma.

Comment cette recherche a-t-elle été menée ?

(M F-L) : C’est une recherche interdisciplinaire, c’est-à-dire que nous avons croisé nos regards. Le juriste a essayé d’analyser les films avec son prisme de juriste, mais également de faire une analyse esthétique des films qu’il visionnait et qu’il étudiait. Pour le non-juriste, le spécialiste de cinéma, l’historien, le sociologue, partant des films également, il devait s’approcher le plus possible d’une démarche juridique, d’une recherche de normes. Cette recherche visait à dépasser nos clivages disciplinaires.

Quelle est la source d’inspiration de cette recherche pluridisciplinaire ?

(M F-L) : Cette recherche s’inscrit dans un mouvement qui s’appelle « Droit et cinéma ». Ce mouvement s'inspire de ce qui s’est fait et qui continue de se faire aux États-Unis (« Film and Law », « Film and Cinema ») qui vise à décloisonner les savoirs, à permettre à des chercheurs de se retrouver autour d’un objet d’étude commun.

La famille est-elle un thème qui intéresse les cinéastes ?

(M F-L) : A un moment donné de leur carrière (soit au début, soit à la fin), les cinéastes vont s’intéresser à la thématique de la famille. Rares sont ceux qui ne vont pas traiter, dans un de leurs films, à un moment donné, cette question de la famille.

Quand on parle de la famille, de quelle famille parle-t-on ? Est-ce que le droit donne une définition de la famille ?

(M F-L) : Non, il n’y a pas de définition. Il n’y a pas de définition dans le Code civil de 1804. Il n’y a pas de définition dans les textes internationaux. On nous propose simplement des visions, ce qui n’est pas la même chose qu’une définition !

Dans le Code civil de 1804, quelle est la vision de la famille ?

(M F-L) : Le droit s’est construit par des apports successifs liés évidemment à l’Antiquité, liés au droit canonique, liés au(x) développement(s) et aux interrogations autour de la famille au XIX e siècle. Et le modèle qui nous est proposé par le Code civil, c’est le modèle d’un couple avec une descendance. Mais ce modèle ne révèle qu’une partie ou qu’une infime partie de ce que sont les familles. Quand on a une approche d’histoire du droit, quand on a une approche d’anthropologie juridique, on se rend compte évidemment que les familles ne sont pas toutes des familles nucléaires. Les familles peuvent être élargies et recomposées. Quand on regarde du côté du cinéma, évidemment elles peuvent être métaphoriques, fantasmées.

Comment les cinéastes représentent-ils la famille ?

(M F-L) : Souvent, les réalisateurs vont osciller entre deux pôles : ''famille je vous aime'' et ''famille je vous hais''. ''Famille je vous aime'' parce que c’est une famille idéale, une famille peut-être qui correspond à leur propre expérience ou une famille fantasmée. Ou ''famille je vous hais'' dans laquelle évidemment ils vont inclure quelques dysfonctionnements qu’ils ont pu observer ou subir. Évidemment, si on veut du matériau cinématographique, c’est peut-être quand il y a une famille qui dysfonctionne que c'est le plus intéressant pour un cinéaste. Il y a plus de rebondissements.

Qu’en est-il de la figure du père au cinéma ? Comment est-il représenté ?

(M F-L) : Dans certaines cinématographies, la figure du père est une figure parmi d’autres qui n'émerge pas. En revanche, dans les cinématographies italienne et russe contemporaines, les figures du père sont très présentes.

Si on regarde du côté du cinéma italien, on peut observer deux tendances : dans les films italiens d'après-guerre, le père de famille est à la fois autoritaire et distant, éloigné de ses enfants. Dans les films italiens contemporains, le père est en revanche un père aimant, qui se rapproche de ses enfants, et qui se retrouve confronté à l’éducation de ses enfants souvent à la suite d’un divorce ou d’une séparation d’avec la mère. Il y a toute une série de films qui ne sont pas distribués en France mais qui mettent bien en exergue cette figure du père qui devient une mamma, une mamma au masculin. Et cette mamma au masculin est totalement perdue, en perte de prestige, en perte d’autorité.

Du côté du cinéma russe contemporain – je pense en particulier aux films d’Andreï Zviaguintsev –, la figure du père est aussi interrogée. Dans le film « Le retour » par exemple, on voit un père effrayant qui se proclame le père de deux garçons et dont personne ne sait d'où il vient, d'ailleurs les deux adolescents le voient arriver comme un intrus.

Est-ce que parfois le cinéma est en avance sur le droit et la société ?

(M F-L) : Dans certains pays et donc dans certaines cinématographies, on a peut-être une certaine avancée de la part des films. Le cinéma iranien par exemple nous présente une vie de la famille, une vie sociale, qui ne correspond pas a priori aux schémas, aux représentations que nous pouvons en avoir. Je pense en particulier aux films d’Asghar Farhadi. Je pense également aux films de Jafar Panahi et évidemment au précurseur, c’est-à-dire à Kiarostami.

Ces cinéastes iraniens abordent l'enfance, la famille, l’importance des femmes, leur recherche d’identité, d’autonomie, en particulier à travers la procédure de divorce. Même si la procédure de divorce est assez complexe, on voit dans leurs films des femmes qui essaient malgré tout de s’approprier cette procédure pour pouvoir conduire leur vie de femme autonome. Je pense notamment au film « Une Séparation » d’Asghar Farhadi.

© Ministère de la Justice – SG – DICOM – Damien ARNAUD

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Author: Redaction