Lecture: Déflagration, Patrick Stefanini, Robert Laffont, 2017

Le livre Déflagration est un témoignage capital de Patrick Stefanini, pour comprendre l’effroyable débâcle du camp Républicain en 2017, et bien au-delà. Il fait partie de ces rares ouvrages qu’on lit d’une traite, sans pouvoir s’en détacher de toute une nuit, tant ils sont captivants et passionnants, pour la compréhension d’un désastre, mais aussi au titre d’une réflexion plus générale sur la politique française.

L’homme est bien connu dans les milieux de la droite française comme dans ceux de la haute administration. Sa grande silhouette de rouquin, très mince, voûtée, un peu dégingandée, est familière aux bureaux et aux couloirs des cabinets de la France « dite d’en haut ». Il fut pendant plus de vingt ans un homme charnière des gouvernements de la droite et du centre. Qui ne connaît pas ce grand modeste, d’une exceptionnelle courtoisie et amabilité, bourreau de travail, d’une volonté de fer, et d’une honnêteté intellectuelle hors norme, obsédé par l’idée du service public et de l’intérêt général?

Il est un de mes amis, je dirais même ami proche; mais qui, dans ce milieu particulier, à l’interface de la politique et du service de l’Etat, n’est pas un ami proche de Patrick? Son livre est à son image, sans méchanceté pour personne, sans haine, sans rancune. Ce « catholique pratiquant », comme il se présente lui-même, ne cesse de battre sa coulpe: « Je me fais d’ailleurs le reproche de ne pas avoir proposé à François Fillon (etc.) » Bien loin de lui la volonté de régler des comptes et le portrait qu’il trace de de dernier, dans un livre honnête, est, dans l’ensemble, plutôt bienveillant.

Son livre aurait aussi pu s’intituler: « chronique d’une descente aux enfers ». Pour tout dire, on en sort comme d’un film d’horreur, avec au cœur un dégoût infini pour le spectacle hallucinant qu’il nous dévoile dans les coulisses d’une déroute. Au centre de la grande comédie humaine se trouve l’affrontement mortel entre trois personnages qui se méprisent, une bataille de titans, pourvus d’un ego démesuré: Fillon, Juppé, Sarkozy. « Pour Nicolas Sarkozy, Alain Juppé et François Fillon sont des numéros deux […]   Alain Juppé a trop longtemps considéré [Ce dernier] comme  une créature de Philippe Séguin  […]   Pour François Fillon comme Nicolas Sarkozy, Alain Juppé est en politique un fils à Papa ».

Englué dans des sondages médiocres, fin août 2016, François Fillon choisit, contre l’avis de Patrick Stefanini, de s’attaquer violemment à Sarkozy – auquel il doit d’avoir été Premier ministre pendant cinq ans – pour se relancer: « Imagine-t-on le général de Gaulle mis en examen? » Pour l’auteur, « l’objectif de François Fillon est bien de cogner sur Sarkozy ». Dès lors, « Fillon casse la baraque médiatique. » L’auteur du livre utilise une belle formule: « Après son discours du 28 août, à Sablé, François Fillon est content de son effet. Il mise une partie de sa stratégie politique et de communication sur sa réputation  d’honnêteté. Il a joué la présidentielle à la manière de la roulette russe et il vient de mettre une balle dans le barillet… »

Ce triste spectacle, est émaillé de scènes de haine, de trahisons, de retournements de veste, complots, dissimulations. Ainsi, Patrick Stefanini, au fil de ses pérégrinations, découvre l’existence parmi les principaux protagonistes de la campagne, d’une « bande du Bellota », nom d’un restaurant où se réunissent régulièrement les ex-partisans de plusieurs candidats à la primaire: « Gilles Boyer, Benoit Apparu et Edouard Philippe pour Alain Juppé, Thierry Solère, Franck Riester, et Sébastien Lecornu pour Bruno Lemaire, et Gérard Darmanin pour Nicolas Sarkozy ». Stefanini ne le dit pas explicitement mais une évidence s’impose:  en plein cœur du FillonGate, la « bande du Bellota » anticipe déjà sur la défaite de son camp et prépare sa reconversion…

L’ouvrage consacre aussi de longs développement à la haine instinctive, viscérale, que se vouent Juppé et Baroin, fondée sur des rancœurs qui remontent à Mathusalem, des broutilles d’amour-propre, qui vont contribuer à bloquer le changement de candidat quand il s’imposait. « Il a osé me dénier la qualité d’héritier de Jacques Chirac! » s’indigne ainsi Juppé. Mais l’auteur ne cache pas qu’à aucun moment, même dans la certitude de la défaite, François Fillon n’a semble-t-il jamais vraiment envisagé de se retirer pour sauver son camp.

