LR, entretien avec le Figaro Vox

Les Républicains ont dévoilé cette semaine un rapport consacré à l’avenir du parti et rédigé après une longue consultation de militants, d’élus et d’intellectuels. Vous avez-vous-même été interrogé en tant qu’historien. Que pensez-vous de cette démarche ?

Je pense que cette démarche est remarquable et bienfaitrice. La vie politique française connaît, depuis quelques années, un véritable naufrage. Elle se résume à des successions de polémiques stériles, de scandales tonitruants et de lynchages médiatiques. Le débat d’idées a été anéanti. Une idéologie unique fondée sur l’individu-roi s’impose largement sur les consciences. Les débats de société sur l’avenir de l’Europe, l’autorité de l’Etat, la Nation, la démocratie française, l’aide au développement, ont disparu. Cette consultation et ce rapport vont à l’encontre de la tendance générale en montrant que la réflexion collective, préalable à l’action, est au coeur de la politique.

Les Républicains et la droite en générale doivent-ils davantage se consacrer aux idées et moins aux personnes ?

Je le pense profondément. Le culte de la personnalité, sous toutes ses formes, est une caractéristique de l’époque contemporaine. La vie politique et médiatique se focalise sur les personnes, soit pour les idolâtrer, soit pour les lyncher, ou les deux. Il faut voir dans ce phénomène une réaction destinée à combler le vide laissé par le débat démocratique. Il engendre une situation absurde. Dans le monde moderne, infiniment complexe, un homme seul ne maîtrise presque rien. Toute forme de culte de la personnalité repose sur une illusion et une manipulation. L’un des enjeux de l’avenir, pour les Républicains, est de sortir de cet engrenage fatal. Avant de songer à se donner un chef, il est infiniment plus important de mener une réflexion de fond et de se forger une ligne politique. Ne parlons pas encore de programme précis, mais d’un état d’esprit, d’un projet pour la France auquel il faut travailler. Il faudrait en revenir à une conception de la politique comme d’un travail d’équipe, certes autour d’un leader ou d’un coordonnateur, mais fondamentalement, un travail d’équipe.

Après l’élection de Macron, cela a-t-il encore un sens de vouloir refonder la droite. Le clivage droite/gauche est-il mort ?

L’un des piliers de toute démocratie est la coexistence pacifique d’une majorité au pouvoir et d’une opposition prête à prendre la relève, dans un climat de respect, de dialogue et de consensus sur un socle de valeurs communes. A titre personnel, je n’ai jamais aimé la formule gauche/droite qui me semble trop manichéenne et trop connotée, en France depuis toujours, « forces du progrès » contre « forces du passé ». Pourtant, il est vital que face au pouvoir incarné aujourd’hui par LREM, la France dispose d’une opposition puissante, républicaine, protectrice des Français, favorable à la libération des énergies économiques, au progrès social et à la démocratie sous toutes ses formes. L’idée d’une vaste coalition centrale couvrant le centre gauche et le centre droit et absorbant tous les courants modérés, serait, en France suicidaire. Elle aurait pour effet un renforcement considérable de l’extrême gauche comme de l’extrême droite et de plonger, à terme, le pays dans la paralysie politique voire un chaos sans nom.

70 % des adhérents refusent le principe de primaires ouvertes. Qu’en pensez-vous ?  

Ils ont profondément raison. Les primaires ouvertes sont une absurdité. Elles trahissent l’esprit de la Constitution et de la République française. En fractionnant le corps électoral en deux camps, elles nient l’indivisibilité de la République et l’unité du peuple français. Elles favorisent des positions extrémistes et utopistes, à l’image du déroulement de la primaire de gauche en janvier dernier. Elles aggravent le sectarisme de la politique française en figeant la bataille de deux camps idéologiques. Elles ouvrent la voie à toutes sortes de trucages comme la participation des électeurs d’un camp à la primaire de l’autre camp. Elles aggravent dangereusement la personnalisation de la politique, à travers le foisonnement de petits champions et de leur écurie de supporters, au détriment du collectif et du débat d’idées. Toute forme de primaires est à rejeter. L’élection présidentielle est la rencontre d’un homme ou femme et d’un peuple. Elle n’a pas besoin du filtre des primaires.

Selon les adhérents, la droite doit être avant tout «  réformatrice  » (49 %), libérale (36 %) et gaulliste (33 %). Peut-on vraiment en tirer un enseignement d’autant qu’on peut donner un sens très différents à ces mots ?

En effet, ces mots veulent tout dire et ne veulent rien dire. Quelle force politique renoncerait à être réformatrice si elle arrive au pouvoir, libérale, c’est-à-dire respectueuse des libertés, et gaulliste, se reconnaissant dans l’oeuvre du Général? Cette enquête n’apprend rien de nouveau.

Macron est libéral et réformateur et il se revendique même du gaullisme dans son incarnation du pouvoir. L’opposition ne doit-elle pas se distinguer avec une ligne clairement différente ?

