La droite dite classique ne se remet pas de ses derniers échecs, notamment les 4,8% de Mme Pécresse, alors qu’au premier tour de 2007, Nicolas Sarkozy atteignait 34%… La pente est raide. Dès lors, trois stratégies de survie sont aux prises. La première, celle de l’ancienne école formée des leaders des années 2002-2012 Sarkozy, Copé, Raffarin, etc. consiste à s’allier au macronisme en souhaitant un « accord de gouvernement ». La seconde, la génération intermédiaire, montée en puissance depuis 2012, avec M. Ciotti, M. Retailleau ou M. Marleix, se réclame de « l’opposition constructive », appelée à soutenir la majorité présidentielle au cas par cas. En s’engageant, sur un mode volontariste, en faveur de la réforme des retraites, considérée par les macronistes comme « la mère des réformes », elle se rapproche (même si elle s’en défend) d’une solution de convergence. La troisième est celle de la génération montante ou des frondeurs qui sont une vingtaine à l’Assemblée nationale et s’en tiennent à une opposition ferme et déterminée.
La demande de réforme est pourtant présente dans l’électorat. Pourquoi Les Républicains se sont-ils déchirés sur la question ?
Les clivages ne sont plus du même ordre que ceux qui ont longtemps rongé la droite LR. La confrontation idéologique entre pro et anti-maastrichtiens (Alain Juppé contre Philippe Séguin) s’est effacée avec la disparition des débats d’idées. De même la bataille d’egos (comme celle qui opposa les deux François, Copé et Fillon en 2012) a perdu de sa vivacité : un parti en danger de mort ne peut plus se permettre d’afficher des haines intestines. Désormais, dans une logique de survie, la divergence porte sur la stratégie à adopter dans la perspective des prochaines échéances électorales, notamment en 2027. Les partisans d’une convergence avec le macronisme (formelle ou masquée), espèrent reconstituer à leur profit une puissante formation centrale issue de Renaissance et de LR, qui s’imposerait naturellement, d’après leurs calculs, contre la gauche Nupes et la droite RN. En revanche, les partisans d’une opposition ferme, y compris sur les « 64 ans » entendent rebâtir la droite classique en s’appuyant sur l’impopularité du président de la République tout en combattant la Nupes et le RN sur le terrain des idées.
Peut-on s’attendre à une nouvelle fuite d’élus LR vers la macronie ?
Non, les ralliements individuels sont peu probables désormais dès lors que la question qui est posée est celle d’un rapprochement global entre la droite classique et la majorité présidentielle. Sur le plan politicien, le président Macron est parvenu à ses fins. Il a fortement affaibli le parti socialiste d’où il vient, le poussant à la radicalisation dans la Nupes. Il est aussi parvenu à déstabiliser la droite classique. La manœuvre de la réforme des retraites relève du grand art. Alors qu’en 2019-2020, il s’opposait fermement au report de l’âge du départ à la retraite à 64 ans (qualifié « d’hypocrite »), il en fit l’étendard de sa campagne de 2022 pour couper l’herbe sous le pied de la candidate LR. Aujourd’hui, le projet de loi sur les 64 ans se traduit par un déchirement fatal de la droite LR dont les macronistes comptent évidemment tirer profit.
La droite a-t-elle intérêt à s’arc-bouter sur le principe de responsabilité (nous défendions la retraite à 65 ans, nous devons donc voter cette réforme) ou à s’arracher à la caricature d’un parti gestionnaire sans souffle et sans idées ?
Dans cette affaire, les leaders de la droite LR manifestent un étrange déficit d’imagination. Ils prétendent donner la priorité à « l’intérêt national » sur les clivages politiques. Or à l’évidence, le totem des « 64 ans », rendu largement inutile par la règle des 43 annuités, sert de paravent à l’insignifiance de cette réforme qui ne règle aucun problème et semble même en rajouter en termes d’équité pour certaines carrières longues (ce point reste étrangement obscur). Le discours de la dramatisation sur les conséquences d’un rejet de cette réforme, qui menacerait l’avenir du régime des retraite, porte l’art du mensonge à un niveau rarement atteint. De même, ils revendiquent un devoir de cohérence par rapport au programme de 2017 et 2022. Mais en quoi serait-il interdit à un parti politique de remettre en question un programme qui à quatre reprises, en comptant les présidentielles et les législatives, a contribué à sa défaite ? Ils prétendent enfin, à travers ce soutien, manifester leur sérieux et sens des responsabilité. De fait, ils soutiennent avec un zèle qui fait froid dans le dos une réforme immensément impopulaire, rejetée par 90% des actifs et qui déchire le pays en l’entraînant dans la violence. A travers ce soutien, ils montrent leur perméabilité à la mode idéologique sublimant l’arrogance et le mépris envers le peuple.
Comment imaginer la suite pour LR, même si la loi sur la réforme des retraites passe ?
En se rapprochant du macronisme, les leaders de la droite LR collent à une frange de leur électorat classique, la bourgeoisie fortunée et retraitée, sensible à la figure jupitérienne ou protectrice du président Macron et sa façade autoritaire. Mais en revanche, ils se coupent de l’électorat populaire, le monde du travail, les familles, qu’ils abandonnent à la Nupes, au RN et surtout, à l’abstentionnisme. Ils sous-estiment le rejet populaire du macronisme avec son désastreux bilan (effondrement scolaire, financier, économique, sécuritaire, migratoire, social, sanitaire, énergétique, etc.) La propension des leaders LR à se laisser enchaîner à ce bilan et au naufrage inévitable de la macronie est incompréhensible. C’est bien ce danger que la vingtaine de « frondeurs » à l’Assemblée nationale semble avoir perçu. Par le plus tragique des paradoxes, les idées d’une droite populaire, libérale et patriote, sont probablement majoritaires en France. Le parti LR (avec ses visages familiers) est désormais trop compromis pour espérer les incarner un jour. Et il n’existe sans doute pas d’autres voie possible que l’émergence d’une nouvelle formation avec de nouveaux visages, aussi rassembleuse que possible, destinée à réconcilier la France avec le débat d’idées, la politique et la démocratie.
MT