A quoi servent les petites phrases (pour Atlantico)

  1. Interrogé à propos des Uber files, Emmanuel Macron a déclaré «Comme le dirait un de mes prédécesseurs, ça m’en touche une sans faire bouger l’autre». Ce n’est pas la première fois qu’Emmanuel Macron se fait remarquer par des petites phrases qui suscitent la polémique. Quelle est la tactique derrière ces sorties ?

Il y a plusieurs dimensions dans cette déclaration. D’abord la référence à Jacques Chirac, clin d’œil à un certain électorat de droite. Ensuite la tactique est évidente, elle est classique chez lui. Il s’agit de noyer le fond d’une question sérieuse dans la provocation et la polémique qu’elle engendre. Nous l’avions déjà constaté lors de l’affaire Benalla, sur un ton similaire : « qu’ils viennent me chercher ». C’est aussi une manière de rester dans la logique jupitérienne, signifiant qu’il se situe au-dessus du marécage politicien. Enfin peut-être une manière de se rassurer lui-même. Dans sa position de chef de l’Etat, protégé par le mandat de cinq ans, il se considère comme intouchable quoi qu’il arrive. Cette petite phrase le rappelle aux autres et à lui-même… 

2) Quel peut être son intérêt pour lui et pour sa majorité à agir de la sorte ?

L’intérêt pour lui est de noyer le sujet dans l’indifférence et la dérision.  Il laisse ses lieutenants batailler sur le front de la polémique. Et lui montre ainsi qu’il s’occupe des questions sérieuses, en particulier la guerre en Ukraine. L’objectif est aussi politique. Par ce comportement il tend à attiser les clivages entre les partis qu’il considère comme républicains et dignes d’un dialogue, et ceux avec lesquels il exclut de travailler, comme non républicains : RN et Insoumis. En excitant les esprits par cette provocation, il creuse le clivage entre les protestataires qui vont se saisir de ce prétexte pour l’attaquer et les autres, moins enclins à la bataille frontale. Là aussi on est dans une constante du macronisme, opposer les forces du progrès dont il se conçoit comme le champion, aux populismes ou extrémismes…  

3) A quel point cela entretient-il l’image d’un président qui n’accepte pas les responsabilités et qui préfère choquer que convaincre ?

Jusqu’à présent la politique de la provocation lui a plutôt bien réussi. On se souvient de déclarations choc qui ont marqué le premier quinquennat : les Gaulois réfractaires, ceux qui ne sont rien et ceux qui réussissent, les chômeurs qui n’ont qu’à traverser la rue pour trouver du travail. Et même à quelques semaines des élections, sa phrase incroyable pour un président passée à la postérité, « j’ai très envie d’emmerder les non vaccinés », ne l’a pas desservi, loin de là. Cela s’appelle la transgression. Faute de devoir s’expliquer sur le bilan de la gestion gouvernementale de l’épidémie ou sur l’intérêt du passe vaccinal, cette phrase mettait les rieurs vaccinés de son côté et montrait du doigt la petite minorité pestiférée des non vaccinés. Force est de constater que l’esprit critique des Français face à cette transgression habile, ni la solidarité envers les nouveaux parias ainsi désignés, n’ont joué d’une manière ou d’une autre.  

4) Dans quelle mesure ce genre de comportement est-il délétère ?

Il peut le cas échéant se retourner contre lui à plus ou moins long terme. Si la France, comme c’est prévisible, fait naufrage dans le chaos social, économique et politique, sa réputation d’audacieux provocateur et de pourfendeur du populisme sous toutes ses formes peut brutalement se retourner contre lui. Ses petites phrases apparaîtront non comme l’expression de l’audace mais comme celle de l’impuissance et de l’arrogance. En peu de temps, cette image peut se dégrader violemment et définitivement dans un contexte d’usure du pouvoir aggravé, devenue emblématique du malheur collectif. Et alors, plus personne ne contrôle plus rien. Dans l’histoire, les seconds mandats présidentiels se terminent généralement assez mal. Celui-ci pourrait bien ne pas déroger à la règle.

Lire la suite sur le blog perso de Maxime Tandonnet ...

