À l’heure où la question migratoire taraude à nouveau les Français, les dernières projections d’Eurostat (EUROPOP2023) posent aux Européens la question de leur survie démographique. Même en projetant une remontée progressive de la fécondité, à très long terme, vers un niveau légèrement inférieur à la fécondité française actuelle, l’UE ne peut espérer ne serait-ce que maintenir le nombre de ses habitants sans recourir à l’immigration. Laquelle pourrait finir par peser très lourd dans l’évolution démographique de certains pays de l’UE, notamment en Espagne et en Italie où la fécondité tourne actuellement autour de 1,2 enfant par femme. L’Europe n’envisage pas la possibilité d’une redynamisation interne de la démographie de l’UE condamnée à voir le nombre de décès dépasser très largement le nombre des naissances. C’est déjà le cas et cela ne devrait pas s’arranger. Sans immigration, l’UE pourrait perdre, même avec une remontée progressive de la fécondité (1,77 enfant par femme en 2150), 152 millions d’habitants d’ici la fin du siècle.
Eurostat a publié d’abord une projection centrale, à laquelle il a ajouté plus récemment des variantes.
2022 est l’année de départ d’EUROPOP2023 et 2100 la dernière année projetée. De la projection centrale sont dérivées cinq autres projections alternatives faisant varier une seule hypothèse à la fois.
Des hypothèses sur la fécondité, la mortalité et les migrations sont nécessaires. La méthodologie (voir l’encadré méthodologique en fin de texte) ressemble à celle des exercices précédents à quelques variantes près. Comme dans ces derniers, est retenue l’hypothèse d’une convergence, qualifiée de partielle, entre les pays de l’UE. Le raisonnement est toujours le même : la convergence socio-économique devrait conduire à une convergence des évolutions démographiques.
L’UE27 condamnée au déclin démographique ?
Dans la projection centrale, la population de l’UE27, estimée à 446,7 millions en 2022, gagnerait 1,1 millions d’ici 2050, mais en perdrait 18,6 dans le quart de siècle suivant et encore près de 10 dans le dernier quart. Dans la projection qui suppose un gain d’espérance de vie de 2 ans supplémentaires d’ici 2100, la population de l’UE27 suivrait une trajectoire voisine. Une immigration non européenne d’un tiers plus élevée conduirait à une légère progression de la population de l’UE27 sur le reste du siècle, surtout jusqu’en 2050. Une immigration non européenne en recul d’un tiers amènerait une diminution de la population d’ampleur légèrement moindre que ce que produirait une fécondité inférieure de 20 % à celle retenue dans la projection centrale. Sans aucune migration, la population de l’UE27 perdrait 38 millions d’ici 2050, puis encore 114 millions d’ici la fin du siècle. Dans le cadre des hypothèses retenues, l’immigration freinerait donc le déclin démographique de l’UE27 et pourrait même en augmenter un peu le nombre d’habitants dans l’hypothèse migratoire la plus haute.
Graphique 1.- Évolution de la population de l’UE27 en fonction des hypothèses retenues par Eurostat.
L’UE ne peut compter sur le mouvement naturel pour accroître ou seulement maintenir sa population
Quelle que soit la projection, l’évolution naturelle de la population de l’UE27 serait fortement négative sur l’ensemble de la période. En 2022, 1,25 million de nouveau-nés ont manqué pour compenser le nombre de décès. Ce déficit est appelé à se creuser dans toutes les hypothèses, jusqu’autour de 2060, pour diminuer ensuite, mais sans qu’il ne se transforme jamais en excédent. Sans surprise, c’est l’hypothèse d’une fécondité basse qui a l’effet le plus négatif sur le solde naturel (graphique 2). Rappelons que ce résultat est dû en partie à l’hypothèse selon laquelle les immigrées auraient la même fécondité que les natives, alors qu’elle lui est supérieure dans plusieurs pays. Mais, au final, d’après EUROPOP2023, l’Union européenne n’a aucun espoir de voir sa démographie assurée par le renouvellement naturel. Pour maintenir ou voir croître un peu sa population, elle ne peut compter que sur l’immigration. La plupart des pays de l’UE27 connaissent un solde naturel négatif dès 2022. Dans la projection centrale, ce n’est le cas de la France qu’à partir de 2039, de l’Irlande qu’à partir de 2051 et de la Suède qu’à partir 2058.
Graphique 2.- Évolution du solde naturel (naissances-décès) selon l’hypothèse retenue par Eurostat.
Apport démographique de l’immigration nette
L’apport démographique de l’immigration nette n’est pas celui de l’immigration étrangère. S’y ajoute celui de l’immigration nette des natifs, assez souvent négative. C’est le cas en France où beaucoup plus de natifs quittent la France que ceux qui y reviennent. Cet apport démographique est celui des migrations à venir, sans cumul avec celui des migrations passées. Enfin, la fécondité et la mortalité sont, par construction, les mêmes pour les immigrés et les natifs.
