Au-delà des polémiques

Les polémiques se succèdent et s’amplifient comme des vaguelettes, jour après jour. La moitié  d’entre elles, environ, concernent le chef de l’Etat. La dernière: celle des selfies de Guadeloupe. Nous assistons à un phénomène significatif au regard de l’histoire de la présidence de la République: un personnage dont la mission historique est d’incarner la hauteur, le prestige, la permanence de l’Etat et l’unité nationale, s’impose au contraire comme le visage de la polémique quotidienne.

L’erreur classique est d’y voir un enchaînement d’erreurs de communication. Bien au contraire, ces polémiques me semblent correspondre à un état mental de la société. Elles reflètent l’ordre narcissique qui submerge le monde occidental, si bien décrit dans l’Ere du vide, par Gilles Lipovetsky. L’unique valeur qui émerge du chaos contemporain est la sublimation de l’individu-roi: se faire voir, parler de lui, apparaître dans les écrans de télévision, en bien ou en mal, écrase toute autre considération, notamment celle du bien commun. La politique moderne est avant tout une adoration totémique du « je ».

La polémique efface les vrais sujets dont plus personne ne parle: l’explosion de la dette publique (99% du PIB), le chômage de masse (6 millions de personnes concernées), l’insécurité, le déclin de l’autorité de l’Etat. Bien sûr, elle choque la masse des Français, mais peu importe. Le peuple est déconsidéré, assimilé à la vile multitude (sans dents ou Gaulois réfractaires). Le populisme (la sensibilité réelle ou supposée du peuple) est l’ennemi, le pestiféré. La priorité est de le combattre. En revanche la polémique plaît à une petite minorité, la gauche caviar parisienne et « branchée »: c’est elle qui compte, détient la clé du bien et du mal, représente le socle électoral à qui il faut s’adresser.

Et surtout le calcul électoraliste domine toute autre considération. La République narcissique n’a qu’un projet, qu’un but, la sublimation de l’individu-roi à travers la réélection. Tout le reste peut s’effondrer: dès lors que la réélection  s’impose sur les ruines du chaos, l’objectif sera atteint. L’éternel scénario ne cesse de se reproduire, toutes les semaines, tous les jours: scandale tonitruant, suivi aussitôt des hurlements de madame le Pen, tous les micros et toutes les caméras tendus vers elle. Le piège: nous enfermer dans une alternative maudite: le « bien » post national, contre le « mal » nationaliste. Ne laisser aux Français aucun autre choix, avec, in fine, une certitude: le triomphe du « bien » post national en 2022. Ce formidable scénario n’a qu’une faiblesse, un élément d’incertitude: les gens ne sont peut-être pas aussi naïfs ni manipulables que ne le pensent les élites dirigeantes.

Mon sentiment est qu’il ne faut pas sur-réagir à des polémiques qui n’appellent que le dédain. On s’indigne de ce que « l’image présidentielle » serait affectée. La France ne se réduit pas à l’image présidentielle. Cette obsession  de l’image d’un individu, pour l’adorer ou la lyncher, est le sommet de la crétinerie. La République s’ancre dans l’histoire et dans la réalité. Il faut réfléchir en termes de débats d’idées, de projet de société, d’intérêt général, de destin collectif et cesser de se polariser sur le grand cirque médiatique. La bêtise ne doit pas passer par nous.

Maxime TANDONNET

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Author: Redaction