Discours à l’occasion de la visite d’Arianespace, à Courcouronnes

Discours de M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre, à l’occasion de la visite d’Arianespace
Courcouronnes, lundi 9 janvier 2017

(Seul le prononcé fait foi)

Monsieur le Premier Ministre, cher Manuel VALLS,
Madame la ministre, Monsieur le Ministre, chère Geneviève FIORASO, cher Thierry Mandon,
Madame la Préfète,
Monsieur le Maire,
Monsieur le président d’Arianespace,
Monsieur le président d’Airbus Safran Launcher (ASL),
Monsieur le directeur général de l’Agence spatiale européenne,
Mesdames, Messieurs,

Je suis particulièrement heureux de cette visite et de cette rencontre qui me permet d’aborder avec vous un sujet qui présente pour notre pays une importance particulière, en termes industriels, scientifiques et stratégiques.

La France a en effet une relation singulière avec l’aventure spatiale. Elle en est en Europe l’épicentre depuis des dizaines d’années. Mais cette position n’est pas figée et c’est bien dans le cadre européen que les grandes décisions se dessinent. Il en serait impossible autrement compte tenu à la fois de l’intensité de la concurrence internationale dans ce domaine et de l’importance des investissements nécessaires.

La particularité de ce secteur c’est de reposer sur un modèle vertueux où l’échelon national et l’échelon européen se complètent ; où le secteur public et l’entreprise privée travaillent ensemble sur des programmes qui nécessitent une vision stratégique ; où l’existence de partenariats complexes n’entrave pas la capacité de décider et de s’adapter rapidement à la concurrence.

Comme vous le savez, nous venons de traverser une période charnière, sans doute décisive pour la suite de l’aventure spatiale. Cet automne il nous aura fallu démontrer la robustesse et la cohésion du modèle que j’évoquais pour défendre les intérêts de notre pays. Nous avons dû peser de tout notre poids pour que les décisions prises au conseil de Luxembourg, à la fin de l’année 2014, se traduisent de façon effective lors du conseil de Lucerne de décembre 2016. La bataille a été serrée, difficile et parfois tendue. Sans la mobilisation des équipes du CNEs sous l’égide de Jean Yves LE GALL, sans la réactivité d’Airbus Safran Launcher (ASL) piloté par Alain CHARMEAU et sans celle  d’Arianespace, cher Stéphane ISRAEL, nous ne serions  pas parvenus à faire prévaloir nos vues. Mais le Gouvernement a également démontré tout son engagement, avec Geneviève FIORASO puis Thierry MANDON, avec le soutien de notre réseau diplomatique et grâce à la ténacité de Manuel VALLS.

On parle beaucoup en ce moment, et c’est normal, du bilan de ce quinquennat. Mais on oublie parfois, en dressant ce bilan, qu’à côté des politiques publiques, des lois votées par le Parlement, des décisions qui retiennent l’attention des médias, certaines actions à caractère plus confidentiel ou plus techniques sont également décisives pour conforter les intérêts de la France et préparer son avenir. C’est notamment le cas en matière spatiale.

En venant à votre rencontre aujourd’hui, je souhaite donc d’abord souligner l’importance du résultat que vous avez obtenu et rendre hommage à votre engagement collectif.

Dans le domaine du spatial, l’année 2016 a en effet été  pour la France et pour l’Europe, couronnée de succès.

Il a fallu d’abord relever des défis industriels, avec la confirmation en novembre du programme Ariane 6 et des autres programmes de l’ESA au Conseil ministériel de Lucerne. L’accord obtenu garantit l’avenir d’Ariane 6, avec des échéances rapprochées puisque le premier tir est attendu dès 2020. Vega C, qui complète la gamme de lanceurs, doit pour sa part  arriver dès 2019.

Il a fallu réussir une opération d’une importance capitale, avec la cession des parts du CNES dans le capital d’Arianespace à Airbus Safran Launchers. Car comme vous le savez, cette opération décidée en 2014 à la suite de la formation d’Airbus Safran Launchers, marque une étape importante dans la gouvernance du secteur européen des lanceurs. Elle doit permettre à Arianespace et à l’Europe de conserver leur place de numéro 1 mondial des services de lancement.

Vous avez également accumulé les réussites opérationnelles et commerciales avec une série de 11 tirs réussis par Arianespace en 2016 : sept Ariane 5, deux Soyouz et deux Vega. Vous avez ainsi assuré 76 succès d’affilée pour Ariane 5 et 8 pour Vega !
Grâce à vous, le système européen de navigation Galiléo a pu engager ses premiers services dès la fin de l’année 2016.

