Lecture: Les grandes figures de la droite, sous la direction de jean-Christophe Buisson et Guillaume Tabard, Perrin et le Figaro Magazine, 2020 (410 pages, 22 €)

Les grandes figures de droite, de la révolution française à nos jours, est un grand livre, passionnant de bout en bout. Il fait partie de ces ouvrages qui se dévorent d’une traite et qu’on a toutes les peines à lâcher une fois terminés. Il combine l’enchantement de la lecture, le dépaysement d’un voyage dans l’histoire contemporaine et ouvre le champ d’une réflexion approfondie à l’heure où tant de questions surgissent sur l’identité et sur l’avenir de la droite, dans le contexte de la grande déflagration politique qui anéantit nos repères et nos certitudes. Les 21 portraits de responsables politiques et d’intellectuels, présumés de droite dans la conscience politique nationale, mêlent l’histoire de leur parcours et celle du cheminement de leur pensée. Plutôt qu’une approche théorique, ces 21 récits associant le romanesque et la réflexion intellectuelle, sont une invitation à s’interroger sur l’avenir de la politique et de la démocratie française.

La droite et la gauche sont des piliers traditionnels de la conscience politique française. Par un invraisemblable paradoxe, la pensée dominante, l’air du temps les considèrent comme obsolètes, mais une majorité de Français se disent de droite, ou « de droite et du centre ». « Au rebours de la gauche, qui se pense en collectif, [la droite] se définit d’abord par des individualités. La gauche se veut guidée par les idées, la droite est conduite par les hommes » écrivent M. Tabard et M. Buisson. « Les grandes figures », à travers ces 21 savoureux portraits qui miroitent les uns avec les autres, nous ramènent ainsi à l’essentiel: qu’est-ce que les Français sont en droit d’attendre d’un homme ou d’une femme politique se positionnant « à droite »?

Patrice Gueniffey, dans son développement sur Napoléon, rappelle comment sont nés les concepts de droite et de gauche sous la révolution.  « Le 11 septembre 1789. Ce jour-là, l’Assemblée constituante doit trancher : accordera-t-elle au roi le droit de s’opposer aux lois votées par le corps législatif. Les députés favorables à la motion se rangent à droite du président de séance, leurs adversaires à sa gauche ». Selon cet auteur, « on aurait tort d’essentialiser la gauche comme la droite. Ce sont des forces politiques plurielles, mouvantes, sans contenu doctrinal stable, qui se forment, se défont et se reforment au gré des circonstances et d’enjeux changeants ». Napoléon lui-même est l’incarnation de ce flou: à gauche comme continuateur de la révolution, à droite en tant qu’homme d’ordre et d’autorité. Mais par delà le caractère relatif de ces deux concepts – la nation, idée de gauche sous la révolution, est passée à droite au XXe siècle – quelles constantes ressortent de ces portraits, de ce qui caractérise l’homme ou la femme « de droite »?

