Réflexion sur le général de Gaulle aujourd’hui à l’occasion du 53ème anniversaire de sa mort (pour Figaro Vox)

Ci-dessous mon article pour Figaro Vox sur le 53ème anniversaire de la mort de Charles de Gaulle. Il montre que de Gaulle n’était pas celui qu’on nous présente habituellement: une sorte de précurseur du césarisme présidentiel, de l’incarnation narcissique obsessionnelle, du jupitérisme arrogant et mégalomaniaque. Mais il était tout le contraire: un serviteur du peuple au service de la nation, qui ne concevait pas de présider le pays sans sa confiance permanente et toujours prêt à partir dès lors que le peuple ne voulait plus de lui. Exactement aux antipodes d’une logique « d’autorité verticale », d’une république des petits chefs autoritaires ou petits marquis poudrés.

En cette période profondément tourmentée et sanglante, autant sur le plan intérieur et international, le 53ème anniversaire de la mort du général de Gaulle était l’occasion de revenir sur le message de ce personnage hors du commun qui figure désormais au Panthéon des héros de notre histoire nationale. D’innombrables discours, messages et cérémonies lui ont été consacrés d’où ressortent quelques idées fortes. L’appel du 18 juin 1940, au cœur des hommages qui lui sont rendus, demeure un symbole d’espoir et de résurrection nationale quand tout semble irrémédiablement perdu. Il est une date fondatrice de la Nation française qui mériterait d’être honorée autant que d’autres (8 mai, 14 juillet, 11 novembre)…

Mais au-delà, que reste-t-il de Charles de Gaulle, un demi-siècle après sa mort ?  Le monde a subi de telles transformations qu’il peut sembler illusoire de se référer à un personnage, aussi héroïque soit-il, qui a vécu dans un tout autre univers. De Gaulle fut chef de gouvernement  à deux reprises (1943-1946, puis 1958) et chef de l’Etat pendant dix ans (1959-1969), en un temps où n’existait pas encore le monde global d’Internet, où l’Europe et la planète se partageaient en deux blocs idéologiques de forces équivalentes (la guerre froide), avant l’émergence de la Chine et l’Inde comme grandes puissances et le terrorisme islamiste ne représentait pas la menace suprême… Il a connu la France d’avant l’effondrement du niveau scolaire, l’émergence de la société multi-culturelle, l’effacement industriel et scientifique, en un temps lointain où elle se situait, sur le plan de la puissance économique, sur un pied d’égalité avec l’Allemagne…

« Tout le monde est, a été ou sera gaulliste », prédisait le Général. Aujourd’hui, tous les responsables politiques, d’un point extrême à l’autre de l’échiquier, se réclament de Charles de Gaulle. « Le général de Gaulle, grand inspirateur d’Emmanuel Macron » titrait un célèbre journal du soir du 8 juin 2021. « Le Pen, Macron, chacun cherche son de Gaulle. Le chef de l’Etat et la présidente du RN célèbrent le 80ème anniversaire de l’Appel du 18 juin 1940 et se mettent dans les pas de l’homme de la France libre » (les Echos 18 juin 2020). Jean-Luc Mélenchon s’y met à son tour, invoquant la mémoire du grand homme pour justifier ses propos sur Israël et le Hamas : « J’ai exprimé la position constante de notre pays depuis de Gaulle. » La parole du général est ainsi constamment invoquée pour justifier le mode de gouvernement du pays fondé sur « l’incarnation » ou l’exaltation présidentialiste, sur le conflit entre la Russie et l’Ukraine ou évidemment sur la tragédie du Moyen-Orient, etc.  

De fait, un demi-siècle après sa mort, il est illusoire, sinon malhonnête de prêter des pensées précises au général de Gaulle sur un monde radicalement différent de celui qu’il a connu. De la part des plus hauts responsables politiques actuels, cette récupération a même un côté sordide. Rendre hommage au Général est salutaire, s’identifier à lui aujourd’hui est absurde. Qui peut savoir ce que le général eût pensé de la personnalité et du comportement des plus acharnés à se réclamer de lui en ce moment ? Peut-être du bien, ou peut-être beaucoup de mal… De fait, il est foncièrement malhonnête d’attribuer à de Gaulle des pensées sur la France et le monde d’aujourd’hui qu’il n’a pas connu de son vivant.

En revanche, son modèle en tant qu’homme d’Etat est lui impérissable. Il transcende les époques. La plus formidable erreur que font les hauts dirigeants du pays, les opposants, les intellectuels et nombre de gaullistes eux-mêmes, est de voir en Charles de Gaulle un précurseur de la mégalomanie, du narcissisme, de l’auto-éblouissement qu’est devenue depuis trop longtemps la politique française au détriment de l’intérêt général.

Contrairement à la légende, il était aux antipodes de la logique de « l’incarnation » auto-satisfaite et de l’ivresse de soi en politique. François Mitterrand se fourvoyait en l’accusant d’être « un Führer, un duce, un caudillo » dans son Coup d’Etat permanent.

En vérité, le Général se considérait comme un serviteur de la France et des Français, comme il l’a prouvé en maintes occasions. En tant que chef de l’Etat son principe était simple : il était au service du peuple. Dès lors qu’on ne voulait plus de lui, il partait… Pour lui, un président impopulaire était inconcevable : le peuple était le seul souverain. S’il était mécontent de son président, celui-ci devait s’effacer. Sans tarder.

C’est ainsi que de Gaulle libérateur et chef du gouvernement provisoire de la république démissionnait le 20 janvier 1946 dès lors que les « partis » entravaient son action. Sous la Ve République, la cote de confiance du général oscillait entre 60 et 80% de satisfaits (aujourd’hui, on crie victoire quand elle atteint 28% !). Pourtant, il ne manquait pas, tous les deux ans, de solliciter la confiance du peuple à travers des référendums sur lesquels il engageait la poursuite de son mandat. Et quand les Français ont voté majoritairement « non », à son référendum du 27 avril 1969, il mettait fin aussitôt à son mandat conformément à ses promesses répétées.

En vérité, pour de Gaulle, l’exercice du pouvoir n’était pas une fin en soi, la réalisation d’un objectif de reconnaissance narcissique ou la satisfaction d’une pulsion égotique. Il n’avait de sens qu’au service de la France et des Français. Et cela fait toute la différence.

MT

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Author: Redaction

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