Discours à l’occasion de la réception annuelle de la Fondation Charles DE GAULLE

Discours de M. Édouard PHILIPPE, Premier ministre
Réception annuelle de la Fondation Charles DE GAULLE
Hôtel des Invalides,
Mercredi 13 juin 2018

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le président, cher Jacques GODFRAIN,
Mesdames et messieurs les ministres,
Mesdames et messieurs les ambassadeurs,
Mesdames et messieurs,

« J’ai vu pendant dix ans un homme assailli. Je viens de voir un homme livré depuis des mois à une vocation de solitude (…). Des heures par jour écrivant, raturant, il travaille à espérer (…) ».

Ce témoin oculaire, c’est André MALRAUX. Le 11 décembre 1969, l’ancien ministre de la Culture rend visite au Général à la Boisserie, à Colombey-les-Deux-Eglises. La conversation s’engage, puissante, profonde. MALRAUX la retranscrit dans la seconde partie du « Miroir des Limbes » avant de la publier dans un volume à part, sous le titre hugolien : « Des chênes qu’on abat ».

Dans ce livre, le Général DE GAULLE « ne dialogue pas avec la vieillesse » selon MALRAUX, mais « avec l’Histoire qu’il a faite ». Dans ses mots, dans ses phrases à la beauté classique, presque « romaine », on lit l’affection puissante et contenue du Général pour une Nation, la France, à laquelle il s’est toujours identifié. On y devine aussi une anxiété diffuse, que je qualifierais de « paternelle » pour un pays qui, depuis qu’il en a épousé le destin, oscille entre abîme et firmament.

Une question. Une question dans le livre me semble assez bien résumer son état d’esprit. Haussant les sourcils et les épaules dans un geste caractéristique, le Général demande à MALRAUX : « Et plus tard, qu’adviendra-t-il de tout cela ? ». Certains liront peut-être dans cette interrogation la fausse modestie d’un homme qui se sait, avec raison, « au-dessus de la mêlée ». D’autres, dont je fais partie, y verront le souci d’un bâtisseur pour son œuvre. Un bâtisseur qui redoute l’inconséquence des « artisans des unions sacrées de tous les abandons » qui ont, à plusieurs reprises, conduit la France au désastre.

Cet héritage est évidemment trop vaste pour que nous l’abordions dans sa totalité ce soir. Il y a d’abord l’héritage « immatériel » du Général que MALRAUX résume très bien quand il écrit : « Il a rétabli la France qu’avaient jadis aimé tant de nations ». Cet héritage, la Fondation le fait vivre depuis 30 ans, de la meilleure manière qui soit, c’est-à-dire en le transmettant aux jeunes générations. En continuant aussi de parler au monde, au Liban, à la Chine. Grâce à vous, grâce à la Fondation, cet héritage inspire, structure des pensées, façonne une éthique. Et fabrique des hommes et des femmes qui, dans leur domaine, « travaillent à espérer ».

Et puis il y a l’héritage que je qualifierais de « matériel », de « tangible ». Vous en avez évoqué, monsieur le président, cher Jacques GODFRAIN, un des éléments essentiels : la restauration de l’autorité de l’État grâce à une Constitution dont, très modestement, j’apprécie chaque jour la singularité, la robustesse, et je dirais, la « souple précision ».

Loin de moi l’idée de gâcher la fête, mais en réalité, nous célébrons deux anniversaires qui, rassurez-vous, ont partie liée. Le premier, vous l’avez dit, c’est le 60ème anniversaire de la Constitution de 1958. Le second est un centenaire. Celui d’une réflexion qui a commencé dès 1918, sous les plumes de Léon BLUM d’un côté et de Paul REYNAUD de l’autre. Une réflexion qui porte sur l’adaptation des institutions de la République – la IIIème à l’époque- aux nécessités du temps.

Un temps d’après-guerre. De reconstruction. Un temps de crise économique. Quelques voix – celles de Paul REYNAUD, d’André TARDIEU, l’auteur de « L’heure de la décision », s’élèvent pour réclamer une « réforme politique globale ». Des propositions voient le jour au Parlement. Elles visent à renforcer l’exécutif. À le rendre plus indépendant des Chambres. Ces propositions suscitent l’intérêt du Général qui nourrit une réelle estime à l’égard de Paul REYNAUD dont il rejoint le Gouvernement en juin 1940. Le même Paul REYNAUD présidera d’ailleurs des années plus tard, en 1958, le comité consultatif constitutionnel.