  • Le conservatisme, c’est-à-dire la méfiance envers le culte du progrès, le refus de la logique de la table rase, ou la volonté d’éradiquer le passé pour engendrer un homme neuf, apuré des oripeaux de la culture, de la tradition ou des croyances. Pour Antoine de Rivarol (1753-1801) , contempteur du jacobinisme, « le génie en politique consiste non à créer, mais à conserver, non à changer mais à fixer ». Joseph de Maistre (1753-1821), le prophète fulminant, développe une vision   mystique et religieuse de l’histoire et voit dans la Terreur, paroxysme de la révolution, « un gouffre immonde ». Chateaubriand dénonce une marche inéluctable à la médiocrité: « Il est à craindre que l’homme ne diminue, que quelques facultés imminentes du génie ne se perdent, que l’imagination, la poésie, les arts ne meurent dans les trous d’une société-ruche où chaque individu ne sera plus qu’une abeille, une roue d’une machine, un atome… Nous sommes débiles parce que nous sommes dans la progression descendante. » Le conservatisme s’incarne aussi chez la duchesse de Berry (1798-1870), belle-fille de Charles X dont le mari a été assassiné et qui consacre sa vie à une hypothétique restauration du trône des Bourbon. Le duc de Broglie (1821-1901), bras droit de Mac Mahon est l’un des rares politiques français à se revendiquer ouvertement du conservatisme, monarchiste libéral avant de se rallier à l’idée d’une république conservatrice.
  • Le goût de l’ordre et de l’autorité: il s’incarne évidemment chez Bonaparte qui déclare au lendemain du 18 Brumaire, « ni bonnet rouge, ni talon rouge, je suis national », mais aussi  chez Thiers (1797-1877), qui a marqué de son empreinte la politique française au XIXe siècle. Tout d’abord proche de Louis-Philippe, orléaniste, il voit dans la République, à partir de 1870, le seul moyen de garantir l’ordre bourgeois et symbolise la répression de la Commune qui fait alors l’unanimité dans les élites républicaines (Ferry et Gambetta inclus) et sur laquelle s’est construite une république « lavée du soupçon insurrectionnel » et du souvenir de la Convention et de la Terreur. Maurice Barrès (1862-1923), figure centrale de la droite du début du XXe siècle, fait la synthèse de la tradition et de l’ordre dans son roman La colline inspirée: « Je suis, dit la prairie, l’esprit de la terre et des ancêtres, la liberté, l’inspiration. Et la Chapelle répond: je suis la règle, l’autorité, le lien, je suis un corps de pensées fixes et la cité ordonnée des âmes. » Ce « logiciel de droite » se retrouve chez le royaliste Charles Maurras (1868-1952), « admiration pour l’ordre, refus de l’affaiblissement de la parole et de la place de la France dans le monde, doublé d’une méfiance pour les structures supranationales », un personnage au destin ravagé du fait de son antisémitisme et de son engagement en faveur du régime de Vichy (dont il qualifia l’avènement de « divine surprise »).
  • La liberté comme valeur fondamentale. Si la gauche a la passion de l’égalité, la liberté est par excellence une valeur revendiquée par la droite, qui ne conçoit pas la liberté sans un ordre protecteur. Benjamin Constant (1767-1830), favorable à la république thermidorienne mais en réaction contre l’empire napoléonien, fustige le despotisme et s’interroge sur les institutions les plus adaptées à la liberté. « C’est un principe universel également vrai dans tous les temps, et dans toutes les circonstances, que nul homme ne peut être lié que par les lois auxquelles il a concouru. » Alexis de Tocqueville (1805-1859)dénonce la course à l’égalitarisme, confondue avec le progrès de la démocratie, et voit dans le nivellement des sociétés une source de tyrannie de la médiocrité: « Pour combattre les maux que l’égalité peut produire, il n’y a qu’un remède efficace: c’est la liberté politique ». Avec son « Enrichissez-vous », François Guizot (1787-1874), bras droit de Louis-Philippe, transpose la liberté sur le plan économique à travers le culte de l’entreprise et de l’initiative. Bien plus tard, cette passion de la liberté se retrouve chez Raymond Aron (1905-1983), l’un des premiers résistants ayant rejoint la France libre dans sa lutte la barbarie nazie, puis intellectuel isolé dans sa dénonciation du communisme et du totalitarisme soviétique. Elle s’exprime aussi chez Valéry Giscard (né en 1926) d’Estaing, promoteur de la « société libérale avancée », et de Simone Veil (1927-2017), qui en fut, auprès de lui le symbole même à travers la libéralisation de l’interruption volontaire de grossesse votée en 1975 .
  • Le sérieux économique et financier: la droite a longtemps prôné une vision de la politique économique axée sur la rigueur et le sérieux, à l’image d’une gestion en bon père de famille, destinée à inspirer la confiance. Raymond Poincaré (1860-1934) en a été un symbole, à travers une image de modération, d’intégrité absolue, de sagesse et de patriotisme sans faille se traduisant en termes  de gouvernement par « une politique d’économies budgétaires – symbole de la suppression notamment d’un certain nombre de sous-préfectures –  qui renforce encore à peu de frais sa réputation de rigueur et d’intransigeance [dès lors] il se sent assez fort pour accomplir une petite révolution monétaire [le franc germinal, datant de la révolution française est remplacé, au prix d’une dévaluation, par le franc Poincaré] ». Antoine Pinay (1891-1994) est une autre  incarnation de cette politique fondée sur la bonne gestion d’un patrimoine commun. Quel prodigieux destin que celui de ce petit entrepreneur, héritier d’une famille de chapeliers de père en fils de Saint-Symphorien-sur-Coise, appelé, à la suit de circonstances invraisemblables, à diriger la France sans avoir fait manifesté la moindre ambition personnelle…  Il a tiré sa réussite de son image: « compétence, honnêteté, dévouement pour la chose publique, bonhomie chaleureuse, bon sens intraitable, culte du dire vrai, intelligence aiguë des réalités, attention bienveillante à autrui ».
  • Une mystique du peupleLa culture de droite revendique un lien particulier de confiance entre le peuple et son chef, par delà les corps intermédiaires et les partis politiques. André Tardieu (1876-1945), dans la tourmente des années 1930, rejette toute solution d’appel à un dictateur pour sauver le pays face à la menace hitlérienne, mais entend s’appuyer sur le peuple pour régénérer la France: d’où son apologie du référendum, à l’époque considéré comme hérétique au regard des valeurs républicaines. Quant au général de Gaulle (1890-1970), fondamentalement « un homme du parti de l’ordre », devenu rebelle par la force des circonstances, il a fondé sa politique sur la volonté de « rassembler le plus largement possible » dans la nation  et d’y puiser, à travers la mise en oeuvre du référendum, une légitimité lui permettant de gouverner malgré les obstacles.

