L’effarante crétinisation de la politique française (pour Atlantico)

1-Nathalie Loiseau, tête de liste LREM pour les prochaines élections européennes se trouve fragilisée par des révélations concernant une situation datant de plus de 30 ans. De son côté, François Xavier Bellamy a également pu être attaqué pour des déclarations passées. Dans quelle mesure les Français pourraient-ils plus voter pour ce que sont les candidats que pour ce qu’ils proposent ? Dans quelle mesure ce phénomène est-il nouveau ? 

Ce qui est certain, c’est que cette campagne des Européennes est entièrement axée sur la personnalisation des choses. Il y a le président Macron en arrière-plan. Le vote aura un aspect plébiscitaire : pour ou contre lui. Il sera au centre de la pensée des électeurs. Mais au-delà, la campagne donne une importance considérable aux têtes de liste, que ce soit Mme Loiseau, M. Bellamy, M. Bardella, etc. Le vote semble se focaliser sur des images personnelles. Dès lors, les attaques ad hominem, la fouille méticuleuse du passé des candidats pour en tirer des boules puantes et déstabiliser leur image devient la stratégie de campagne. Le débat d’idées se trouve en revanche totalement annihilé. Il n’existe plus : le chômage, la violence, la pauvreté, l’échec scolaire, la dette publique, les frontières, ont disparu du paysage politique. La vie politique atteint le paroxysme de la politique spectacle. Ce phénomène n’est sans doute pas complétement nouveau. Il y a toujours eu, en politique, des phénomènes d’allégeance et de confiance en des personnalités. Mais ces personnalités incarnaient un projet, une idée. Ce qui est nouveau en France, c’est que ces personnalités n’incarnent plus qu’elles-mêmes.

2-Ce phénomène de l’importance de plus en plus importante de la personnalité des candidats, que l’on peut retrouver également aux Etats-Unis, par exemple dans les cas de Alexandria Ocasio-Cortez ou de Pete Buttigieg, est-il devenu le « nouveau programme » auprès des électeurs ? 

Oui, aux Etats-Unis, c’est un grand classique. On n’oppose pas des projets, ou très secondairement, mais des personnages, des figures. Et l’élection se joue non sur les arguments mais pour l’essentiel sur des sensations qu’inspirent des visages. C’était déjà le cas lors du duel entre Kennedy et Nixon en 1960. Nixon semble avoir perdu car il semblait fatigué, mal rasé, face à un adversaire incarnant la jeunesse et l’énergie. Récemment, le succès d’Obama a tenu sans doute davantage à ce qu’il incarnait, jeunesse, renouveau, diversité, qu’à son programme. Plus récemment encore, la bataille entre Hillary Clinton et Donald Trump fut un combat d’images dominé par les attaques personnelles. Nous sommes en pleine américanisation de la vie politique française. On peut parler de l’ère du vide en politique. Depuis des décennies, les gouvernements échouent à traiter les grands problèmes de la société française. Donc, l’idée que la politique ne peut plus faire grand-chose pour le bien commun finit par se banaliser. On ne parle plus de projets puisque personne n’y croit, mais l’attention politique se focalise sur des émotions d’amour ou de haine autour de quelques individus médiatisés.

 3- De quoi cette situation est-elle le symptôme ? 

 Elle est avant tout le symptôme de l’affaiblissement de la culture ou de l’intelligence politique. Elle est le fruit d’un déclin intellectuel qui se retrouve partout mais plus particulièrement dans les élites dirigeantes et médiatiques. La vie politique se réduit à adorer ou haïr des personnages médiatisés, à les admirer ou à les mépriser, à les encenser ou à les dénigrer. Il n’y a plus rien d’autre que cela. La France, et surtout la France d’en haut, celle qui est censée donner l’exemple, ne sait plus rien faire d’autre. Les sujets de fond ont disparu. On est en permanence dans la quête de l’émotion et du sensationnel. L’esprit critique qui devrait fournir une arme de résistance à ce phénomène s’est comme volatilisé. Qui est là pour rappeler que la politique a pour unique objectif de traiter les grands sujets intérieurs et internationaux dans l’intérêt général, et pas d’idolâtrer ou de lyncher telle ou telle icône médiatique ? Personne. La politique française fait naufrage dans le culte du « je » narcissique, dans une culture de soumission à l’idole et de sectarisme haineux (idole contre idole), mais cela n’étonne et n’indigne plus personne. Nous payons là des décennies de renoncement à enseigner correctement l’histoire, le français, la philosophie, ces matières dont le but est de former l’intelligence et l’esprit critique. Cela dit, la majorité silencieuse n’est sans doute pas dupe de cette évolution. La pauvreté du spectacle politique peut expliquer, au moins en partie, pourquoi 58% des électeurs envisagent de s’abstenir aux élections européennes. L’abstentionnisme est certes un drame de la démocratie, mais comment blâmer les abstentionnistes au regard d’une offre politique aussi piteuse ?

 

 

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Author: Redaction