Bilan de la première année de déclaration

Rappel du contexte

Les nanomatériaux[1] manufacturés, c'est-à-dire les matériaux façonnés par l'Homme à l'échelle du milliardième de mètre (ou nanomètre), sont passés, surtout depuis les dix dernières années, de la recherche à la commercialisation dans des secteurs très diversifiés.
Ces matériaux sont susceptibles de lever certains verrous technologiques dans des domaines aussi stratégiques que la santé, l'énergie, l'environnement, les technologies de l'information et de la communication et les transports. Les nanomatériaux apparaissent donc comme un enjeu économique et sociétal majeur.
Cependant, le caractère récent de leur développement conduit à un manque de certitudes vis-à-vis des risques éventuels de ces substances pour l'Homme et pour l'environnement.
Ainsi, il a été reconnu qu'une substance à l'état nanoparticulaire pouvait présenter un profil de danger différent de celui qu'on observe pour la même substance dans sa forme non nanoparticulaire, comme, dans certains cas, la capacité à traverser des barrières biologiques, à persister dans l'environnement ou à s'accumuler dans les organismes. Pour autant, les connaissances sur ces substances demeurent lacunaires et les conclusions des études de toxicité pour l'homme et l'environnement sont difficilement exploitables à ce stade, des progrès étant encore nécessaires dans le domaine de la métrologie et dans la définition de lignes directrices communes pour la caractérisation et l'évaluation de ces substances.
La perception globale de l'opinion publique est donc celle d'un domaine encore en exploration et mal connu, prometteur mais potentiellement porteur de risques. Ces incertitudes conduisent à des interrogations sur le niveau de maîtrise de ces risques et de l'encadrement réglementaire approprié. Il apparaît donc nécessaire d'accroître la quantité d'informations à la disposition du public et de données pour l'évaluation et la gestion des risques.
L'origine du dispositif de déclaration
En 2007 des parties prenantes ont soulevé des préoccupations liées à la sécurité des nanomatériaux. Des engagements sur l'anticipation des risques liés aux nanomatériaux ont alors prévu d'une part, l'organisation d'un débat public sur les nanotechnologies et, d'autre part, la mise en œuvre d'un dispositif de déclaration obligatoire auprès des autorités publiques pour la fabrication, l'importation et la mise sur le marché des substances à l'état nanoparticulaire.
L'obligation de déclaration, instituée par la loi du 3 août 2009, est le résultat d'un consensus issu des débats entre les défenseurs d'une application stricte du principe de précaution, qui promouvaient une interdiction de mise sur le marché en l'absence de données d'évaluation, et d'autres parties prenantes, pour lesquelles ces substances innovantes présentent d'importantes opportunités de marché, sans que les dangers ne soient avérés, ni, le cas échéant, uniformes.
Quels sont les objectifs de la déclaration ?
La déclaration nationale va permettre :
  • de mieux connaître les substances mises sur le marché national, leurs volumes et leurs usages,
  • de disposer d'une traçabilité des filières d'utilisation,
  • d'informer le public et les travailleurs,
  • de collecter auprès des déclarants les informations disponibles sur les propriétés toxicologiques et écotoxicologiques de ces substances,
  • et, à terme, d'évaluer les mesures de gestion adaptées, notamment en faveur des populations les plus sensibles.
Quels sont les grands principes de la déclaration ?
Les fabricants, les importateurs et les distributeurs sur le territoire national doivent déclarer annuellement, auprès du ministère chargé de l'environnement, via le site internet dédié www.r-nano.fr, l'identité, les quantités et les usages de ces substances ainsi que l'identité des utilisateurs professionnels à qui elles ont été cédées.
La déclaration doit être effectuée à partir de 100 grammes de substance à l'état nanoparticulaire produite, importée ou distribuée par an.
Les produits concernés par la déclaration sont :
  • les substances à l'état nanoparticulaire en l'état,
  • les substances à l'état nanoparticulaire contenues dans un mélange sans y être liées,
  • les articles destinés à rejeter de telles substances dans des conditions normales ou raisonnablement prévisibles d'utilisation.
