Dans une situation de chaos total et de profonde angoisse collective, le réflexe légitimiste, de resserrement des liens autour du « chef » est naturel. Il avait aussi joué pour M. Hollande, gagnant 20 points après les attentats de Charlie Hebdo et du magasin casher de la porte de Vincennes. Ces sondages en temps d’ébranlement général, ont un caractère douteux. Ils donnent l’image de responsables politiques qui pensent à leur cote de popularité et à leur réélection tandis que le pays souffre et s’inquiète. De fait, ils n’ont pas grand sens. D’ailleurs, +11%, dans un tel contexte, une cote qui n’atteint même pas les 50%, ne devrait pas susciter tant de jubilation des experts.
Aujourd’hui, les observateurs de la vie publique s’interrogent sur les retards, les erreurs, les hésitations qui ont pu aggraver l’impact de la pandémie de covid 19 en France. Mais lors des élections nationales, dans deux ans, l’électorat ne refera pas la chronologie détaillée des faits. Les Français auront tout perdu dans cet abominable cauchemar. Beaucoup auront perdu des proches, ils auront perdu leur travail, c’est-à-dire l’objet de leur dignité et de leur fierté. Ils se seront gravement appauvris. Ils auront perdu leur liberté. Les philosophes nous disent qu’on peut être « libre » en étant confiné. Mais la liberté, c’est aussi pourvoir sortir de chez soi sans être contrôlé et verbalisé, se déplacer, voyager, marcher seul dans la forêt ou sur la plage. Peut-être ne pouvait-on pas faire autrement. Mais c’est un fait que les Français dans cette épreuve, ont perdu leur liberté.
Dès lors, en 2022, les Français n’auront qu’une idée, qu’une obsession en tête: donner un grand coup de balai, chasser tous ceux qui incarneront à leurs yeux cette sinistre période. Ils ne s’interrogeront pas, deux ans après, sur la question de savoir si telle ou telle mesure a été prise à temps. Ils voudront simplement en finir avec les symboles vivants d’une épouvantable tragédie. Dans une ultime contorsion pour tenter de sauver le système, les médias remettent en ce moment en selle le spectre lepéniste en survalorisant ce repoussoir qui sévit depuis 40 ans comme outil du statu quo. Mais cette fois, le séisme, la violence du rejet sont assez puissants pour l’emporter avec le reste.
Qu’est-ce qui vient après? La France est devant un vertigineux abîme politique. les élections de 2017 furent placées sous le sceau du renouvellement. C’est le fruit de ce renouvellement que les Français se préparent à balayer. Que peut être le renouvellement du renouvellement? « Je n’exclus pas que l’on soit parti vers deux-cents ans d’effondrement du niveau de vie et de retour à la barbarie […] Nous nous dirigeons peut-être vers une anarchie croissante du système politique si la masse centrale atomisée ne se décide pas à faire quelque chose » déclare Emmanuel Todd (le Figaro Magazine, 13 mars). Que peut-être ce quelque-chose? Le renouvellement de 2017 fut une vaste duperie, un recyclage des pires et vertigineuse plongée dans la médiocrité. Celui de 2022 doit permettre non seulement de changer les têtes, mais aussi, en profondeur, l’état d’esprit de la politique française: en finir avec l’ordre narcissique et méprisant pour réhabiliter le respect du peuple et le service de la France. Serons-nous, collectivement, capables de donner corps à cet objectif?
Maxime TANDONNET