Ces tentatives de « réformer la IIIème République » échouent avec les conséquences que l’on sait. Les vices de la IIIème étaient nombreux. Ils sont connus. On oublie parfois que parmi ces vices, figurait son incapacité à se réformer, à se « rectifier », à s’amender et in fine à s’adapter.

Cette réflexion sur les institutions rebondit. Avec quelle force ! Elle rebondit « dans notre Normandie, glorieuse et mutilée ». Le 16 juin 1946, à Bayeux, le Général DE GAULLE prononce un célèbre discours dans lequel il expose sa vision de l’organisation des pouvoirs. Une vision qui inspire directement, après une nouvelle preuve par l’exemple ou par le « contre-exemple », la Constitution de 1958.

Pour préparer ma venue, j’ai donc relu ce discours. J’y ai relevé quelques « phrases clefs » qui me semblent éclairer l’histoire de nos institutions et donc forcément un peu leur avenir. Que dit le Général ? Que « les pouvoirs publics ne valent, en fait, (…) que s’ils reposent sur l’adhésion confiante des citoyens » ; que le rôle des institutions consiste « à préserver le crédit des lois, la cohésion des Gouvernements, l’efficience des administrations, le prestige et l’autorité de l’État ». Il ajoute plus loin « que les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire doivent être nettement séparés et fortement équilibrés ».

Les Français aiment la Vème République.

Parce qu’elle est un legs, l’œuvre d’un homme qu’ils admirent.

Parce qu’elle a permis à toutes les sensibilités républicaines, à toutes les générations d’exercer pacifiquement, sereinement, le pouvoir.

Parce qu’elle correspond à un peuple qui aime à la fois l’autorité et la liberté.

Parce qu’en regardant ce qu’il se passe ailleurs en Europe, les Français se rendent compte que notre pays ne connaît pas de vacance du pouvoir. Qu’une fois les élections gagnées ou perdues, les choses sont claires. Et les majorités cohérentes.

Je crois aussi qu’une des forces de la Vème République, c’est sa capacité à se perfectionner, à se préciser voire parfois à se rectifier. Non pour changer de nature. Mais pour demeurer fidèle à sa logique. Celle de Bayeux. Pour en pousser plus loin certaines intuitions. La révision de 1962 en est l’exemple le plus saisissant. La Constitution a depuis connu d’autres révisions que je ne vais évidemment pas énumérer ici.

Anniversaire oblige, je m’arrêterai sur celle de 2008. Chacun est libre de l’interpréter comme il le souhaite. Pour ma part, j’y ai vu un souci, pour paraphraser le Général DE GAULLE « d’équilibrer les pouvoirs » en particulier les relations entre les pouvoirs exécutif et législatif. J’y ai également vu une volonté de « préserver le crédit des lois ». On se souvient du discours particulièrement ferme de Pierre MAZEAUD en janvier 2005, à l’occasion des vœux du Conseil constitutionnel. Un discours dans lequel il fustige « une dégradation de la qualité de la loi », allant même jusqu’à parler de « malfaçon législative pure et simple ».

Voilà un bel exemple de « mauvaise pente » qu’il était nécessaire, en tous cas d’après un gaulliste convaincu, de corriger. Et que la République a pu corriger à l’époque, du moins en partie.

Qu’en est-il aujourd’hui ?

Il n’aura échappé à personne que la dernière campagne présidentielle s’est déroulée dans un climat de confiance toute relative à l’égard des institutions et de leurs représentants.

Ce climat est ancien dans l’histoire de France. Il a montré qu’il pouvait être dangereux. On peut faire mine de l’ignorer. « Ne pas – comme le disait Paul REYNAUD- supprimer les abus parce que les abus sont délicieux ». Ou alors, on peut se dire que le temps est venu de reconquérir cette confiance. On sait l’importance que le Général DE GAULLE attachait à la confiance populaire, et donc à la responsabilité politique.

Une confiance populaire qui est la véritable « clef de voûte » des institutions démocratiques.

Nous avons donc commencé par-là. Par la reconquête d’une confiance que des pratiques ou des abus avaient ébranlée. Dès l’été, nous avons présenté les deux projets de loi de confiance dans la vie politique. Deux lois qui ont posé un nouveau cadre pour répondre à une partie des attentes des Français. Je sais bien qu’il faudra davantage qu’une loi pour rétablir cette confiance. Mais commençons !