Ce sont ainsi toutes les formes susceptibles de conduire à une extraction ou à une libération de la substance dans des conditions normales ou raisonnablement prévisibles d'utilisation et, par conséquent, à une exposition humaine ou environnementale, qui sont couvertes par ce dispositif.
L'arrêté du 6 août 2012, relatif au contenu et aux conditions de présentation de la déclaration, donne la liste des informations demandées : identité du déclarant, identité de la substance (nom chimique de la substance, formule chimique, taille des particules, état d'agrégation ou d'agglomération, forme, enrobage, impuretés, état cristallin, surface spécifique, charge de surface…), quantité, usages et utilisateurs professionnels en aval. L'arrêté précise également les règles de confidentialité applicables au regard de la protection du secret industriel ou commercial, de la propriété intellectuelle des résultats de recherche et de la conformité avec la réglementation européenne.
Par ailleurs, la loi du 12 juillet 2010 a prévu que l'identité et les usages des substances à l'état nanoparticulaire déclarées soient mis à disposition du public, dans le respect du secret industriel et commercial.
Cette déclaration s'inscrit dans un cadre plus large d'actions de l'Etat et des autorités européennes, s'agissant des nanomatériaux.
La France coordonne un groupe de travail au niveau des Nations-Unies afin d'apporter les solutions les plus adaptées à l'identification des dangers des nanomatériaux au sein du Système Général Harmonisé de classification et d'étiquetage des produits chimiques.
Elle s'est également impliquée dans les travaux de l'OCDE[2] sur la sécurité des nanomatériaux manufacturés, qu'elle subventionne, notamment pour l'élaboration de lignes directrices pour la caractérisation et l'évaluation des risques potentiels de ces substances.
Ces travaux internationaux sont alimentés par les missions confiées au niveau national aux organismes scientifiques et techniques concernés par la recherche et l'expertise sanitaire ou environnementale. Depuis 2006, la France a investi plus de 6 millions d'euros dans la recherche sur les dangers et les risques liés aux nanomatériaux.
Ainsi, l'Institut National de Recherche Sanitaire dans le domaine de la protection des travailleurs (INRS) produit de nombreux articles scientifiques et documents d'aide à la maîtrise des risques liés aux particules ultrafines, dont les nanoparticules[3]. La recherche sur la santé et la sécurité au travail en présence de nanomatériaux est une des thématiques prioritaires de l'institut, engagée depuis 2007 et renforcée récemment par l'ouverture du Pôle Nano.
L'Institut national de Veille Sanitaire (InVS) a remis en 2011 un rapport à la direction générale de la santé (DGS) et à la direction générale du travail (DGT) sur la faisabilité d'un dispositif de surveillance épidémiologique des travailleurs exposés aux nanomatériaux intentionnellement produits. Cette étude de cohorte de travailleurs se concrétise en 2013 par la création du projet EpiNano et la convention de partenariat dans ce cadre entre l'InVS et la DGT (services de l'inspection médicale du travail).
L'Institut National de l'Environnement Industriel et des Risques (INERIS) mène entre autres des travaux de recherche financés par le ministère chargé de l'environnement sur les risques accidentels liés aux nanomatériaux et sur les déchets contenant ces substances.
L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a publié différentes revues bibliographiques et expertises sur l'évaluation des risques liés aux nanomatériaux. Les travaux les plus récents concernent notamment des formulations intégrant des nanotubes de carbone (avis de décembre 2010[4], rapport de novembre 2012[5]).
A la demande du gouvernement, l'Anses doit également évaluer différentes substances dans leur forme nanoparticulaire, notamment dans le cadre du dispositif réglementaire « biocides » (dioxyde de silice, rapport en cours de finalisation), du plan d'action communautaire pour l'évaluation des substances du règlement REACH (dioxyde de titane, travaux prévus en 2014), et du programme de travail de l'agence (nano-argent, rapport attendu pour 2014).
