Lecture: Histoire du Moyen-Âge, Georges Minois, Perrin 2016

Certains livres d’histoire ont l’avantage de nous inviter à prendre de la hauteur et à relativiser les aléas du quotidien. Cette histoire du Moyen-Âge est un ouvrage fascinant car il embrasse en 520 pages 1000 ans d’histoire du continent européen, de l’Ecosse à Constantinople… Cette synthèse admirable a l’avantage de traiter à la fois des événements politiques, les phénomènes économiques et sociaux, et l’évolution des idées, la vie intellectuelle.

Le Moyen-Âge commence en 476, quand le chef barbare Odoacre contraint le dernier empereur d’Occident, Romulus Augustule à abdiquer et se proclame roi d’Italie.  L’ouvrage met en valeur la succession des phases de progrès du monde occidental et les plongées de l’humanité dans le chaos. Il donne l’image d’un éternel retour, d’une histoire cyclique où alternent les périodes d’élévation et de rechute aux abîmes.

Ainsi, Clovis, de son vrai nom Clodweg,  à partir de 482, dont la légende est issue du récit de Grégoire de Tours, par la violence et la guerre, sa victoire contre les Alamands à Tolbiac en 496, par son mariage avec Clotilde, nièce de Gondebaud, roi des Burgondes, sa conversion et son baptême entre 496 et 500, parvient à placer sous la domination du royaume franc un territoire correspondant plus ou moins à une partie de la France actuelle.

Mais à sa mort, ses quatre fils se partagent le royaume et la dynastie mérovingienne, cette « famille épouvantable« , comme écrit l’auteur, déchirée entre deux entités politiques dominantes, la Neutrie à l’Ouest et l’Austrasie à l’Est, sombre dans un chaos sanguinaire: « Les quatre fils de Clotaire Ier poursuivent la tradition du fratricide. Caribert meurt le premier en 568; ses frères se partagent sa part; en 575, Frédégonde, épouse de Chilpéric, fait assassiner son beau-frère Sigesbert. L’épouse de ce dernier, Brunehaut, entreprend de le venger. Réfugiée à à Rouen elle se remarie avec son neveu Mérovée, le propre fils d’un premier mariage de Childebert, son beau-frère et épouse de Frédegonde. Cette dernière fait assassiner Mérovée et son frère Clovis, mais en 584, son mari Chilpéric est à son tour assassiné […] Son fils Clotaire II, qui cherche toujours à venger l’assassinat de son père Chilpéric par Brunehaut, finit par s’emparer de celle-ci en 613 « 

En certaines périodes, toute notion d’intérêt public, de bien collectif, semble se désintégrer sous l’effet de la démence mégalomaniaque des dirigeants et entraîne la communauté politique dans le gouffre de la barbarie.

L’histoire semble bégayer avec les Carolingiens, une grande famille austrasienne (établie sur une zone frontalière entre la France  et l’Allemagne actuelles): Charles Martel, Pépin le Bref, sacré roi des francs en 751, qui s’allie avec le pape puis Charlemagne, empereur en 800 dont la souveraineté s’étend sur l’ensemble Europe occidentale. Nous ne sommes pas alors dans une logique nationale mais le royaume puis l’empire carolingiens visent à incarner la chrétienté, face au paganisme à l’Est (lutte contre les Saxons) et face à l’islam au sud, lui-même déchiré entre factions multiples. La renaissance carolingienne s’appuyant sur un Etat autoritaire (les Missi dominici), étroitement imbriqué avec l’Eglise, est une période de progrès intellectuel, marquée par un essor littéraire, philosophique, historique (Adalard, Agobard, Jonas d’Orléans, Loup de Ferrière, Jean Scot Erigène). Ces auteurs ne nous disent plus rien, mais depuis la fin de l’antiquité, ils marquent la première renaissance de la pensée en Occident.

Mais l’Occident se déchire de nouveau et replonge dans la barbarie. L’énorme empire carolingien n’était qu’un « géant aux pieds d’argile (sic) » et sombre à nouveau dans la division. Le successeur de Charlemagne, Louis le Pieux, se montre influent et indécis. Ses trois fils aînés, Lothaire, Pépin et Louis, se révoltent contre leur père. Avec le traité de Verdun, en 843, à sa mort, ils se partagent l’empire: Charles le Chauve, l’Ouest (la future France), Louis le germanique, l’Est (la future Allemagne), Lothaire, une bande centrale, la Lotharingie, de la mer du nord à l’Italie et le titre d’empereur.

« Après la mort de Charles le Chauve, en 877, l’Europe occidentale entre pour plus d’un siècle dans une phase d’indescriptible chaos, sans doute la période la plus confuse de l’histoire médiévale« . L’Occident sombre alors dans l’anarchie. L’autorité politique comme l’autorité morale du pape ont disparu. L’Europe est frappée par l’invasion des Vikings qui remontent les fleuves et exterminent les populations. Des hordes sauvages dévastent les campagne. Cette période est dominée par l’affrontement entre la papauté et l’empire d’occident, ressuscité par Otton 1er en 962.