Author: Redaction

A quoi servent les petites phrases (pour Atlantico)

  1. Interrogé à propos des Uber files, Emmanuel Macron a déclaré «Comme le dirait un de mes prédécesseurs, ça m’en touche une sans faire bouger l’autre». Ce n’est pas la première fois qu’Emmanuel Macron se fait remarquer par des petites phrases qui suscitent la polémique. Quelle est la tactique derrière ces sorties ?

Il y a plusieurs dimensions dans cette déclaration. D’abord la référence à Jacques Chirac, clin d’œil à un certain électorat de droite. Ensuite la tactique est évidente, elle est classique chez lui. Il s’agit de noyer le fond d’une question sérieuse dans la provocation et la polémique qu’elle engendre. Nous l’avions déjà constaté lors de l’affaire Benalla, sur un ton similaire : « qu’ils viennent me chercher ». C’est aussi une manière de rester dans la logique jupitérienne, signifiant qu’il se situe au-dessus du marécage politicien. Enfin peut-être une manière de se rassurer lui-même. Dans sa position de chef de l’Etat, protégé par le mandat de cinq ans, il se considère comme intouchable quoi qu’il arrive. Cette petite phrase le rappelle aux autres et à lui-même… 

2) Quel peut être son intérêt pour lui et pour sa majorité à agir de la sorte ?

L’intérêt pour lui est de noyer le sujet dans l’indifférence et la dérision.  Il laisse ses lieutenants batailler sur le front de la polémique. Et lui montre ainsi qu’il s’occupe des questions sérieuses, en particulier la guerre en Ukraine. L’objectif est aussi politique. Par ce comportement il tend à attiser les clivages entre les partis qu’il considère comme républicains et dignes d’un dialogue, et ceux avec lesquels il exclut de travailler, comme non républicains : RN et Insoumis. En excitant les esprits par cette provocation, il creuse le clivage entre les protestataires qui vont se saisir de ce prétexte pour l’attaquer et les autres, moins enclins à la bataille frontale. Là aussi on est dans une constante du macronisme, opposer les forces du progrès dont il se conçoit comme le champion, aux populismes ou extrémismes…  

3) A quel point cela entretient-il l’image d’un président qui n’accepte pas les responsabilités et qui préfère choquer que convaincre ?

Jusqu’à présent la politique de la provocation lui a plutôt bien réussi. On se souvient de déclarations choc qui ont marqué le premier quinquennat : les Gaulois réfractaires, ceux qui ne sont rien et ceux qui réussissent, les chômeurs qui n’ont qu’à traverser la rue pour trouver du travail. Et même à quelques semaines des élections, sa phrase incroyable pour un président passée à la postérité, « j’ai très envie d’emmerder les non vaccinés », ne l’a pas desservi, loin de là. Cela s’appelle la transgression. Faute de devoir s’expliquer sur le bilan de la gestion gouvernementale de l’épidémie ou sur l’intérêt du passe vaccinal, cette phrase mettait les rieurs vaccinés de son côté et montrait du doigt la petite minorité pestiférée des non vaccinés. Force est de constater que l’esprit critique des Français face à cette transgression habile, ni la solidarité envers les nouveaux parias ainsi désignés, n’ont joué d’une manière ou d’une autre.  

4) Dans quelle mesure ce genre de comportement est-il délétère ?

Il peut le cas échéant se retourner contre lui à plus ou moins long terme. Si la France, comme c’est prévisible, fait naufrage dans le chaos social, économique et politique, sa réputation d’audacieux provocateur et de pourfendeur du populisme sous toutes ses formes peut brutalement se retourner contre lui. Ses petites phrases apparaîtront non comme l’expression de l’audace mais comme celle de l’impuissance et de l’arrogance. En peu de temps, cette image peut se dégrader violemment et définitivement dans un contexte d’usure du pouvoir aggravé, devenue emblématique du malheur collectif. Et alors, plus personne ne contrôle plus rien. Dans l’histoire, les seconds mandats présidentiels se terminent généralement assez mal. Celui-ci pourrait bien ne pas déroger à la règle.

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Author: Redaction