L'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps[6]) a quant à elle publié en juin 2011 un « Etat des connaissances relatif aux nanoparticules de dioxyde de titane et d'oxyde de zinc dans les produits cosmétiques »[7].
Parmi les actions conduites sur le sujet des nanotechnologies, le groupe de travail interministériel (« task-force »), animé par le Commissariat général au développement durable du ministère chargé de l'environnement, mène des réflexions sur les notions de gouvernance et sur le champ couvert par les nanotechnologies.
Pour approfondir les modalités de la gouvernance de l'action publique dans le domaine des nanomatériaux et des nanotechnologies, les ministères chargés du redressement productif, de la recherche, de l'environnement, de la défense et de l'agriculture ont demandé une mission d'inspection, actuellement en cours, sur le déploiement industriel des nanotechnologies et de la biologie de synthèse sur les territoires. La question des risques éventuels liés à ces technologies a été prise en compte et le rapport de la mission pourrait fournir des indications sur les conditions d'un développement responsable des nanotechnologies.
Au niveau européen, les quelques dossiers d'enregistrement REACH (Règlement européen relatif aux produits chimiques) susceptibles de concerner des nanomatériaux font apparaître de manière imparfaite les caractéristiques propres aux formes nanoparticulaires des substances. Ceci illustre un déficit, dans l'application des textes, et par voie de conséquence, dans l'information tant des utilisateurs que des consommateurs ou du grand public. En outre, dans sa communication du 3 octobre 2012 relative à la deuxième revue réglementaire sur les nanomatériaux, la Commission Européenne reconnaît que les risques éventuels de ces substances peuvent être liés à la spécificité de certains nanomatériaux et de leurs utilisations. Elle indique que REACH reste le meilleur cadre possible pour la gestion des risques liés aux nanomatériaux mis sur le marché à condition que les annexes du règlement soient adaptées. Une révision du règlement REACH à cette fin est désormais à l'étude.
Il est à noter que certaines réglementations européennes sectorielles ont déjà pris la mesure de cette problématique avec des dispositions spécifiques pour les nanomatériaux, par exemple en termes d'étiquetage. Ainsi, depuis juillet 2013, tout produit cosmétique contenant un nanomatériau doit voir figurer dans la liste de ses ingrédients la mention [nano] à la suite du nom de la substance concernée. Des obligations d'étiquetage similaires sont entrées en vigueur depuis septembre 2013 pour les produits biocides et entreront en vigueur en décembre 2014 pour les produits alimentaires.
La déclaration mise en œuvre en France a fait l'objet d'une grande attention au sein des autres pays européens. Le Danemark, la Belgique et l'Italie se sont déjà engagés dans des projets de registres similaires. Dans ce contexte, la Commission européenne réfléchit non seulement à une meilleure prise en compte de ces substances dans le règlement REACH, mais également aux autres mesures réglementaires qui pourraient s'avérer adaptées (notamment dans le contexte de la réglementation relative à la santé et à la sécurité au travail). Des études d'impact sont actuellement engagées.
Quels sont les principaux résultats de la déclaration 2013 ?
La présente communication vise à répondre à l'objectif d'information du public et des travailleurs prévu par la loi. Le décret du 17 février 2012 précise que les informations relatives à l'identité et aux usages des substances déclarées (le nom chimique et les descripteurs d'usage déclarés étant les seules informations non confidentielles au sein d'une déclaration) sont mises à disposition du public au 1er novembre 2013.
Dans ce contexte, l'Anses, gestionnaire du site internet www.r-nano.fr et de la base de données des déclarations, a préparé le rapport d'étude figurant en annexe. Ce rapport rappelle le cadre réglementaire, présente la procédure de déclaration et le fonctionnement de la plateforme informatique. Il explicite les définitions applicables et les règles retenues pour l'exploitation des données, présente des données générales sur les déclarations et recense les noms chimiques et les usages déclarés ainsi que les bandes de tonnage correspondantes, agrégées par substance.
