Lecture: Un château en Allemagne, Sigmaringen 1944-1945, Henry Rousseau, Pluriel réédition 2012 (présentation par Cyril Grataloup)

[Qu’est-ce qui réunissait à Sigmaringen le dernier carré de la collaboration, emmené par les Allemands à la suite de l’évacuation de la France, dans l’antichambre de l’enfer? Une question fondamentale, qui en dit long sur la nature humaine. Certainement pas l’idéologie, l’engagement partisan, ni les origines sociaux-professionnelles. A Sigmaringen se retrouvent des personnalités aussi différentes que les hommes marqués à gauche Déat et Marion, les maurrassiens Bonnard et Darnand, le technocrate Bichelonne, l’avocat/journaliste de Brinon, Laval et Pétain qui furent des personnalités républicaines éminentes de la IIIème République. Ce qui les unis vraiment? Trois choses: l’ambition forcenée de personnages imbus d’eux-mêmes qui se croyaient voués à un destin dans la « grande Europe hitlérienne »; l’aveuglement face à l’histoire de ceux qui se sont trompés jusqu’au bout sur l’issue de la guerre mondiale; et le cynisme de ceux qui n’ont reculé devant aucun crime pour parvenir à leurs fins en particulier la participation aux persécutions hitlériennes et à la traque des résistants » MT]

Les collaborationnistes en fuite se sont donnés rendez-vous dans cette bourgade où loge Philippe Pétain, emmené dans leur retraite par les Allemands. Le maréchal côtoie sans le rencontrer, Pierre  Laval et plusieurs de ses ministres, eux aussi captifs. De nombreux miliciens y trouvent  refuge à l’instar de Joseph Darnand, secrétaire général de la Milice française.

Le 7 septembre 1944, le premier convoi français arrive à Sigmaringen. Emmené de force par les Allemands, Pétain est accompagné de sa femme et de quelques fidèles parmi lesquels le docteur Ménétrel, son médecin personnel, qui filtrait souvent les visites que Pétain avait à Vichy ; Victor Debeney , général, accompagne Pétain, Henri Bléhaut, amiral, lui proteste contre sa présence forcée à Sigmaringen. Lorsque Pétain souhaite sortir du château, sa citroen est escortée par deux voitures de la gestapo. Le plus souvent, il lit et tente de préparer sa défense. Pétain fut esclave d’une idée, celle de l’ordre, il avait la volonté de lutter contre les communistes et les résistants ; il fut esclave de sa propre politique en refusant obstinément de démissionner, puis il avait accepté le diktat de Hitler, en admettant son geôlier Renthe-Fink à sa table (page 106).

Laval ne bénéficie pas des privilèges de Pétain, pas de voiture, défense de quitter la ville, surveillance de la gestapo, déguisée en protection. Il rencontre Boemelburg, ex chef de la gestapo en France, chargé de la police au château. Boemelburg est un homme massif, bardé de cuir, toujours accompagné d’un chien boxer. Laval apprend l’arrestation de sa fille Josée, il se met en colère et dit « les Allemands sont des salauds, ils m’ont forcé à partir, je suis là prisonnier, impuissant… » (p46) . « J’exposerai mon cas en procès… Josée… ils vont la tuer… Pourquoi ? ». Cette arrestation était en fait une fausse nouvelle.

Après le débarquement, Laval à demander aux Français de ne pas prendre part au combat, à l’instar de Pétain. Il a renforcé le pouvoir le la Milice et demandé à Darnand d’intensifier le combat contre les résistants.

En décembre 1944, Laval risque d’être transféré en Silésie, près du front russe (p51). Affolé, il écrit à Ribbentrop, ministre des affaires étrangères. Les Allemands ne pardonnent pas à Laval son refus de participer à un gouvernement en exil, de plus, ils le soupçonnent d’avoir voulu entrer en contact à l’été 1944 avec l’état major américain. Après intervention de Hitler, Ribbentrop répond à Laval que ce dernier ne sera pas transféré en Silésie mais dans un château voisin à Wilflingen. Quelques ministres sont au même étage que Laval.

