Pourquoi la plage est-elle interdite?

Parmi toutes les interdictions qui se sont abattues sur la France depuis mi-mars 2020, l’une emblématique, est ressentie comme particulièrement choquante : celle de se rendre sur une plage. Elle est à l’origine de multiples protestations et pétitions en provenance notamment des communes littorales. Les Français, dans leur ensemble, admettent vaille que vaille, comme un peuple docile, certaines suspensions de leurs libertés, y compris la plus précieuse de toute, celle d’aller-et-venir dès lors qu’elle peut, dans leur esprit, se justifier par la nécessité d’enrayer l’épidémie et sauver des vies. Ils acceptent le principe de leur assignation à résidence, une mesure privative de la liberté, ils tolèrent de se soumettre à l’obligation de détenir un sauf-conduit et à des contrôles qui dérogent aux fondements d’une démocratie-libérale dès lors que la suspension  de leur liberté est temporaire, circonscrite dans le temps, et qu’elle est compréhensible quant à son lien avec la lutte contre la contagion.

En revanche, l’interdiction de se rendre sur les plages n’a pas de fondement rationnel. Il est permis de se rendre dans des magasins, de prendre les transports en commun bondés, de marcher dans la rue ou dans les espaces publics. Mais pourquoi donc la plage, où justement l’espace est infini – la France compte 5041 km de côtes sablonneuses, comme d’ailleurs les forêts ou les montagnes, est-elle strictement prohibé ?  D’ailleurs, jamais, à l’exception du temps de l’occupation allemande où le littoral représentait un enjeu stratégique, l’accès aux plages n’a ainsi fait l’objet d’une interdiction globale. De fait, le risque de la contagion, dans l’espace infini des rivages maritimes, est inexistant comparé à l’entassement urbain des bus et métro qui lui est autorisé. « Il vaut mieux éviter la tentation » leur dit-on. Cela signifie-t-il que les Français sont considérés comme assez inconscients ou stupides pour aller s’entasser comme au mois d’août sur la Côte d’Azur ? Ou bien que dans un étrange élan de superstition, la population serait vouée à une grande cure de repentance ou de pénitence nationale face au mal invisible qui frappe le pays et ainsi privée de plage comme du plus naturel des bonheurs?

L’explication de l’interdiction des plages est d’une autre nature. La France est de toute évidence entrée dans une logique totalitaire, non pas au sens des régimes sanguinaires du XXe siècle, fascistes ou soviétique, mais au sens de l’obligation de conformisme et de l’impératif du troupeau. D’ailleurs, cette tentation totalitaire ne vient pas uniquement du sommet de la pyramide car elle s’exprime aussi dans le comportement des détenteurs locaux d’une autorité, d’un pouvoir bureaucratique, des petits chefs zélateurs, qui n’hésitent pas à surenchérir avec jubilation sur les ordres venus d’en haut, ou bien dans la tentation de la délation, de dénoncer son voisin dont l’heure réglementaire d’autorisation de sortie est dépassée ou encore dans ces reportages répugnants des télévisions qui pointent les Français soi-disant indisciplinés dans les gares ou les parcs.

Or, la plage, plus que tout autre espace, est un symbole d’évasion. « Homme libre, toujours tu chériras la mer ! » (Beaudelaire). Marcher sur une plage, en compagnie du vent, des embruns et des mouettes, exprime le goût de la liberté. L’horizon marin est aux antipodes des barreaux d’une prison. Un esprit qui vagabonde au-dessus des eaux dans la direction de l’infini n’est soumis à aucun lien, aucune servitude. La solitude d’une plage est le pire pied de nez à l’instinct grégaire et à la chicote des bureaucrates tatillons. C’est pourquoi, l’image d’hommes et de femmes ou d’enfants marchant sur le littoral leur est insupportable, inacceptable. Ils redoutent par-dessus tout que la vision médiatisée de personnes circulant librement au bord de la mer fasse désordre au regard du nouvel ordre social. Cette image symbolique de l’homme seul sur une plage  détonne sur la loi du troupeau qui dans notre nouveau monde est désormais censée régenter chacun de nos faits et gestes.

Maxime TANDONNET

 

 

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Author: Redaction