Le XIe au XIIIe est une période de retour à la stabilité politique, avec par exemple l’élection d’Hugues Capet à la tête du royaume franc et l’essor de la dynastie capétienne. La vie sociale et politique s’organise autour de la féodalité, les liens personnels d’allégeance et de fidélité entre le seigneur et son vassal, une construction pyramidale extrêmement solide, dont le roi de France est le sommet, l’honneur et la religion chrétienne en sont le ciment.

Une période de renouveau intellectuel, culturel technologique se met en place. Le progrès se manifeste sous toutes ses formes, culture (troubadours), littéraire (roman de la rose), religieux, architectural et technologique (construction des grandes cathédrales), économique et commerciale avec les grands marchés et l’industrie textile, la pensée autour de la tentative de concilier foi et raison. « Tout commence en l’an 1000, lorsque le moine Gerbert d’Aurillac compose son traité Du rationnel et de l’usage de la raison« , le développement des universités et des villes. L’essor de l’occident se traduit par son expansionnisme à travers les Croisades. Pendant ces trois siècles de prospérité et de progrès dans tous les domaines, la population de l’Europe occidentale s’accroît considérablement: elle double ou triple passant à une cinquantaine de millions de personnes.

Et puis, pour des raisons incompréhensibles, inconnues, qui semblent échapper à toute explication rationnelle, à partir d’une date que l’auteur situe aux alentours de 1315, l’Europe plonge de nouveau dans les ténèbres. Elle est frappée par les « Cavaliers de l’Apocalypse« , la guerre, la famine et la peste. Plusieurs catastrophes climatiques, des hivers d’une extrême rigueur suivis de pluies diluviennes et de sécheresse, entraînent  d’épouvantables famines.

En janvier 1348, trois galères accostent dans le port de Gênes. « La mort venue d’Orient a débarqué, probablement avec les puces des rats qui étaient à bord. La peste bubonique la plus virulente, la plus contagieuse, transmissible par l’air, se répand de façon foudroyante« . Aucune région de l’Europe n’est épargnée. « La mort noire » provoque une hécatombe: 35% de la population européenne est exterminée, jusqu’au moindre village, 80% de la population de grandes villes. Le territoire actuel de l’Ile-de-France perd la moitié de ses habitants. « Les vivants, paniqués, sont débordés par le nombre de morts que l’on ne peut enterrer assez vite […] Le peste noire peut-être la plus grande catastrophe de l’histoire européenne, a été une sorte de répétition générale de l’apocalypse, illustrant jusqu’à la caricature les comportements de l’humanité placée dans des conditions extrêmes: résurgence des instincts primaires, fragilité du vernis civilisateur, égoïsme féroce, irrationalité et contradictions de l’esprit humain, absurdité de la condition humaine jusque dans l’extraordinaire résilience de l’espèce humaine. »

De nombreuses guerres se déclenchent dans toute l’Europe, dont la guerre de Cent ans entre la France et l’Angleterre, entraînant d’effroyables tueries dans les campagnes. Les chefs de guerre, livrés à eux-mêmes, se donnent pour objectif de terroriser et d’exterminer les populations. « Un modèle du genre est la chevauchée du Prince noir en Aquitaine [et ses troupes] , détruisant systématiquement tout sur leur passage, tuant hommes et animaux, brûlant récoltes et villages […] Satisfait le Prince noir, digne cavalier de l’Apocalypse, écrit à son père le roi (d’Angleterre): Nous avons dévasté et détruit cette région ce qui a causé une grande satisfaction aux sujets de Notre Seigneur le roi. »   

La Renaissance, autour de la constitution des Etats-nation et d’un prodigieux essor intellectuel, scientifique et technologique sortira enfin l’Europe de ce chaos infernal dès la fin du XVe siècle.

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Ce récit ouvre un abîme de perplexité concernant la condition humaine et la connaissance du passé invite inévitablement à penser l’avenir.  Au-delà de l’explication climatique, comment expliquer l’alternance de cycles où les sociétés, sous l’impulsion de quelques-uns, se prennent en main, s’organisent (féodalité, Empire, Etat-Nation), se  donnent un destin et entrent dans une dynamique de progrès intellectuel, technologique, moral, toujours suivi de rechute dans la barbarie, le chaos et et l’apocalypse. L’humanité du XXIe siècle est-elle toujours fondamentalement la même, ou a-telle changé de nature avec la technologie, les progrès de la connaissance et la mondialisation? L’ère de relative prospérité et paix que nous connaissons est-elle vouée à se prolonger éternellement ou sommes nous toujours, l’espèce humaine, soumis à des cycles de progrès et de rechute générale dans le chaos et la barbarie,  exposé au retour de  l’apocalypse? Je n’ai hélas que des questions et pas de réponses à apporter!

Maxime TANDONNET

 

 

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Author: Redaction