Il me semble que l’opposition des Républicains ne peut pas se contenter d’apporter des nuances à la politique telle qu’elle est conçue aujourd’hui et menée par le pouvoir. Il faut aller au-delà. La décomposition de la politique française n’est sans doute pas achevée et réserve encore des surprises. Elle est partie du rejet viscéral, dans l’opinion publique, du mode de fonctionnement de la politique. 88% des Français ont l’impression que les responsables politiques ne tiennent aucun compte de ce que « pensent les gens comme eux » (Cevipof). La fracture démocratique reste toujours aussi profonde aujourd’hui. La vie politique glisse de décennie en décennie, toujours un peu plus dans la posture, la communication, les psychodrames, les annonces stériles, les manipulations. Le rôle fondamental de l’opposition républicaine devrait être de réconcilier la politique avec le monde réel, de restaurer la notion de bien commun, de direction collective du pays dans un climat de modestie, de désintéressement de culte de l’action et des résultats. Il devrait être de dire la vérité sur ce qu’il est possible de faire et ce qui ne l’est pas et d’agir en conséquence.

Les centristes européens et les conservateurs souverainistes peuvent-il continuer à cohabiter dans le même parti. Ne faut-il pas renouer avec le RPR ?

Le clivage est-il si marqué entre deux courants des Républicains? Les adhérents ou les sympathisants, dans leur immense majorité, ne sont ni fédéralistes, au sens de la création d’un Etat européen supplantant les Etats nationaux, ni favorables à la sortie de l’Union européenne. Il doit donc exister un terrain d’entente autour de l’idée d’une Europe moins bureaucratique et plus respectueuse des démocraties nationales. Se déchirer encore davantage serait se condamner à l’opposition éternelle. Il me semble préférable et plus intelligent, pour l’opposition républicaine, de s’engager résolument dans le défi de la réforme en profondeur de l’Europe ce qui est plus difficile que les slogans autour de l’Europe fédérale ou du frexit.

Le mot de « protection » n’apparaît pas. Pourtant confronté à l’insécurité physique, économique et culturelle, beaucoup de Français semblent y aspirer. La droite peut-elle protéger ?

L’Etat a pour vocation première de protéger les citoyens. Sans vouloir jouer les prophètes de malheur, il est vraisemblable que nous allons vers des temps troublés. Le risque de déstabilisation planétaire demeure considérable. Le Moyen-Orient reste une poudrière. La croissance de la population mondiale qui devrait atteindre les 12 milliards à la fin du siècle, soulève des questions aujourd’hui insolubles, en matière de ressources alimentaires et d’environnement, de développement économique et social et de régulation des flux migratoires. Les tensions nationalistes, idéologiques, économiques, communautaires peuvent dégénérer à tout moment dans le monde et provoquer des bains de sang. Le terrorisme islamiste menace nos démocraties. L’une des priorités absolue de l’opposition républicaine doit aller au renforcement de l’autorité et l’efficacité de l’Etat face à ces dangers. C’est bien ce que les citoyens attendent de lui en tout cas.

Peut-elle également s’adresser aux classes populaires qui se sont majoritairement abstenues ou ont voté Le Pen ?

Oui, c’est à ces classes populaires qu’elle doit s’adresser avant tout. La fracture démocratique s’est traduite par une abstention de plus de 50% aux élections législatives. Cet événement, sans aucun précédent historique, a un sens profond: il montre qu’une majorité des Français a cessé de croire en la démocratie. Les images des magazines, de la télévision, les commentaires d’experts à la radio n’ont strictement aucun rapport avec le ressenti de la France populaire, la majorité silencieuse, face à la France supposée « d’en haut ». Il y a une France qui n’arrive pas à se faire soigner, ni à boucler les fins de mois, confrontée au mépris, au chômage, à la crise de l’école et à la violence, à l’enfer de certains transports. La priorité absolue de l’opposition républicaine doit être de tendre la main à cette France qui se sent délaissée, celle des banlieues, du monde rural, des 5 à 6 millions de personnes privées d’emploi, des 8 à 9 millions de pauvres, 3,6 millions de mal logés, avec respect, volontarisme et sans démagogie. Certains dirigeants des Républicains commettent une faute lourde quand ils donnent le sentiment de s’en prendre aux chômeurs à pôle emploi ou aux soi-disant « assistés ».

Comment le faire sans renoncer à l’électorat des grandes villes qui pour l’heure semble déjà avoir choisi Macron ?

A-t-il vraiment choisi? Il me semble que le climat général du pays reste à l’incertitude et à l’attentisme. Cet électorat attend, lui aussi, autre chose de la politique. Il faut bien dire qu’aujourd’hui, aucune alternative ne lui est encore offerte. Il me semble qu’une autre politique pourrait avoir un certain succès, celle qui consisterait à prendre les Français au sérieux, leur tenir un discours adulte, sans effets d’annonce, sans posture, sans démagogie, en les regardant droit dans les yeux, d’égal à égal, en leur rappelant qu’ils sont les seuls maîtres, que la politique est à leur service, et non l’inverse, en leur donnant des gages de sincérité dans le dévouement à la chose publique et de désintéressement personnel. Il me semble que le pays ressent une véritable allergie à certains comportements comme le carriérisme ou l’ambition narcissique. Il attend et attendra de plus en plus de la part des hommes publics qu’ils se consacrent à l’intérêt général et non à leurs satisfactions de vanité.

 

 

 

 

 

 


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Author: Redaction