Lecture: Laval de Fred Kupferman

9782080811943-fr-300Dans la vie, je ne connais pas de plus grand plaisir que la lecture d’un bon livre d’histoire. Laval, de Fred Kupferman, Flammarion 1987, même s’il date d’une trentaine d’années,  est un petit bijou à découvrir ou redécouvrir. Cet ouvrage sans parti pris ni idéologie, se limite à présenter des faits et les resituer dans leur contexte. Un livre d’histoire n’a pas à donner de leçons de morale mais à fournir au lecteur un récit approchant le plus près possible de la vérité d’une époque, de personnages et de leur parcours. Cette biographie est source de réflexion sur la vie politique et sur le monde contemporain.

Laval est, au départ, un homme politique comme un autre. Issu d’un milieu modeste –  son père est hôtelier à Châteldon dans l’Auvergne – il réussit de brillantes études de droit et se spécialise dans la défense des syndicats et des ouvriers. Député socialiste,  il se fait le chantre du pacifisme pendant la première  mondiale. Après l’échec du cartel des gauches en 1924, maire d’Aubervilliers,  il s’éloigne de la SFIO et participe à plusieurs expériences gouvernementales dites « modérées ». Au milieu des années 1930, il est l’une des personnalités politiques les plus puissantes du pays, plusieurs fois président du conseil, jetant les bases en 1930 de la sécurité sociale, défenseur du franc, des équilibres économiques et de la rigueur. A cette époque, il se montre imperméable à toute tentation antisémite, nationaliste ou raciste. Certes, sa diplomatie le rapproche de deux régimes totalitaires, l’URSS et surtout l’Italie de Mussolini, mais dans la perspective de contenir l’Allemagne hitlérienne. Lui même paraît – avant le déclenchement de la guerre – insoupçonnable de sympathies fascisantes. Homme du peuple, chaleureux, conciliant, il se caractérise par son aversion pour la guerre, le conflit, la violence. Avant tout, il est resté pacifiste.

A compter de la débâcle de juin 1940, il est entraîné dans une dérive qui le pousse toujours plus loin dans la compromission avec l’occupant. Bras droit de Pétain qu’il méprise, de juin à décembre 1940 puis de mai 1942 à la  Libération, il est l’inspirateur de la politique de Collaboration et bascule au fil du temps dans un engrenage criminel qui tout au long du récit, engendre une véritable nausée. Il prend ainsi la responsabilité personnelle en 1942, de livrer aux Allemands des dizaines de milliers de réfugiés, juifs de nationalité étrangère, enfants inclus à sa demande, en pleine conscience de les envoyer à la mort (comme le démontre Fred Kupferman). Il organise, en 1943, par obéissance envers les dirigeants nazis auxquels il veut plaire – croyant ainsi sauvegarder l’avenir de la France –  le transfert en Allemagne des jeunes Français pour participer à l’effort de guerre de Hitler dans le cadre du service du travail obligatoire (STO), que beaucoup fuiront en gagnant les maquis.

Laval n’est pas un idéologue, ni un homme  de conviction, mais un homme de pouvoir. Trois traits, à cette lecture, me semble plus particulièrement le caractériser.

Tout d’abord, il a, ancrée au plus profond de sa conscience, la folie de se croire indispensable. Il est persuadé, jour après jour, que son ambition et le destin de la France se confondent. « Sa femme et sa fille l’ont supplié après l’attentat [dont il a été victime] de renoncer à se mêler des affaires françaises. Cependant […] la certitude d’avoir une mission combattent en lui le bon sens qui lui dit d’attendre à Châteldon la fin de la guerre: « Il faut que j’empêche le pire et dans les circonstances actuelles, moi seul le peut ».

Ensuite, sa forme d’intelligence est avant tout tacticienne. Il n’a pas son pareil pour séduire, mettre en place des réseaux d’amitié, de soutien et de loyauté, dans la presse, le monde des affaires, la classe politique. En revanche, le talent du visionnaire lui fait cruellement défaut. Il ne voit que tout près, le regard vissé à la pointe de ses chaussures, incapable d’élever les yeux vers l’horizon. Ainsi, il est convaincu, envers et contre tout réalisme, presque jusqu’à la fin, de la victoire finale de l’Allemagne en guerre contre l’URSS, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. « Je souhaite la victoire de l’Allemagne, car sans elle, bientôt le communisme s’installera partout en Europe ». Cette phrase-là, ni Pétain, ni Darlan ne l’avait prononcée. Elle  va désormais suivre Laval. Or, les termes du message ont été pesés. Laval lui-même a dit que les Français en ont souffert comme si chaque mot était une goutte d’acide sulfurique. Mais il a d’abord consulté Charles Rochat, et devant la consternation de son conseiller diplomatique, il est monté à l’étage du Maréchal pour montrer au vieil homme le texte de son discours. « Le maréchal me dit: « Vous n’êtes pas militaire, vous n’avez pas le droit de dire « je crois », vous n’en savez rien. A votre place je supprimerais « je crois à la victoire de l’Allemagne ». J’ai retiré « je crois » et j’ai laissé « je souhaite ». L’auvergnat croit sincèrement que le continent européen sera et pour longtemps unifié sous l’égide allemande, que l’Amérique le comprendra et se retirera de la guerre, et que son propre destin est assuré par ce pari d’une victoire qui n’est plus celle de l’ennemi. Il ne peut se douter qu’il marche désormais vers le poteau d’exécution… »  

Enfin, troisième caractéristique chez lui, la faiblesse du sens de l’honneur et de la droiture. Il n’a pas de colonne vertébrale, de résistance intérieure, de principes personnels, comme indéfiniment malléable. L’orgueil de l’ambition écrase chez lui le sentiment de fierté de soi. Le récit de ses entretiens avec Hitler et les chefs nazis, tel Sauckel, est terrifiant. Il tente de finasser mais ne cesse d’être traîné dans la boue. Humilié, traité en larbin, insulté, il finit toujours par s’incliner. Le culte du compromis, de la conciliation et de l’apaisement, au pris de la soumission et du renoncement à la dignité, le conduisent tout droit vers l’enfer.

Un beau livre, vraiment.

Maxime TANDONNET


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Author: Redaction