Le drame de la personnalisation à outrance (pour Atlantico)

Eructer ou déverser sa rage sur la personne du président Macron en le traitant de « gamin » ou autre, comme on le voit partout en ce moment, ne m’intéresse absolument pas. C’est tellement facile: les pires cracheurs de haine d’aujourd’hui ont été les plus fervents adorateurs des premiers temps. Les girouettes suivent le sens du vent, ou plutôt de la tempête. L’effondrement programmé de tout un système de pouvoir fondé sur le culte de l’image élyséenne était une évidence depuis le début. Nul besoin d’être visionnaire, il suffisait d’ouvrir les yeux deux minutes. Dans la divinisation des premiers mois, le célèbre « la France va être amoureuse de Macron », puis l’exercice de lèche-botte forcené des radios et télévisions et d’une bonne partie de la presse, se profilait déjà la déferlante de haine qui submerge aujourd’hui la France politico-médiatique. « Je lèche, je lâche, je lynche », pourrait être la nouvelle devise nationale en remplacement du « liberté, égalité, fraternité ». Qui l’a fait roi? Les mêmes que ceux qui se déchaînent aujourd’hui. Et il se trouvera toujours des naïfs pour imaginer que des le Pen, Mélenchon ou tout autre, élus demain, dans le même système broyeur du bien commun et de l’intelligence collective , seraient en mesure de faire mieux. Non, ce qu’il faut, c’est essayer de prendre de la hauteur et de comprendre la vertigineuse débâcle de la vie politique française qui nous entraîne à l’abîme et s’incarne dans un visage. Une nouvelle chasse-à-l’homme pour couvrir le désastre de tout un système politique dans le contexte d’un abêtissement général qui prend des proportions hallucinantes.  C’est en ce sens que j’ai tenté de répondre aux questions du site Atlantico.

Emmanuel Macron aurait récemment confié à l’un de ses proches être persuadé que « les journalistes voulaient sa mort » (canard enchaîné). Alors qu’il est au plus bas dans les sondages, le président de la République semble obsédé par sa propre personne. N’y a-t-il pas un réel besoin de dépersonnalisation ?

La personnalisation du pouvoir touche en effet à sa quintessence. Cette obsession du « je » finit par écraser chaque discours, chaque prise de parole. Le président Macron n’est pas le premier ni le seul. Déjà, M. Mitterrand comme M. Hollande revendiquaient la passion de leur « trace dans l’histoire ». Quant à ses principaux opposants, ils paraissent tout autant enivrés de leur personne. Cette personnalisation à outrance de la politique est doublement paradoxale. Elle se déroule dans un pays qui se prétend républicain. Or, toute l’histoire de la République est celle d’une réaction contre les excès de la personnalisation incarnés par l’empire de Napoléon III. En outre, notre époque tient – heureusement – en horreur les régimes totalitaires du passé. Or, ceux-ci se caractérisaient par une extrême personnalisation du pouvoir, autour d’un Guide, Petit Père des peuples ou Grand Timonier. Il y a une vraie contradiction à condamner le totalitarisme tout en banalisant l’une de ses caractéristiques. Cette tendance actuelle à la personnalisation à outrance a plusieurs explications: un régime politique français qui sublime jusqu’à l’absurde l’image présidentielle; la médiatisation forcenée de la politique; une époque privilégiant des valeurs narcissiques comme le dénonçait Gilles Lipovetski dans l’Ere du vide; l’incapacité des dirigeants politique à régler les problèmes concret des Français se traduisant par une fuite dans le spectacle et l’émotionnel; le déclin dans le pays de la pensée, de la culture politique et du débat d’idées. Cette personnalisation à outrance de la politique n’est pas le signe de l’autorité ou de l’efficacité mais bien au contraire le masque d’un néant.

Face à la crise des gilets jaunes, le président apparaît plus déconnecté de la réalité que jamais. Comment peut-il regagner la confiance des français ? 

Le plus étrange, c’est la déconnexion des grands politiques qui ne se rendent absolument pas compte, les uns et les autres, à quel point cette boulimie d’eux-mêmes, dans un contexte aussi difficile et anxiogène, est devenue insupportable aux Français. Elle nourrit l’impression que les dirigeants politiques ne s’intéressent qu’à leur destin personnel (la réélection), plutôt qu’à l’intérêt général. La sempiternelle référence au modèle gaullien est absurde et hors propos: nul ne peut prétendre à la légitimité historique issue de l’appel du 18 juin 1940 qui justifiait seule la personnalisation du pouvoir gaullien. Le président Macron faisait fausse route en proclamant, au lendemain de son élection,« je ne suis que l’émanation du goût du peuple français pour le romanesque ». Les Français n’élisent pas leurs hauts dirigeants pour les faire rêver, mais pour régler leurs problèmes. Il n’y a pas d’exemple de confiance perdue qui ait été retrouvée par un chef de l’Etat à l’intérieur d’une même séquence politique. La confiance peut être retrouvée à la suite d’un choc politique comme une élection législative perdue et une entrée en cohabitation avec l’opposition, à l’image de Mitterrand en 1986 et de Chirac en 1997. La seule manière pour M. Macron de renouer avec un haut niveau de popularité serait de dissoudre l’Assemblée et d’entrer dans la posture d’un président de cohabitation, n’ayant plus, dès lors, la responsabilité du gouvernement de la France et de ses malheurs. Or, ce scénario, le seul qui lui permettrait peut-être d’être réélu en 2022, est aujourd’hui difficilement concevable dans le contexte de la décomposition politique et en l’absence d’une opposition de droite qui serait en mesure d’assumer l’alternance.

A quelques mois des européennes, comment lui-même et son parti peuvent-ils s’afficher sous un nouveau jour ? Peuvent-ils tourner durablement la page ? Est-ce encore possible ? 

On a du mal à imaginer un tel redressement en quelque 5 mois. Bien au contraire, la poursuite de l’émiettement jusqu’à la désintégration d’un parti champignon est à craindre… Le cas échéant, un hypothétique redressement suppose une prise de conscience. Pendant tout le second semestre de 2018, le roman élyséen a été dominé par la lutte à mort entre le bien post national et élitiste, dont le président s’est fait le porte-parole, et la lèpre populiste ou populaire, ou nationaliste, incarnée aujourd’hui par le Brexit, l’Italie de Salvini ou la Hongrie de Orban – et en France la « vile multitude » des Gilets Jaunes. Au fond, l’idée était de refaire le débat de 2005 sur la Constitution européenne, le oui macronien, le oui de l’ouverture, de la modernité, le oui post-frontières prenant sa revanche sur le non infamant, ringard et maudit. Le problème, c’est que le président de la République est le président de tous les Français et sa première mission est d’incarner l’unité plutôt que d’attiser les passions hostiles. Cette logique a débouché, en décembre, sur la crise des Gilets Jaunes, la révolte de la France périphérique qui s’est sentie abandonnée, sinon humiliée. Il faudrait donc, pour espérer inverser la tendance, un changement radical de son discours, de sa posture, de sa politique, un retour à des vertus républicaines oubliées, la modestie et la discrétion, le désintéressement personnel, le goût de la vérité sans fard et de l’action pragmatique et sans frime, sans calcul, réussir à convaincre qu’il ne travaille pas à sa réélection ni pour une faction privilégiée mais uniquement dans l’intérêt de toute la nation. Le défi est de taille…

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Author: Redaction