Les substances produites, importées ou distribuées en 2012 devaient être déclarées. Ainsi, à l'échéance du 30 juin 2013, plus de 930 déclarants ont effectué plus de 3400 déclarations, ce qui témoigne d'une forte mobilisation des acteurs concernés, notamment des entreprises.
Les principaux résultats de la déclaration annuelle 2013 des substances à l'état nanoparticulaire produites, importées et distribuées en 2012, sont les suivants :
> 670 entités françaises ont soumis au moins une déclaration,
> les acteurs français ayant déclaré sont : pour 22 % des importateurs, pour 6% des producteurs, pour 68% des distributeurs, et pour 4 % des acteurs « autres »,
> 280 000 tonnes de substances à l'état nanoparticulaire produites et 220 000 tonnes de substances à l'état nanoparticulaire importées en France en 2012, ont été déclarées soit un total de 500 000 tonnes de substances à l'état nanoparticulaire mises sur le marché en France en 2012.
Les données relatives à cette première année de déclaration doivent toutefois être considérées avec précaution. Elles ne reflètent probablement encore qu'une image partielle du marché des substances à l'état nanoparticulaire, du fait de la nouveauté de cette obligation et de la multiplicité et de la diversité des acteurs concernés.
De plus, par rapport à des revendications commerciales dont les services de l'Etat ont eu connaissance (par exemple des textiles contenant des nanomatériaux pour leurs propriétés antibactériennes), certaines substances n'apparaissent pas dans le bilan des déclarations. Cela est notamment dû au fait que ces substances sont incorporées dans des articles importés, non soumis à l'obligation de déclaration dès lors que ces substances ne sont pas destinées à être rejetées dans des conditions normales d'utilisation.
Concernant la présentation des données dans le rapport d'étude, du fait de la manière dont les déclarants ont renseigné les noms des substances, les différents tableaux listant les substances (sur la base d'un numéro d'identification international, le numéro CAS, ou sur la base du nom déclaré lorsque ce numéro n'est pas présent), peuvent faire apparaître des redondances, notamment des noms chimiques orthographiés de façons similaires. Cela conduira à la publication d'une seconde version du rapport d'ici janvier 2014, après analyse et regroupement de certaines données.
Quelles sont les bénéfices attendus de la déclaration ?
Les données détaillées contenues dans les déclarations pourront être mises à disposition des organismes scientifiques désignés par décret (décret n°2012-233) à des fins d'évaluation des risques, par exemple dans le cadre d'études épidémiologiques de suivi de cohortes de travailleurs exposés aux nanomatériaux ou d'études de surveillance environnementale. Dans ce cadre et en complément des informations déjà présentes dans la base de données, les informations disponibles, relatives aux dangers de ces substances et aux expositions auxquelles elles sont susceptibles de conduire, ou utiles à l'évaluation des risques sur la santé et l'environnement, pourront être demandées aux déclarants et mises à disposition du public.
L'ensemble de ces informations facilitera les travaux des entreprises et des organismes compétents aux fins de la prévention des risques, notamment pour les travailleurs.
Par ailleurs, au-delà des évaluations de substances déjà engagées, l'inventaire réalisé aidera les autorités publiques à cibler d'autres substances qui devront faire l'objet d'une évaluation des risques en se concentrant sur les expositions les plus préoccupantes (populations importantes et/ou sensibles).


[1] Parmi ces matériaux, les substances à l'état nanoparticulaire sont des nanomatériaux sous forme de particules ayant au moins une dimension de l'ordre du nanomètre. Elles ont été développées et mises sur le marché pour des propriétés techniques nouvelles, liées à leur taille, leur structure ou encore leur surface spécifique (rapport surface/poids ou surface/volume).
[2] Organisation pour la Coopération et le Développement Economique
[6] renommée Agence Nationale de sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM)

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Author: Redaction