Vous avez également assuré des succès scientifiques remarquables, avec par exemple l’achèvement de la mission ROSETTA, cette aventure débutée en 2004 par un lancement réussi d’Ariane 5. Le CNES relève ces défis scientifiques dans des domaines très variés et en y associant nos universités et nos organismes de recherche.

Et il me faut encore mentionner une aventure humaine extraordinaire, celle du séjour de Thomas PESQUET à bord de la station spatiale internationale.

L’année 2016 aura donc été marquée dans le domaine spatial par une série exceptionnelle d’événements scientifiques, technologiques et institutionnels. D’importantes leçons me semblent mériter d’être tirés de ces succès.

La première conclusion, c’est que la France doit continuer à agir dans un cadre européen.
C’est possible grâce à l’agence spatiale européenne, l’ESA, dont je salue le directeur général Jan WÖRNER, qui a accompli un travail remarquable pour la confirmation d’Ariane 6 et le succès de la conférence ministérielle de Lucerne.

Vous connaissez mieux que moi les acteurs mondiaux du secteur. Ils sont Américains ; ils sont Chinois ; ils sont Russes. Car vous êtes dans un secteur où il faut être capable de mobiliser des investissements considérables, à l’échelle d’un continent.

Dès lors, seule l’Europe est susceptible de nous donner cette capacité.

Le 26 octobre, l’Union européenne a ainsi adopté sa première stratégie spatiale. Je crois pouvoir affirmer que la France a largement contribué à l’esprit comme à la lettre de ce texte. J’en retiens trois grands principes stratégiques qui doivent guider notre action et que nous devons traduire concrètement dans les programmes spatiaux.
Le premier principe, c’est que les investissements considérables que mobilise la politique spatiale doivent trouver leur justification dans les retombées concrètes que les citoyens en retireront dans leur vie quotidienne.

Le deuxième principe, c’est que notre participation à l’aventure spatiale signifie soutenir la compétitivité de l’industrie européenne ; les entreprises françaises doivent y jouer un rôle de premier plan, en s’appuyant sur leur expérience et sur leur dynamisme.

Le troisième principe, c’est que l’Europe doit renforcer son autonomie stratégique. Elle ne saurait dépendre d’autres puissances mondiales pour développer les services dont elle a besoin, pour assurer nos moyens de défense, mobiliser notre potentiel scientifique ou améliorer les conditions de vie de ses habitants.
Ce dernier principe vous concerne directement.
Stratégiquement, il est indispensable de permettre aux pays européens de garantir leur autonomie d’accès à l’espace. Nous devons conserver la capacité de lancer des satellites contribuant aux capacités de renseignement et d’action de notre Défense.

Nous venons en 2016, avec nos partenaires européens, d’apporter la réponse, avec les  programmes Ariane 6 et Vega C. Trouver un accord au sein de l’ESA, avec 22 pays partenaires, relève parfois de l’impossible.
Jean-Jacques DORDAIN, ancien directeur général de l’ESA, et Yannick D’ESCATHA, ancien président du CNES, que je salue, le savent. Ils ont joué un rôle clef pour aller le plus vite possible vers Ariane 6. Cela n’a pas été facile.

Geneviève FIORASO avait, en sa qualité de ministre représentant la France, su convaincre nos partenaires européens. Je veux souligner ici l’importance historique des partenariats privilégiés que nous avons noués avec l’Allemagne et l’Italie, sans lesquels rien ne serait possible. C’est grâce à cette approche pragmatique que nous parviendrons à concrétiser l’idée européenne autour de grands projets. Thierry MANDON a poursuivi avec méthode et avec détermination le travail qui a été engagé.
Parce que la France est particulièrement attachée à l’autonomie d’accès à l’espace de l’Europe, Manuel VALLS s’était engagé personnellement, comme je l’ai rappelé, pour la réforme de la gouvernance de la filière et pour l’adoption d’Ariane 6, permettant sa conclusion définitive en novembre et le succès de la conférence de Lucerne en décembre. Je veux lui dire à nouveau notre reconnaissance.

Aujourd’hui, les programmes Ariane 6 et Vega C dotent l’Europe d’une nouvelle génération de lanceurs, qui seront à la fois plus compétitifs en termes de coût et mieux adaptés aux besoins du marché institutionnel.

C’est un véritable défi, mais c’est la condition pour qu’Arianespace et l’Europe conservent leur premier rang mondial. C’est un investissement de plus de 3 milliards d’euros. La France y joue un rôle de premier plan puisque sa part s’élève à 52%.

Les industriels investissent eux aussi, à l’image d’Airbus Safran Launchers, qui consacrera 400 millions à ce programme, en plus du rachat des parts du CNES. Je salue la présence parmi nous du président d’ASL, Alain CHARMEAU, qui s’est mobilisé sans relâche pour faire naître ce nouveau champion industriel, avec le soutien constant de l’Etat, et pour construire le programme Ariane 6.

