Etrange et trompeuse euphorie

Ci-joint mon dernier article, paru vendredi, pour le Figaro Vox. Il lance un cri d’alerte devant l’euphorie actuelle de la « France d’en haut » et plus généralement, le climat d’optimisme qui s’installe sur la France avec l’arrivée de l’été. L’optimisme n’est pas meilleur que le pessimisme. Il favorise l’euphorie, l’extase, éloigne toujours du monde des réalités. La société passe sans transition du pessimisme à l’optimisme, puis de l’optimisme au pessimisme, dans un mouvement de fuite en avant de nature névrotique, alimenté par les émotions collectives, spontanée, et les illusions, manigancées. C’est un constat historique: les mouvements d’allégresse collective, en général, finissent dans la déception sinon le désastre. Bien sûr, comme tout le monde, je souhaite la réussite de l’expérience « Macron », pour la France, pour l’avenir de nos enfants. Mais suis-je obligé d’y croire? Par réalisme, je n’y crois guère. Sur l’essentiel, c’est-à-dire la restauration de  l’autorité de l’Etat dans tous ses aspects, la baisse des charges qui pèsent sur l’économie française et la réhabilitation de l’intelligence, je n’attends rien du nouveau pouvoir. En outre, il me semble paradoxal de tenir un discours éthique et de favoriser, dans la formation d’un gouvernement, les trahisons, les retournements de veste, les coups de communication. Rien de nouveau sous le soleil bien sûr, mais ces pratiques, que j’ai toujours réprouvées, ont pris ces derniers jours une toute autre ampleur.  Bref, je souhaite de tout cœur le succès de la nouvelle équipe, mais n’y crois guère et pense que dure sera la chute. Car la France de ces dernier jours me semble baigner dans une illusoire euphorie. Et encore une fois, n’ayant pas de prétention à détenir la vérité, tant mieux si je me trompe.

Maxime TANDONNET

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Trompeuse et dangereuse euphorie

Le passage de la déprime à l’euphorie collective, la béatitude, l’extase est une constante du caractère français et de l’histoire politique de la France contemporaine. Dans ces moments-là, toute manifestation de réserve ou de préoccupation pour l’avenir expose son auteur à l’opprobre, à l’exclusion et aux insultes. Au mieux, il est ringard, pessimiste, aigri, chagrin, jaloux, vieux, homme du passé, dépassé, rabougri, grincheux. Au pire, le voilà étiqueté de traître, réactionnaire, fasciste… Il est étrange de constater comment, de siècle en siècle, les mêmes phénomènes d’hystérie joyeuse se retrouvent avec constance. Mais bien souvent, les manifestations de joie, de bonheur retrouvé, d’allégresse nationale, forment un écran de fumée qui masque les désastres en train de germer. Faut-il se taire pour échapper à la vindicte, au risque de se voir traiter d’oiseau de malheur ?

14 juillet 1790 : la fête de la Fédération donne lieu à des scènes de liesse à Paris, de la part de délégations de patriotes venues de toute la France. Qui imagine la Terreur trois ans plus tard, la loi des Suspects, la grande Terreur, la guillotine, les massacres de Vendée, puis les guerres napoléoniennes, les centaines de milliers de morts et le désastre final?

Février 1848, la chute de Louis-Philippe après une brève révolution, donne lieu à de fabuleuses scènes d’allégresse, Lamartine proclame de la Seconde république, célèbre la bonté, la générosité, le progrès l’humanisme, « l’optimisme ». L’heure est à la plantation des «arbres de la liberté », une ère nouvelle s’ouvre pour la France. Quatre mois plus tard, la fermeture des Ateliers nationaux provoque un effroyable bain de sang à Paris et Louis-Napoléon Bonaparte, élu président de la République, se met en marche vers le coup d’Etat et l’abolition de la République.

3 août 1914, à l’aune de « l’Union sacrée », les politiques annoncent que la guerre « sera courte » et les cris de « à Berlin ! » retentissent dans les gares. Qui prévoyait que ce conflit allaient plonger l’Europe dans l’enfer des tranchées, l’atroce calvaire des Poilus, provoquer 15 millions de morts, combien de mutilés, de veuves et d’orphelins ? 11 novembre 1918, le vertige de la Victoire, après tant de souffrances submerge la France. La « Der des Der » n’était pourtant pas la dernière. Qui voyait alors que le triomphe recelait un siècle de malheur dominé par la montée des barbaries totalitaires, soviétique, fasciste et nazie.

29 et 30 septembre 1938, la signature des accords de Munich entre Daladier, Chamberlain, Mussolini et Hitler engendrent l’illusion que la « paix est sauvée ». La classe politique (à l’exception d’une infime poignée d’hommes politiques de droite et du parti communiste) et la presse dans son ensemble les approuvent. Paris-Soir lance une souscription pour offrir une maison de la paix à Biarritz au Premier ministre britannique. La foule est enthousiaste et des scènes d’hystérie enflamment les rues de la capitale. Rares étaient les hommes et femmes qui sentaient, par-delà l’enthousiasme collectif, se profiler l’apocalypse de la deuxième guerre mondiale et ses 50 millions de morts.

Les grandes scènes d’enthousiasme collectif de ces dernières années ne sont évidemment pas à la dimension de ces moments d’histoire. Pourtant, à une échelle minuscule, leur nature est ressemblante : l’extase qui rend aveugle et masque les dangers de l’avenir. 12 juillet 1998, la victoire de la France en coupe du monde de football provoque une gigantesque flambée de bonheur national autour de l’équipe de France, symbole de la nation réunifiée, que Jacques Chirac reçoit à l’Élysée. Qui imaginait alors les crises des banlieues, la révolte d’octobre 2005, la montée des haines, de la violence, des communautarismes, du repli identitaire et du vote extrémiste en France ?

Ces derniers jours, la France d’en haut, médiatisée, visible, officielle, communie dans un indescriptible enthousiasme, et quasi unanime, à propos de l’élection du plus jeune président de l’histoire, de la faillite des « vieux partis » et de la recomposition politique en marche… Après la déprime de ces dernières années, l’heure est de nouveau à l’optimisme et à l’allégresse médiatique. Il devient incongru de s’interroger sur les ambiguïtés de la situation politique actuelle :

  • Le danger pour la démocratie de l’émergence d’un vaste centre, absorbant les modérés de droite et de gauche, favorisant la démagogie et la tentation du recours aux extrémismes de droite comme de gauche.
  • Les inconvénients d’une « pensée unique », bruxelliste (plutôt qu’européenne), ultra-libérale, anti-frontières, qui ne peut qu’aggraver la fracture entre la France dite « d’en haut » et la France dite « d’en bas », réduite au silence, frappée par le crise sociale et le sentiment d’exclusion.
  • Les manipulations autour d’une fausse nouveauté, celle d’un gouvernement par un vaste centre aux contours indistincts, dominé par les calculs politiciens, qui renvoie au souvenir du parti radical sous la IIIe République, sombrant dans l’instabilité, l’impuissance et l’indécision face aux périls les plus effroyables.

La seule vraie nouveauté dans la vie politique de ce pays tiendrait à la réhabilitation d’un mot, désormais ringardisé : celui de vérité.

 


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Author: Redaction