Lecture: Le dernier secret, Solenn de Royer, Grasset 2021

Le dernier secret est un livre magnifique, issu de la rencontre entre Solenn de Royer, grand reporter au Monde et une jeune femme qui fut la dernière compagne de François Mitterrand, présentée sous le pseudonyme de Claire. Cette œuvre d’une grande poésie a un côté Shakespearien, abordant avec beaucoup de pudeur et de retenue la question du lien entre le pouvoir, le désir et la mort. Il s’en dégage une émotion intense qui traverse tout le récit.

Cette œuvre a une dimension faustienne aussi dans ce pacte étrange par lequel une jeune femme de 22 ans échange sa jeunesse avec un homme de plus de 75 ans au sommet de la puissance contre un rayon de son prestige. Il est difficile de parler d’amour dans cette relation de plusieurs années mais d’un éblouissement réciproque. L’un se raccroche comme un naufragé à sa jeunesse perdue et qui continue de se dérober. L’autre s’abandonne au vertige de la proximité du pouvoir au fil d’une passion ambigüe qui confond fascination et tendresse .

C’est elle, étudiante en droit, qui, sous l’emprise d’une admiration sans borne, le suit partout, de meeting en meeting, avant leur rencontre en 1988. « – Allo? c’est François Mitterrand. – Bonjour Monsieur le président. – Comme je vous le disais l’autre jour, j’aimerais vous inviter à déjeuner chez moi. – Il y aura beaucoup de monde ou juste vous et moi? – Juste vous et moi. Ca vous ennuie? » Ce témoignage met à jour les pensées et les réflexions d’un personnage qui est alors le premier dirigeant de France et l’un des cinq ou six « grands » de la planète. De fait, des confessions intimes notées par Claire, se dégage une sorte d’égoïsme absolu ou d’obsession de lui-même: « Qu’est-ce qui t’a motivé à devenir ce que tu es? – Le tempérament et l’ambition. – Pas ton éducation? – Je suis issu de la petite bourgeoisie, un milieu dans lequel la réussite est importante il est vrai […]Qu’est-ce qui t’intéresse maintenant? – La vie, la nature, Regarder une femme qui m’émeut. Mes combats. – Pourquoi veut-on laisser une trace dans l’histoire? – Oh, c’est vrai j’en laisserai une plus durable que d’autres […] Il me dit « Dans mille ans, qui se souviendra de moi? Je ne serai qu’un point dans l’histoire ».

Leur relation se brise sur la révélation par la presse de la double vie de François Mitterrand, de sa liaison avec Anne Pingeot et de sa fille cachée. Tout cela, l’existence d’une seconde famille avait été dissimulé au regard de Claire: « Mitterrand est tassé dans son fauteuil. Claire lui dit sa colère et sa peine. Le 10 novembre 1994, Paris Match a publié une photo du président de la République et de sa fille Mazarine, dont l’existence est révélée. – Je suis quoi, moi, dans tout ça? Un jouet, une doublure? Elle tempête. Elle le traite de menteur. Il encaisse mais ne se justifie pas. » A cette lecture, on songe inévitablement: et si Claire s’appelait Marianne? Et si la jeune femme trompée était une image de la France? Le pays pense qu’au palais de l’Elysée, un personnage travaille au bien commun, censé les protéger et préparer l’avenir de leurs enfants. De fait, il n’a de cesse que de s’enivrer de lui-même. Cela dit, l’égoïsme suprême que révèle ou confirme cet extraordinaire témoignage est mâtiné d’un profond désenchantement. La dimension intellectuelle du personnage se traduit par une hauteur de vue qui le préserve de toute illusion quant à sa trace dans l’histoire. En termes de naufrage narcissique, Mitterrand fut sans doute un précurseur. Mais d’autres après lui, à l’Elysée, n’ont même pas le garde-fou de sa culture et de sa lucidité sur lui-même.

MT

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Author: Redaction