Je profite de ce moment pour affirmer un principe qui doit guider notre politique européenne. L’Europe et la France investissent résolument dans le programme Ariane 6, mais cela ne suffit pas.

Les institutions, les agences et les Etats européens doivent faire preuve de cohérence ; ils doivent donc choisir la gamme de lanceurs d’Arianespace pour déployer les programmes institutionnels européens. Les commandes du CNES et de la direction générale de l’armement de l’année 2016 sont le signe de l’engagement de l’Etat français. L’ensemble des satellites Galileo de la Commission européenne et de l’ESA ont été lancés par Arianespace.

Il est indispensable que les institutions de l’Union comme les Etats européens confient aux lanceurs européens leurs futures missions institutionnelles. Ce que les autres Nations, les autres continents font avec leurs lanceurs, nous devons le faire avec les nôtres. C’est la condition pour se battre à armes égales dans la compétition internationale.

Je souhaite que des avancées soient obtenues à cet égard en 2017 et que le CNES et l’ESA sachent convaincre nos partenaires européens d’aller dans cette direction. Il ne me semble pas incongru, il me semble même nécessaire de parler de préférence européenne et de réciprocité, dès lors que notre industrie est pleinement compétitive.
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La France et ses industriels doivent jouer un rôle moteur dans cette aventure européenne
Vous avez déjà dû vous adapter pour rester compétitifs. C’est tout l’enjeu de la constitution d’Airbus Safran Launchers, de l’évolution du capital d’Arianespace et de la redistribution des rôles entre les agences et l’industrie.

Dans ce paysage, Arianespace conservera les facteurs clefs de succès qui ont été les siens depuis plus de 35 ans. Mais elle agira dans une plus grande continuité avec son premier actionnaire et partenaire industriel, ASL, comme elle le fera dans le cadre d’une relation plus étroite avec AVIO s’agissant de l’exploitation de Vega. Dans ce contexte, l’Etat restera le garant des équilibres entre les différents acteurs pour soutenir la performance d’Arianespace, dans l’intérêt de tous.

Pour sa part, le CNES conserve évidemment un rôle central et apporte un soutien essentiel à Arianespace. Je voudrais notamment souligner le rôle qu’il tient dans la préparation des technologies de l’avenir, au-delà même d’Ariane 6, comme avec le moteur Prométhée, qui vise à être 10 fois moins cher que l’actuel moteur Vulcain. Je remercie Jean-Yves LE GALL président du CNES, et Joël BARRE, son directeur général délégué, qui est lui aussi présent parmi nous, pour leur rôle essentiel dans l’ensemble de ces évolutions.

A côté du CNES, nous avons besoin d’entreprises fortes et dynamiques, pleinement soutenues par l’agence spatiale, et qui investissent dans l’avenir. Ensemble, ASL et Arianespace vont écrire une nouvelle page de l’histoire d’Ariane et des lanceurs européens. Les équipes de ces deux entreprises, notamment celles d’Arianespace devant lesquelles j’ai tenu à m’exprimer aujourd’hui, vont bénéficier d’opportunités nouvelles, alors même que le niveau d’activité et d’investissement dans la filière spatiale n’ont jamais été aussi importants.

Les perspectives sont là et elles sont enthousiasmantes. Stéphane ISRAEL me dit que le carnet de commande d’Arianespace comporte 55 lancements dans les prochaines années. C’est une très belle aventure, une très belle réussite, qui s’appuie sur l’excellence et l’enthousiasme des équipes d’Arianespace. Nous avons besoin du talent de jeunes ingénieurs dans la filière.
Votre carnet de commande est à 75% commercial et beaucoup de vos clients sont étrangers. Ainsi, si la France aime à valoriser Ariane, à juste titre, nous ne devons pas négliger les lanceurs Vega et Soyouz.

C’est l’occasion pour moi de dire notre attachement à notre coopération avec l’industriel italien AVIO pour la commercialisation et l’exploitation de Vega, programme européen dont AVIO assure la maitrise d’œuvre industrielle. Depuis 2012, Vega a connu 8 succès d’affilée, ce qui est remarquable. Je salue la présence de Giulio RANZO, président d’AVIO, et partenaire clef d’Arianespace pour le succès de Vega, comme d’ASL pour la production industrielle d’Ariane 6 et du booster commun à Vega C et à A6.

