Pourquoi les primaires ne sont pas une solution (le Figaro 08/07/2021

« Il faut trouver un système qui permette aux électeurs de choisir eux-mêmes le candidat qu’ils souhaitent voir représenter l’ensemble des sensibilités qui constituent un pôle d’un côté et un pôle de l’autre », déclarait Charles Pasqua, l’inspirateur des « primaires » à la française, le 9 janvier 1989. Depuis, l’idée d’introduire un dispositif de départage des candidats à l’élection présidentielle par recours à une consultation populaire ouverte, sur le modèle américain, a fait son chemin.

Il fut fréquemment utilisé depuis 2012, notamment à droite comme à gauche, avec des résultats mitigés : certes, en 2012, il déboucha sur la sélection de M. Hollande comme candidat du parti socialiste et de ses alliés, puis la victoire finale de ce dernier. En revanche, en 2016 et 2017, les deux vainqueurs des primaires, à droite comme à gauche, M. Fillon comme M. Hamon, ne sont même pas parvenus au second tour des présidentielles. Et le vainqueur de 2017 fut le candidat issu d’un gouvernement socialiste mais ayant fait le choix de se soustraire aux primaires de gauche…

Aujourd’hui, la « droite et le centre », les Républicains et leurs alliés, s’interrogent toujours sur le mode de désignation de leur candidat en 2022. A moins d’un an des élections nationales, ils s’orientent vers une formule alambiquée, en plusieurs étapes, prévoyant le recours à un sondage et une consultation des adhérents qui pourrait déboucher sur l’organisation de primaires ouvertes c’est-à-dire, sous certaines conditions, à l’ensemble du corps électoral (une formule réclamée par plusieurs personnalités de droite dans une tribune publiée lundi 5 juillet par Le Figaro).

Pour les uns, dans le contexte politique actuel dominé par l’écrasante suprématie sondagière du tandem le Pen/Macron depuis 2017, la présence de plusieurs candidats de la droite et du centre au premier tour des présidentielles serait évidemment suicidaire, privant la droite de toute chance de figurer au second tour. Il faut donc à tout prix se doter d’un dispositif assurant l’unicité de candidature de la droite et du centre. D’ailleurs, un système de primaire ouverte offre une respiration démocratique : c’est l’électorat lui-même qui désigne son candidat. Enfin, dès lors qu’aucun candidat naturel ne s’impose, une procédure de départage est inévitable, offrant à chacun une chance de se distinguer.

Pour les autres, les primaires ont l’inconvénient de mettre en scène, pendant plusieurs mois le pire de la politique : la guerre des ambitions carriéristes, les conflits de chapelles et les divisions. Elles ravivent ainsi le spectre de « la droite la plus bête du monde ». En outre, elles favorisent le point de vue le plus militant – donc radical – au détriment de l’esprit de rassemblement, clé de voûte d’une victoire à la présidentielle. Des primaires ouvertes se prêtent au soupçon de détournement par la participation d’adversaires déterminés à promouvoir un candidat de droite ayant le moins de chance de l’emporter. Enfin, elles sont contraires à l’esprit de la Ve république qui définit l’élection présidentielle comme « la rencontre entre une personnalité et la Nation ».

En vérité, dans l’histoire politique récente, la sélection du meilleur candidat de droite et du centre s’effectuait  spontanément soit par un basculement de l’électorat (Giscard d’Estaing/Chaban Delmas en 1974, ou Chirac/Balladur en 1995), soit par la sagesse et le sens de l’intérêt général du candidat moins bien placé à un moment donné dans les enquêtes d’opinion (M. de Villepin/Sarkozy) en 2007 acceptant de se retirer. Les sondages, affirment les partisans de la primaire ouverte, se trompent souvent et ne doivent pas dicter le choix d’un candidat. Certes, mais leur éclairage même grossier sur les grandes tendances de l’opinion demeure, de fait, l’un des paramètres décisifs de la politique moderne.

Derrière ce débat sur les primaires se profile la question de la fonction présidentielle et plus encore, du sens de la politique. Sa fin ultime doit-elle être l’élection d’un nouveau Jupiter à la place de Jupiter, écrasant par son omniprésence médiatique les autres sources de pouvoir (Gouvernement et Parlement) dans l’objectif principal de sa propre réélection ? Dès lors, les primaires deviennent en effet inévitables : seul un dispositif de sélection organisée peut permettre de départager des personnalités obnubilées par la seule perspective de s’installer dans le « salon Doré » (prestigieux bureau du chef de l’Etat) et n’ayant aucun autre horizon.

L’autre approche est celle de la sagesse et de la primauté de l’intérêt de la France sur les querelles d’ambition.  Si le bien du pays l’emporte sur les conflits d’ego, il devient naturel de s’engager à soutenir le favori que se donnera l’opinion à droite, comme ce fut toujours le cas dans l’histoire. Cette hypothèse suppose d’en finir avec l’obsession élyséenne. Elle suppose d’accepter l’idée que la France actuelle a davantage besoin d’un travail d’équipe que d’un (nouveau) supposé « sauveur providentiel », mais aussi davantage besoin d’unité et de sens du bien commun que de vanité stérile.

Elle revient à admettre que la France a autant besoin d’un puissant Premier ministre, de ministres et de parlementaires compétents et influents que d’un chef de l’Etat (arbitre et protecteur). Dès lors, la question du débat d’idées et du projet collectif revient au premier plan, avant même le choix d’un candidat (l’expérience montre que le vainqueur des présidentielles n’apparaît que dans les derniers mois). Or, les chantiers ne manquent pas entre la sécurité et l’immigration, l’emploi et le travail dans un pays qui compte 4 à 6 millions de chômeurs, 10 millions de pauvres, la reconquête des libertés et de la démocratie, le redressement scolaire et intellectuel du pays… La clé de la victoire de la droite en 2022 tient à sa capacité à prouver qu’elle privilégie l’intérêt de la France sur les calculs personnels. Dès lors, les primaires ne sont sûrement pas le meilleur des systèmes. Ni même le moins mauvais…

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Author: Redaction