Une pétition soutenue par les plus hautes autorités nationales vise à panthéoniser ensemble « Rimbaud et Verlaine ». L’initiative est intéressante en ce qu’elle prouve l’emprise de la mode idéologique et du conformisme sur les esprits contemporains. L’idée est évidemment d’honorer le couple qu’ils sont supposés avoir formé. La seule question qui compte: à quel degré d’inculture, de bêtise, d’asservissement mental faut-il en arriver pour que germe et s’installe une pensée aussi idiote?
Panthéoniser, c’est-à-dire officialiser, institutionnaliser, honorer, étatiser, normaliser, nationaliser, vitrifier le poète des grands chemins, de la vie et de la liberté, celui qui fut « l’homme à la semelle de vent », celui qui écrivait, de sa plume rebelle, « Ah passez, Républiques de ce monde! Empereurs! régiments! des colons, des peuples, assez! Europe, Asie, Amérique, disparaissez! » Enfermer au Panthéon la mémoire du poète qui voulait se rendre « voyant » par le « dérèglement de tous les sens » et « fixer des vertiges »; momifier au Panthéon l’auteur de « J’ai tendu des cordes de clocher à clocher, des guirlandes, de fenêtres à fenêtres, des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse » ; rarement a-t-on vu pire sacrilège, pire aberration.
Savent-ils , ces ânes bâtés, que le poète qui a fui la vieille Europe et son passé pour vivre en Abyssinie, tenait tous les honneurs publics et les hommages en aversion? « Le mépris de la gloire et de toutes les réclames vaniteuses de notre siècle est la marque d’une âme supérieure » (le décadent de décembre 1888 à propos de Rimbaud). Et puis, il n’en faudrait pas beaucoup pour déclencher une immonde polémique à son propos et souiller sa mémoire et son génie : trafiquant d’armes en Abyssinie et peut-être d’autre chose… Que notre sale époque de lynchage, de lèche-culs et de bêlements conformistes laisse un peu les morts dormir tranquillement dans leur tombeau! Le petit cimetière de Charleville vaut mieux que le Panthéon. Plutôt que de transférer les ossements de Rimbaud, enseignez le charme d’une Saison en enfer ou des illuminations aux lycéens français. Quant au soi-disant couple qu’il formait, avec Verlaine (qui s’est terminé dans la violence et le sang à Bruxelles, faut-il le rappeler à ces imbéciles), laissons la parole pleine de bon sens et de dignité à la famille de notre poète bien aimé:
« Une arrière-petite-nièce d’Arthur Rimbaud, Jacqueline Teissier-Rimbaud, a dit vendredi son opposition à l’entrée du poète au Panthéon conjointement avec Paul Verlaine, une position partagée par l’association Les Amis de Rimbaud, à l’inverse de Roselyne Bachelot qui a apporté son soutien à une pétition en sa faveur. Si les deux poètes font ensemble leur entrée au Panthéon, « tout le monde va penser « homosexuels » mais ce n’est pas vrai. Rimbaud n’a pas commencé sa vie avec Verlaine et ne l’a pas terminée avec lui, ce sont juste quelques années de sa jeunesse », a estimé Jacqueline Teissier-Rimbaud. « Rimbaud est né à Charleville-Mézières, il reste à Charleville-Mézières, avec toute sa famille », a-t-elle insisté, précisant que son fils et ses petits-enfants partageaient son point de vue. « Associer Rimbaud et Verlaine de façon définitive, ad vitam aeternam, n’est pas envisageable, c’est sans doute exagéré. Arthur Rimbaud avait rompu avec Paul Verlaine et ne voulait plus évoquer cette période des quatre années où il l’avait côtoyé. Il tenait absolument à vivre une autre vie, ce qu’il a fait en partant en Afrique, où il a vécu avec une jeune femme, a expliqué Alain Tourneux. « Rimbaud est devenu par la force des choses une icône pour beaucoup d’homosexuels mais s’en serait sans doute lui-même défendu, selon lui. Rimbaud a voulu vivre intensément et a eu plusieurs vies, à tout point de vue. »
Maxime TANDONNET