Je veux aussi souligner l’importance de notre coopération avec l’agence Roscosmos, autour de Soyuz et de l’entreprise euro-russe Starsem. Soyouz déploie les satellites de l’Europe depuis Kourou, grâce à un pas de tir dans lequel l’Europe et la France ont investi plus de 500 millions d’euros. 41 tirs ont été accomplis en commun depuis la fin de la décennie 1990, 26 depuis Baïkonour et 15 depuis Kourou. A l’été 2015, Soyouz s’est vu confier par Arianespace le plus gros contrat commercial jamais signé, avec 21 lancements pour les satellites de la constellation One Web. Ces lancements seront aussi réalisés depuis la Russie. La France est pleinement engagée pour assurer le succès de cette coopération.

De la même façon, la France et l’Europe doivent être présentes sur les autres marchés du spatial, et notamment sur celui des satellites. Nous avons des champions industriels : Thales Alenia Space (TAS) et Airbus Defence and Space (ADS). Je pense aussi à Eutelsat.

L’Etat doit créer les conditions de leur compétitivité. De nouveaux marchés s’ouvrent, notamment dans le secteur des télécommunications, pour répondre à des besoins croissants de connectivité sur l’ensemble de la planète. Cela est également vrai en France, où le satellite peut contribuer à apporter l’accès à l’internet à nos concitoyens dans les territoires ruraux, en complément d’autres technologies comme la fibre optique.  C’est ainsi par la montée en qualité et en capacité de l’offre satellitaire que nous achèverons la couverture de la totalité du territoire d’ici 2022, comme l’a souhaité le Président de la République. Nos industriels doivent prendre leur part dans cet objectif et nous les accompagnerons. Lors de la conférence de Lucerne, la France est montée en puissance dans le programme ARTèS de l’ESA, permettant ainsi aux industriels français de participer au développement des nouvelles générations de satellites de télécommunication.

Le 3ème programme des investissements d’avenir, avec sa nouvelle approche et ses nouveaux outils, sera également l’occasion pour l’Etat d’apporter un soutien à cette filière. Il reste aux industriels à se mobiliser pour bénéficier de ces financements. Je suis certain que nous trouverons avec eux les bonnes modalités d’accompagnement de la filière.

Je souhaite conclure ce propos en vous disant encore quelques mots de la façon dont votre industrie contribue à améliorer la vie quotidienne des Français.
Dans son rapport, Geneviève FIORASO met en évidence l’arrivée d’un nouvel âge du spatial. Nous vivons en effet une transition, celle d’une industrie poussée par la technologie vers une industrie répondant aux besoins et aux usages révélés par le marché, par les consommateurs.

Nous retrouvons là un principe stratégique que j’ai déjà évoqué : la nécessité de faire en sorte que la politique spatiale se traduise à travers des retombées concrètes, intelligibles et appréciables par tous. L’espace, désormais, cela signifie un internet plus rapide, la navigation guidée, un trafic aérien plus sûr, la télémédecine, l’agriculture de précision, la surveillance des catastrophes naturelles ou de l’évolution climatique…  L’objectif est toujours d’améliorer la vie quotidienne de nos concitoyens.

L’Etat doit bien entendu également soutenir la politique spatiale parce qu’elle contribue à la connaissance scientifique. C’est son rôle conformément à une tradition française qui remonte au général de Gaulle et qui a été poursuivie par tous les gouvernements depuis lors.
Aujourd’hui, l’Etat doit aussi favoriser le développement d’un nouveau modèle formé d’acteurs privés, qui permette d’allier les compétences du secteur spatial traditionnel avec celles d’autres secteurs économiques, dont celles des entreprises du numérique dont la culture est très différente. Il nous faut donc décloisonner les filières, permettre des rencontres entre ces différents secteurs. C’est la condition pour faire émerger des projets novateurs qui valorisent les données spatiales et accompagner les entreprises qui développent et commercialisent de nouveaux services. La France dispose de tous les atouts pour réussir dans ce domaine.

Monsieur le Premier Ministre,
Mesdames et Messieurs,

C’est pour moi une fierté que de me trouver à vos côtés aujourd’hui, sur le site d’une grande entreprise française de haute technologie comme Arianespace, qui occupe la première place mondiale dans son secteur.

Ce rang, elle le doit au professionnalisme, à l’intelligence  et à l’implication de tous ses salariés. Ils sont les principaux acteurs de la transformation de la filière spatiale qui est à l’œuvre. C’est grâce à eux que la France et l’Europe continueront de jouer un rôle de premier plan dans le domaine de l’espace et que nos concitoyens en retireront des bénéfices tangibles.

Ils peuvent compter sur mon engagement, celui du Gouvernement, pour faire en sorte que l’Etat les accompagne et les soutienne, autant que cela sera nécessaire, dans cette immense aventure.

Je vous remercie.

Author: Redaction