Une seconde étape s’est ouverte au printemps dernier, conformément aux engagements que le président de la République avait pris devant les Français. Cette seconde étape se fonde sur trois projets de texte de nature juridique très différente, mais qui forment un tout très cohérent : un projet de loi révision constitutionnelle, un projet de loi ordinaire et un projet de loi organique.

Ce projet de loi de révision, que contient-il ?

Et en quoi ce qu’il prévoit nous semble aller dans le sens de l’esprit de Bayeux ?

Il prévoit d’abord de consolider l’indépendance de l’autorité judiciaire ;

Il contient ensuite des mesures visant, pour reprendre les mots du Général DE GAULLE, à « préserver le crédit de la loi » ;

Le projet prévoit aussi des mesures de « rationalisation » du débat parlementaire pour que le temps de la démocratie – qui prend parfois son temps, reconnaissons-le – coïncide avec celui de la société ;

Enfin, le projet redonne de la vigueur à une des missions constitutionnelles du Parlement : je veux parler du contrôle de l’action du Gouvernement et des administrations.
L’idée, vous l’aurez compris, est donc d’avoir un Gouvernement qui « gouverne ». Un parlement qui légifère et qui contrôle. Et une autorité judiciaire qui juge. On retrouve au fond cette idée du discours de Bayeux, « de pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire nettement séparés et fortement équilibrés ».

Un mot rapide sur les deux autres projets de loi, ordinaire et organique, qui complètent ce projet de révision. Deux projets qui prolongent aussi les deux lois « Confiance dans la vie politique » que j’évoquais plus haut : on a d’autant plus confiance dans ses représentants qu’on se sent « représenté » par eux.

D’où la nécessité de renouveler de manière plus régulière le personnel politique.

Seconde nécessité : l’introduction d’une dose de proportionnelle – 15% – aux élections législatives. J’ai conscience d’écorcher quelques oreilles sensibles. Elles ont cependant bien entendu : j’ai parlé « d’une dose », trop faible pour certains, trop élevée pour d’autres : j’en conclus que nous sommes dans le vrai. Le scrutin majoritaire servira donc à désigner 85% des députés, et permettra ainsi la constitution de majorités stables qui sont, je ne l’oublie pas, l’un des fondements de notre République.

« Qu’adviendra-t-il de tout ça ? ».

Soixante ans après, une République forte, dans laquelle le respect des libertés ne fait pas obstacle à l’autorité. Quand on veut bien l’affirmer.

Une voix, forte aussi, fière, indépendante. Celle de la France. De sa diplomatie. Celle de ses forces armées auxquelles le Général a donné les moyens de la dissuasion. Des forces auxquelles dans ces lieux – lieux de génie militaire et de génie politique-, lieux de sang versé, je veux un rendre un hommage particulier.

Car soixante ans après, des hommes et des femmes risquent leur vie pour répondre – je cite le Général – « à l’appel impératif et muet » de la France. Cet « appel impératif et muet », c’est celui du maréchal DE TURENNE, DE VAUBAN, DE FOCH, DE LECLERC, DE JUIN, DE MANGIN, des blessés et invalides de guerre, sur lesquels, dans ces lieux, se découpe l’ombre portée de Louis XIV et de Napoléon.

Un Empereur auquel le pourpre n’a jamais fait oublier les soins que doit un chef à ses compagnons. D’où l’importance que revêt dès le départ à ses yeux, le sort que l’on réserve à « l’hôtel national des militaires invalides ». On sait l’attention très pratique qu’il accorde à ces lieux et aux blessés qu’il accueille. Et c’est dans la chapelle des Invalides, qu’il organise la première cérémonie officielle de remise de la légion d’honneur. Avant bien sûr d’y reposer.

C’est pourquoi, dans ces lieux qui incarnent à la fois le malheur et l’espoir de la Nation, la tragique grandeur de notre histoire, résonne encore la voix du Général qui, en 1958, aimait se répéter : « Mon cher et vieux pays, nous voici une fois de plus ensemble dans l’épreuve ». Ainsi, parfois, l’histoire remplace la politique. Ainsi parfois se noue un lien singulier entre des hommes et de femmes pour lesquels l’avenir de la France n’est pas une affaire de système, ni de clan, mais une affaire de confiance et de compagnonnage.

Author: Redaction