Repenser la pauvreté en Europe

Repenser la pauvreté [1], l’ouvrage
des deux économistes du développement
du MIT, à Boston, Abhijit
Banerjee et Esther Duflo, invite à
faire un bilan sans complaisance,
mais donne aussi une espérance :
il n’y a pas de fatalité à la misère.
Ce sont trop souvent les erreurs
humaines qui l’aggravent ou l’entretiennent.

Lauréats du prix Financial Times-
Goldman Sachs Business Book of
the Year en 2011, les auteurs racontent
leurs études de terrain, au
contact des plus démunis, dans de
nombreux pays. Ils invitent à une
proximité qui manque cruellement
dans les politiques menées par l’UE,
comme par la plupart des États et
des organisations internationales.
Leur message, fondé sur des méthodes
d’investigation scientifiques,
rejoint l’intuition du P. Wresinski,
fondateur d’ATD Quart Monde : le
respect des pauvres, dans leur dignité,
la prise en compte de leur
aptitude à déterminer ce qui est bon
pour eux, voilà l’essentiel.

À l’occasion de la Journée mondiale
du refus de la misère, le 17 octobre
dernier, l’intergroupe du Parlement
européen « Extrême
pauvreté et droits de l’homme – Comité
quart monde » a organisé une
rencontre sur ce sujet. Parmi les
participants, des personnes démunies,
formées au dialogue par ATD
Quart Monde, des élus, des fonctionnaires
de la Commission et du
Parlement, des ONG, des religieux,
des laïcs.

Parmi les intervenants, des personnalités
très diverses : Abhijit
Banerjee, l’un des deux coauteurs
de Repenser la pauvreté, Benoît
Coeuré, membre du directoire de la
Banque centrale européenne, ou
encore Diana Skelton, déléguée
adjointe de l’association ATD Quart
Monde.

Aujourd’hui, plus de 115 millions
de personnes sont menacées de
pauvreté au sein de l’Union européenne ; elles se sentent exclues
des politiques qui les concernent,
impuissantes à freiner leur marginalisation.

Loin d’être seulement en quête
d’argent ou de prestations sociales,
ces citoyens désirent surtout être
reconnus. Reconnus pour leur
connaissance de la misère et du
meilleur moyen d’y remédier, reconnus
pour leur capacité à participer,
eux aussi, à la vie en société
et à la création de richesses. Ils demandent
qu’on n’ajoute pas à leurs
déboires des décisions aussi infamantes,
par exemple, que le retrait
de leurs enfants. Ils réclament un
autre regard sur leurs besoins et
leurs désirs, ce qui permettrait peutêtre
de les remettre plus vite sur
pied.

Comme le déclarait très justement
Abhijit Banerjee lors de la conférence
organisée par l’intergroupe,
« nous faisons l’erreur de comparer
la vie des personnes pauvres à la
nôtre
». Le problème n’est pas la
lutte contre la pauvreté en ellemême,
mais la manière dont nous
luttons. Selon les termes de Benoît
Coeuré, « la pauvreté en Europe est
moins importante que dans d’autres
parties du monde, mais elle n’est pas
en déclin
». En effet, les pays riches
ne sont pas épargnés par la misère.

Que pouvons-nous faire pour
remédier à cette situation préoccupante ? Plusieurs idées intéressantes
ont été exposées le 17 octobre dernier.

La première, avancée par le représentant
de la BCE, serait de créer
des politiques de lutte contre la
pauvreté créatives et innovantes. Et
de mieux expliquer comment la
maîtrise de l’inflation, la stabilité
de la politique monétaire, bénéficient
aux plus modestes. Dans ce
contexte, la BCE peut jouer un rôle
de stabilisateur.

La deuxième, proposée par le
député européen Jürgen Klute, serait
de favoriser la croissance et
l’emploi sans pour autant contester
le bien-fondé des mesures d’austérité,
à une époque où les coupes
budgétaires sont de rigueur.

Privilégier la qualité de la dépense
publique, réduire les dépenses publiques
inutiles afin d’allouer les
ressources disponibles aux politiques
les plus indispensables, telles
devraient être nos priorités. Dans
plusieurs États européens, cet exercice
de « revue des dépenses » reste
à faire.

« Les politiques les mieux intentionnées
et les mieux conçues peuvent
n’avoir aucun effet si elles ne sont
pas mises en oeuvre correctement.
»
Telle est la leçon que nous pouvons
tirer du livre d’Abhijit Banerjee et
d’Esther Duflo.

C’est en ayant à l’esprit cette
maxime que nous devrons mettre
en place le Fonds européen d’aide
aux plus démunis. Une dotation de
2,5 milliards d’euros jusqu’à 2020
constitue une somme considérable.
L’initiative est bienvenue, mais encore
faut-il garder à l’esprit les attentes,
la demande de respect de
leur dignité de ceux à qui il est destiné.

Photo :Samuele Pellecchia/The New York Times/rEdux/rea


[1] Éditions du Seuil (2012)

Author: Rédaction