Le malaise de la droite et son affaiblissement s’expriment dans les deux chapitres finaux, consacrés à Jacques Chirac et à Nicolas Sarkozy, les deux derniers présidents de la république de droite. Le premier est l’incarnation « d’une droite qui ne s’aime pas » et qui a honte de soi. Plaçant au premier rang de ses priorités « la fracture sociale » puis la promotion de la société multiculturelle, empruntés à la gauche, il sombre de fait dans l’immobilisme. Nicolas Sarkozy, en réaction, préconise la rupture, veut réhabiliter une « droite décomplexée », parle de l’identité nationale, de l’ordre et de l’autorité, de la valeur travail, mais se heurte au « décalage entre la puissance des mots et les entraves dans l’action, entre l’audace de l’ambition et la modestie des réalisations, entre l’élan de la rupture et l’effet de l’usure, entre la nature infatigable du président et le caractère inexorable des vents contraires […] »

Préface Jean-Christophe Buisson et Guillaume Tabard
Rivarol, Paulin Césari
Constant,  Philippe Raynaud
Maistre, Charles-Eloi  Vial
Chateaubriand, Frédéric Rouvillois
Napoléon,  Patrice Gueniffey
Duchesse de Berry, Eugénie Bastié
Tocqueville, Laetitia Strauch-Bonart
Guizot,  Laurent Theis
Thiers,  Pierre Cornut-Gentille
Broglie, Marie-Hélène Baylac
Barrès,  Bruno de Cessole
Maurras, Jean-Christophe Buisson
Poincaré, Arnaud Teyssier
Tardieu, Maxime Tandonnet
Pinay, Christiane Rimbaud
De Gaulle, Eric Roussel
Aron,  Nicolas Baverez
Simone Veil, Anne Fulda
Giscard, Jean-Louis Bourlanges
Chirac,  Guillaume Tabard

Sarkozy, Guillaume Tabard

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Author: Redaction