Quand des Français se livrent aux idoles et méprisent les héros

La levée de bouclier de parents d’élèves, de certains professeurs et de militants politiques contre le choix d’Honoré d’Estienne d’Orves  pour dénommer le lycée de Carquefou  est bien à l’image de notre époque. Honoré d’Estienne d’Orves est l’un des tout premiers résistants, résistant de la première heure, dès 1940. Officier de marine, père de quatre enfants, ayant rejoint la France libre de de Gaulle, il a été fusillé par les Allemands à l’âge de 41 ans. L’une de ses filles, rencontrée lors d’un salon du livre, Porte de Versailles, il y a quelques années (2013 je crois) me racontait sa dernière visite à son père en prison, juste avant son exécution. En me parlant, elle n’avait pas de larmes dans ses yeux. Elle avait alors sept ans. Son père, qui était évidemment tout pour elle, lui demandait de ne pas pleurer: « je n’ai fait que mon devoir » lui a-t-il confié et ce furent ses derniers mots dont elle se souvenait. Mais comment une époque aussi globalement médiocre que la nôtre, qui se prosterne devant les pousseurs de ballon et les aboyeurs du petit écran, pourrait-elle admettre l’image des authentiques héros, une image qui la  renvoie à sa médiocrité? Contrairement à une légende, à des récupérations aussi ignobles que mensongères, d’Estienne d’Orves n’était pas spécialement monarchiste et n’avait strictement aucun rapport avec l’Action française; il n’était pas plus de droite nationaliste que socialiste ou communiste. C’est sa fille qui me l’a dit. Il était apolitique, sans idéologie, Français, patriote, soldat, et estimait n’avoir fait que son devoir en rejoignant la Résistance gaulliste. Que l’on puisse s’élever, pour des raisons de sectarisme idéologique, d’ailleurs infondées, contre le fait d’honorer un tel personnage n’est pas seulement honteux, mais profondément misérable. Oui, à quel degré de misère morale et intellectuelle en est-on arrivé pour que, 80 ans après le supplice d’Honoré d’Estienne d’Orves, notre pays puisse offrir un tel spectacle?  Ci-dessous un texte absolument remarquable à ce sujet, de M. Robert Redeker, publié par le Figaro Vox.

Maxime TANDONNET

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Quand des Français adorent les idoles et méprisent les héros

Des parents d’élèves et des élus de gauche se sont dressés pour empêcher qu’un lycée, à Carquefou, portât le nom d’une très grande figure de la Résistance,  Honoré d’Estienne d’Orves. En l’occurrence, la tentative de censure – un peu comme Staline effaçant des photos les alliés et compagnons passés de saison – était idéologique: cette gauche reprochait à ce héros ses penchants monarchistes. Ces incultes eussent préféré, selon leur aveu, que cet établissement s’appelât lycée Hubert Reeves, ou bien lycée Michel Serres – noms tout à fait estimables, convenons-en. A Marseille, les élus de gauche viennent de refuser qu’une place devienne Place Arnaud Beltrame, au motif que ce nom risquerait de choquer une partie de la population. Manifestement, la France d’aujourd’hui, surtout celle de gauche, a du mal avec ses héros. Un constat s’impose: cette France se livre sans pudeur aux idoles – des chanteurs, des sportifs, des animateurs télé – et fuit les héros, qui ont donné leur vie pour elle.

Nous vivons le temps des idoles. Des idoles fabriquées dans des usines affectées à cet effet: les industries planétaires du divertissement, dont la télévision, la radio, et internet, fournissent les trois principaux distributeurs. Ce sont des idoles bien peu exigeantes: elles ne dérangent pas notre confort, elles nous endorment, nous ensommeillant dans la consommation passive. La critique pascalienne du divertissement s’applique: ces idoles nous éloignent du cœur de la vie humaine, de l’important, de ce qui différencie l’homme des bêtes. La vie humaine n’est pas la vie domestique, a noté Hannah Arendt. Mais c’est quoi, demandera-t-on, une vie humaine? C’est une vie dont le but n’est pas la survie, mais la liberté. Et la liberté, c’est quoi, continuera-t-on? C’est l’empire sur soi-même, la mise-à-distance de ses envies et désirs, la capacité de renoncement. Être libre, c’est échapper à la domination des désirs.

Le héros est notre juge, son regard nous renvoie à notre inanité, et cela notre époque ne le supporte pas.

Dans ce cas, pourquoi cette méfiance devant les héros, cette mise-à-l’écart, qui se confirme jusque dans les manuels scolaires et les salles de classe? L’école, en effet, contrairement à ce qu’elle faisait jusqu’aux années 80, se refuse à transmettre l’imagerie des figures héroïques de l’histoire de France. Elle veut promouvoir une autre figure de l’être humain, plus compatible avec le consumérisme hédoniste qui tient lieu désormais d’idéal collectif. Depuis l’estrade du professeur de collège, Thuram et Zidane seront préférés à Clovis, à Charles Martel, à Godefroy de Bouillon, à Saint Louis, voire à Jeanne d’Arc. C’est que les héros sont encombrants. Ils sont même exigeants. Leur principal défaut: du haut de leur stature, ils nous jaugent et nous jugent. Pire encore, aux yeux de nos contemporains: leur grandeur demande de la fidélité. Le héros procède exactement de la même façon que la culture: le passé juge le présent. Le héros est notre juge, son regard nous renvoie à notre inanité, et cela notre époque ne le supporte pas. Le héros affirme que le passé est plus grand que le présent.

Les héros sont encombrants parce qu’ils sont vertueux. Ils font passer la vertu avant la jouissance. Les idoles, elles, à la semblance des dieux païens grecs ou romains – ce que Platon leur reprochait – s’adonnent aux vices liés à la soumission aux désirs, désinhibant par ces exemples les dérèglements de la foule. Toutes les idoles sont esclaves, toutes propagent l’exemple de l’esclavage. A l’inverse de ces idoles, les héros ne poursuivent ni la gloire ni l’argent – ils se sacrifient. Ils ne mettent pas, comme ces idoles, en avant le moi, mais l’instance à laquelle ils vouent leur vie jusqu’à la donner, la nation, la patrie, la France. Un héros est en rupture avec l’idéologie dominante du moi-je, de l’hédonisme généralisé, de l’épanouissement personnel. À l’inverse des idoles, les héros se déploient dans la liberté, qui est tout le contraire de la facilité et de la passivité que favorisent les idoles. Bref, les héros forment l’école aujourd’hui interdite, souvent haïe: l’école de la liberté.

À l’inverse des idoles, les héros ne poursuivent ni la gloire ni l’argent. Ils se sacrifient.

Si notre époque produit des pseudo-héros, la place des véritables héros s’est tellement rétrécie que nous ne ferions pas preuve de cécité en y voyant une place vide. Le héros manque. Les pseudo-héros de notre époque, les héros de marché, qu’ils soient joueurs de football ou bien stars du show-business, ajointent leurs actions à l’argent, à la bourse, réclament des revenus toujours plus élevés. Ils placent le criterium de leur valeur à l’extérieur de ce qu’ils font – dans l’argent contre lequel leur talent est échangé. C’est là, chacun le voit, le contraire de la liberté. L’acte héroïque, à l’opposé, vaut par lui-même, il est à lui-même son critérium. Il est inestimable – en dehors de tout prix. Il n’y a pas d’unité de mesure de l’héroïsme – il est franc, il est libre, il est simple, il est impayable. On se fait rétribuer pour marquer un but, on n’est pas payé pour devenir un héros – loin de là, on le paye fréquemment de sa mort.

Robert REDEKER

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Author: Redaction