De nombreux miliciens français sont établis près de  Sigmaringen, ils sont chargés du contrôle de la gare voisine, ils trient les réfugiés qui affluent, vers novembre 1944.

Dans la ville, les gens ont faim et froid. Au même moment, en France, des collaborateurs sont exécutés.

Aussi, d’anciens ministres de Vichy se réfugient à Sigmaringen , tel Jean Bichelonne. Ce technocrate, ingénieur des Mines, ancien ministre de la production, semble souffrir de l’inactivité et s’inquiète pour sa femme restée en France. Etant malade et boîtant en raison d’un accident de voiture en 1943, il décide de se faire opérer dans une clinique, en décembre 1944, il en mourra.  Une rumeur court qu’il eût été assassiné dans la clinique. Il savait beaucoup de choses…

Un ancien ministre de l’Education, Abel Bonnard a fui à Sigmaringen. Il a envoyé de nombreux étudiants au STO (service du travail obligatoire). Il vit dans la ville, en dehors du château. Il sera condamné par contumace, trouvera asile en Espagne, mourra en 1968.

Quant à Paul Marion,  ancien ministre, il sera arrêté en juillet 1945, condamné à 10 ans de prison et mourra en 1954. A Sigmaringen, certains le jugeaient farfelu, boute-en-train.

Fernand de Brinon, également ancien ministre, réfugié à Sigmaringen, sera ensuite jugé par les autorités françaises et fusillé. Il préside la commission gouvernementale au château. Certains étant passifs, lui est actif, tel un prince régnant. De Brinon est un ultra de la collaboration, il avait dénoncé le complot pétainiste à Ribbentrop, c’est-à-dire un pont démocratique entre Pétain et Roosevelt. Accompagné de Joseph Darnand, ancien secrétaire général de la milice, ce dernier sera aussi fusillé. Darnand est à Sigmaringen avec  sa femme et son fils de 17 ans qui est milicien. Darnand avait prêté serment à l’ambassade d’Allemagne à Paris devant un portrait de Hitler. Environ 10 000 miliciens sont passés en Allemagne avec leurs familles.

Jean Luchaire, ami de l’ambassadeur Abetz, est  à Sigmaringen, avec sa femme, ses filles, son gendre, il ne fut jamais ministre sous Vichy malgré l’appui de Laval. Il rédige les compte rendus à la demande de Brinon. Il sera arrêté et fusillé en février 1946.

Marcel Déat et sa femme sont à Sigmaringen. Cet ancien Normalien fut ministre sous Vichy. Sa femme considère que Sigmaringen n’est pas un moyen de fuir mais un simple repli stratégique. Déat fuira ensuite en Italie et mourra en 1955.

Puis vient le cas de Louis Ferdinand Céline alias docteur Destouches qui arrive à Sigmaringen en novembre 1944 (page 88). A son arrivée, avec sa femme Lucette, une troupe de badauds s’amasse devant la gare . C’est un personnage à part dans cette petite colonie française. Brinon le nomme médecin de la colonie. Il est un écrivain antisémite. Il prendra la fuite jusqu’au Danemark puis rentrera en France. 1951 est l’année de l’amnistie…

Le cas de Jacques Doriot est intéressant. Il fut le chef du Parti Populaire Français. Sa voiture sera mitraillée par des avions allemands. A ses obsèques en Allemagne, en février 1945, sont présents les ambassadeurs d’Allemagne Reinebeck, du Japon, d’Italie. Paul Marion et Abel Bonnard sont présents. Laval a refusé de venir. Une foule de personnes est présente.

Joseph Darnand, secrétaire général de la Milice française, prendra la fuite en juin 1945, mais sera arrêté par les soldats anglais, il sera fusillé.

Le château de Sigmaringen fut en réalité un château de cartes. Laval s’est senti trahi par les Allemands, il a fui , fut arrêté en Espagne puis fusillé en France.  Quant à Pétain, à 89 ans, en avril 1945 , il repasse par la Suisse puis se livre aux autorités françaises.

Au printemps 1979, le château est exceptionnellement fermé aux visiteurs, à la suite d’un léger tremblement de terre. Sans doute des fantômes… ?

Cyril Grataloup

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Author: Redaction