Le tableau 1 ci-dessous rassemble les données sur cet apport démographique d’ici 2050, 2075 et 2100. Dans l’hypothèse migratoire haute, les migrations ajouteraient près de 59 millions d’habitants à l’UE27 d’ici 2050 soit +12,6 %. C’est apport doublerait dans le quart de siècle suivant et finirait par atteindre près de 175 millions en 2100, soit 37 % de la population de l’UE27 à cette date. C’est en Italie et en Espagne, pays pour lesquels les taux d’immigration nette projetés par Eurostat sont les plus élevés, quelle que soit l’hypothèse migratoire, que cet apport est le plus conséquent, sans même assurer une croissance démographique sur l’ensemble de la période. Dans l’hypothèse migratoire haute, la population de l’Italie ne gagnerait qu’un million d’habitants d’ici 2050, en perdrait ensuite, pour finir à 57 millions en 2100. La moitié de la population serait alors apportée par l’immigration nette intervenue depuis 2022. Avec la même hypothèse, la croissance démographique de l’Espagne de quelques millions d’habitants d’ici 2075 serait également le fruit d’un apport démographique de l’immigration nette important, lequel représenterait 55 % de la population en 2100. Quant à la population de la Pologne, elle est amenée à se réduire drastiquement dans toutes les hypothèses. Sans migration, elle perdrait 36 % de sa population d’ici 2100. Elle en perdrait aussi si l’hypothèse migratoire haute se trouvait vérifiée, mais moins (-15 %). Alors, près d’un quart de sa population serait apportée par l’immigration nette depuis 2022.
Tableau 1.- Apport démographique de l’immigration nette (N.A. : nombres absolus en millions et en %) dans les
cinq pays les plus peuplés de l’UE27 en fonction de l’hypothèse migratoire retenue par Eurostat, en 2050, 2075 et 2100.
La population de l’UE27 appelée à vieillir dans toutes les hypothèses
Le rapport de dépendance qui rapporte le nombre de personnes âgées de 65 ans ou plus aux personnes âgées de 15 à 64 ans, déjà élevé en 2022 (33 %) est appelé à croître dans l’UE27, quelle que soit l’hypothèse retenue. Dans l’hypothèse la plus favorable (migrations hautes), il atteindrait 48,3 % en 2050, puis 53,3 % en 2075 pour finir à 57,9 % en 2100. Il y aurait alors un peu plus d’une personne en âge d’être en retraite, si celle-ci était fixée à 65 ans, pour deux personnes potentiellement d’âge actif. Et encore, peu commencent à travailler à 15 ans. La situation serait bien pire en l’absence de migration : 50 % serait atteint dès 2042 et le rapport de dépendance tendrait vers 70 % en fin de siècle (graphique 3). C’est aussi à ce niveau que conduirait, en 2100, l’hypothèse de fécondité basse. En France, avec des hypothèses migratoires beaucoup plus faibles, compte tenu d’une fécondité supérieure, le profil d’évolution est à peu près le même, sauf en l’absence de migration. Le résultat semble aberrant car le rapport de dépendance évolue alors moins vite que dans l’hypothèse migratoire basse. Lorsqu’on examine l’apport démographique de l’immigration, dans cette hypothèse, au nombre de naissances, il serait moins élevé entre 2032 et 2081 qu’en l’absence de toute migration. On ne comprend pas bien pourquoi, la fécondité et la mortalité restant les mêmes.
Graphique 3.- Évolution du rapport de dépendance (65 ans+/15-64 ans) de 2022 à 2100 en fonction de lhypothèse retenue par Eurostat
Au vu des résultats de ces projections, on comprend les préoccupations d’Ecofin et de celles de la Commission européenne. L’UE27 serait, sans migration, condamnée à un fort déclin démographique, couplé à un vieillissement accentué. Mais, même avec une immigration nette conséquente, la population de l’UE27 augmenterait peu sans éviter un certain vieillissement.
La possibilité d’une accentuation de la pression migratoire du type de celle connue ces dernières années n’a pas échappé à Eurostat sans qu’on la retrouve dans ses hypothèses : « À l’avenir, le changement climatique devrait être l’un des moteurs des schémas migratoires mondiaux. Rien qu’au cours des 30 prochaines années, l’élévation du niveau des mers, la sécheresse, l’augmentation des températures et d’autres catastrophes climatiques devraient obliger quelque 143 millions de personnes à fuir leur foyer et contribuer à maintenir des niveaux d’immigration élevés dans l’UE ».
Par ailleurs, Eurostat a privilégié une convergence de la fécondité dans l’UE27 vers un niveau (1,77) voisin de celui de la France aujourd’hui (1,80 France entière, 1,76 en France métropolitaine en 2022) en 2150, tout en exprimant des réserves sur le rôle de la conciliation entre travail, carrière et maternité dans la poursuite d’une récupération tardive de la fécondité qui s’est raréfiée aux âges jeunes. Il n’est donc pas impossible que le déclin démographique soit beaucoup plus prononcé que celui annoncé par la projection centrale d’Eurostat, qui est celle sur laquelle il communique le plus volontiers.
On pourrait juger qu’il est de peu d’intérêt de produire des projections de populations à un horizon aussi lointain que 2100. Il n’est cependant pas inintéressant d’anticiper ce que nous réserve un déclin démographique prolongé. Eurostat n’anticipe à aucun moment la possibilité, pour l’UE, de retrouver un niveau de fécondité qui assurerait le renouvellement de sa population. Il est d’ailleurs peu probable qu’une politique familiale volontariste suffise désormais à convaincre les jeunes de croitre et se multiplier, à une époque où c’est l’être humain qui fait figure de nuisible sur terre. Les enjeux écologiques et climatiques mondiaux et un individualisme forcené ne forment pas le cocktail idéologique favorable à la responsabilisation des Européens pour qu’ils se préoccupent d’un destin collectif à l’échelle de leur nation ou de l’Union européenne. Les lamentations sur la relève démographique qui vient de l’étranger ne sauraient être le refuge de peuples qui n’assument plus la survie de leur civilisation.
Michèle Tribalat