Un constat s’impose: c’est le nihilisme absolu dans lequel s’ébattent les acteurs animés avant tout par l’ ivresse d’eux-mêmes et la soif de revanche envers leur adversaire. Autour de Patrick Stefanini s’effectue bien un certain travail de réflexion, mené par des responsables économiques et axé sur un projet d’inspiration libéral dont la suppression des 35 heures est la mesure emblématique. Mais pour le reste, le néant est total, radical, vertigineux. La France ne compte pas, n’existe pas. Patrick Stefanini, animateur de la campagne de Fillon, s’indigne lui-même de ce que l’un des membres de son entourage « commet une erreur en soulignant son attachement excessif aux notions de nation et de frontière ». Une campagne politique nationale n’a-t-elle pas pour objectif suprême le bien de la nation? Dans le tableau qu’il fait, ce n’est pas le cas. La politique se présente comme un combat au service d’un mentor, d’une idole, d’un champion que l’on s’est donné. Le mot « France » n’apparaît quasiment jamais. L’auteur, au fil de ces pages, comme une sorte de porte parole du drame qui se noue ,ne donne pas l’impression de s’angoisser pour l’avenir de la France mais, comme il le répète à plusieurs reprises, pour « sa famille politique » (quelle belle famille!)  pour la « droite française ». Le reste ne compte pas, ou si peu…

Oui, nihilisme total, le grand théâtre tragi-comique qu’il nous décrit avec talent semble dériver loin du monde, loin des réalités, comme sur une scène irréelle. A aucun moment des 400 pages denses n’apparaît même le drame de la « crise des migrants » qui en train de détruire l’Europe. Le mot « chômage », ce mal radical qui ravage la société française n’est pas prononcé une seule fois (sauf erreur). Il est question des massacres commis sur le sol national par le terrorisme islamiste. Pourtant, le spectacle décrit par l’auteur de l’ouvrage semble à mille lieues d’une prise de conscience de l’ampleur de l’effroyable traumatisme subi par la France.

Ce spectacle semble être celui d’un petit monde refermé sur lui-même sa vanité maladive, ses calculs, la folie de ses ambitions narcissiques, totalement inconscient et indifférent au reste du monde, la France, le peuple, la nation, n’y apparaissent pas, à aucun moment. Le travail de la campagne se focalise sur les sondages où l’on teste les formule, les slogans, les propositions, les mots chocs. La campagne, une vaste opération de marketing pour vendre un produits à des crétins manipulés – que nous sommes, nous les électeurs…

Ce témoignage exceptionnel soulève implicitement des questions gravissimes, dont les protagonistes du drame n’ont absolument pas la moindre conscience. Il pose en premier lieu la question dramatique du présidentialisme français, et son monstrueux naufrage dans le despotisme de l’impuissance et de la vanité. Dans un climat d’aveuglement total, la notion de res publica, d’intérêt général, de bien public est désormais noyée dans un grand fleuve de narcissisme égotique qui peu à peu, entraîne le pays à l’abîme. Et d’ailleurs, cet épouvantable fiasco de la « droite » en 2017 a débouché sur une situation de culte de la personnalité qui est la quintessence d’une dérive mortelle pour le pays. Les acteurs du drame n’en finissent pas de se réfugier derrière « de Gaulle » pour justifier cette phénoménale plongée du pays dans la démence mégalomane. Mensonge suprême: jamais le Général n’aurait reconnu le régime qu’il a fondé dans cette apothéose de la médiocrité narcissique et impuissante à laquelle nous sommes condamnés. La démocratie française est à refonder de A à Z, autour d’une décentralisation communale, du recours à la démocratie directe, d’un gouvernement collectif et modeste, tourné vers l’intérêt général du pays, son avenir, et non la starification d’un homme ou une femme, et le bannissement de toute forme de culte de la personnalité. La France a besoin d’hommes d’Etat, me suis-je dis en posant le livre par terre, après cinq heures d’une lecture passionnée, et non de pitres méchants, calculateurs et vaniteux.

Maxime TANDONNET

 

 

 

 


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Author: Redaction