Pourtant, le bilan de la politique gouvernementale, dans les années qui coïncident avec son action à Matignon, peut difficilement expliquer cette popularité, même s’il n’en est évidemment pas l’unique responsable. Pour l’essentiel, les historiens retiendront trois événements de cette période. Le premier est le renoncement à faire respecter l’autorité de l’Etat au sujet de la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, face aux zadistes. Le second est le déclenchement de la crise des Gilets Jaunes : plusieurs mois de violences et destructions, en voulant imposer la taxe carbone et la limitation de vitesse à 80 km/h – avant de renoncer. Le troisième est le début chaotique de la gestion de la crise sanitaire du covid 19 en particulier le psychodrame des masques et l’instauration d’un Absurdistan de sinistre mémoire (attestations de sorties, répression, surenchère de brimades inutiles comme l’interdiction des plages et la fermeture des librairies).
Ses prises de positions dans le débat public depuis 2020 ne sont pas, elles non plus, de nature à favoriser cette popularité. Edouard Philippe n’a-t-il pas plaidé pour un âge de départ à la retraite à 67 ans, alors que 80% des Français sont vent debout contre le passage de 62 à 64 ans (qu’ils estiment à la fois inutile, compte tenu de la règle des 43 annuités, et injuste puisque pesant sur la France populaire entrée sur le marché du travail avant l’âge de 21 ans) ? Le paradoxe est saisissant…
Alors, comment cette popularité relative a-t-elle pu s’imposer et s’inscrire dans le paysage politique français ? L’une de ses raisons pourrait être la réputation d’intégrité de M. Philippe qui n’est pas connu pour avoir été mis en cause dans des affaires de corruption. Tandis que la crise de confiance des Français envers le monde politique atteint son paroxysme, les mises en examen et les condamnations touchant de nombreux dirigeants de ce pays, l’ancien premier chef de gouvernement du président Macron est généralement considéré comme ayant les « mains propres ». A cela s’ajoute sans doute des qualités de communicant, un air indéfinissable de sympathie, consensuel, qui se dégage de ses apparitions télévisées, comme une sorte de réminiscence chiraquienne. Enfin, quatre ans par avance, une partie de l’opinion semble avoir intériorisé, à force de matraquage médiatique et sondagier, qu’il pourrait être le successeur d’Emmanuel Macron (non reconductible) aux présidentielles de 2027 pour représenter le camp le « bien progressiste et européiste » dans son duel annoncé face au « mal complotiste, nationaliste ou populiste ». Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les sondages de popularité placent Mme le Pen juste après lui, anticipant sur le duel attendu… et probablement son résultat…
Les présidentielles de 2027, parlons-en… Après des années de relative discrétion, M. Edouard Philippe vient de choisir de retourner dans la mêlée en s’impliquant, à travers une interview donnée à l’Express, dans le débat sur l’immigration. Il réagissait au projet de révision constitutionnelle musclé de la droite LR tout en prenant ses distances avec le bilan préoccupant du premier quinquennat Macron sur ce sujet (nonobstant sa propre responsabilité pendant trois ans). Pour tenter de marquer les esprits, il a choisi comme thème dominant de ses propositions la remise en cause de l’accord franco-algérien de 1968. Certes, le sujet est sensible pour des raisons qui tiennent à l’histoire et à l’importance de la population issue de l’immigration algérienne en France. En revanche, cet accord emblématique est sans véritable intérêt sur le plan de la maîtrise des flux migratoires. Il a été révisé à plusieurs reprises en vue d’une convergence avec le droit commun des étrangers et dès lors, comporte quelques différences, tantôt à l’avantage tantôt au détriment des Algériens en France par rapport aux ressortissants d’autres nationalités. Surtout, cet accord ne concerne ni le droit d’asile (et son détournement), ni les outils de lutte contre l’immigration illégale, ni la répression des filières esclavagistes en Méditerranée, qui sont les véritables sujets du jour.
Bref, l’ancien Premier ministre semble ainsi marquer son retour au premier plan par un coup de politique spectacle, conforme à l’image la plus habituelle que donne la politique aujourd’hui en France, expliquant un taux d’abstention de 54% aux dernières législatives et un taux de défiance qui dépasse les 80% (CEVIPOF). Et si les Français, échaudés par le Grand-Guignol permanent qu’est devenu la vie politique, dominé par les coups d’éclat narcissiques, les effets de manche hystériques, les provocations stériles, attendaient tout autre chose de la démocratie ?