Lecture: Charlemagne, Georges Minois, Perrin 2010.

Voici un merveilleux livre d’histoire, qui vous entraîne dans un total dépaysement et la sensation délicieuse de la découverte. Georges Minois est un auteur que j’affectionne particulièrement: il porte à la perfection cette combinaison de la transmission d’un savoir et de  l’art du récit qui  fait notre bonheur.

Ici, nous n’aurons pas l’ambition de résumer un ouvrage de 700 pages mais de revenir sur un moment clé de l’histoire de l’Europe et de l’Occident.

Charlemagne (742-814) n’est pas un empereur « français » , mais le fondateur de l’empire carolingien, héritier d’une dynastie des francs d’Austrasie, les Pépinnides, dont le berceau est le nord-Ouest de l’Europe continentale, un territoire couvrant le Nord-Est de la France actuelle, le Nord-Ouest de l’Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas actuels. D’ailleurs, Charlemagne et son entourage parlent un dialecte germanique.

A l’origine, la puissance du Royaume puis de l’Empire franc tient à son alliance avec la papauté, les papes Hadrien et Léon III. Ces dernier ne cessent de faire appel aux Carolingiens pour combattre à la fois l’empire Byzantin – la terrible Irène –  et le royaume Lombard, qui lui disputent ses possessions italiennes. Charlemagne, à la suite de son père Pépin le Bref, protecteur de la papauté, de conquête en conquête, fonde un gigantesque empire qui inclut le sud-Ouest de la France, le royaume d’Aquitaine, confié à son fils Louis, l’Italie, qui revient à son fils Pépin, un espace correspondant à l’Allemagne et à l’Europe centrale, conquis sur les Saxons, les Bavarois, les Avars (les Huns ou Hongrois) pour la quête de l’Or du Ring, un gigantesque trésor accumulé par les pillages au fil des siècles.

Charlemagne, couronné empereur par le pape Léon III à Rome en 800 – dans des conditions chaotiques –  règne en s’appuyant sur ses comtes, délégués permanents qui administrent son empire et rendent justice en son nom et sur les missi, envoyés ponctuels qui s’assurent que sa volonté est respectée. Il réunit chaque année, dans ses palais itinérants, Herstal, Attigny (avant l’installation définitive à Aix-la-Chapelle), les grands de son royaume, puis de son Empire qui valident les capitulaires, lois applicables à l’Empire. Le socle de cet empire hétéroclite d’environ 20 millions d’habitants, est le christianisme. Le sens du règne de Charlemagne est avant tout l’affirmation et l’unité de la « cité de Dieu » prônée par Saint Augustin. Lui même se conçoit avant tout comme chef religieux (un flou artistique règne sur le partage des rôles entre l’empereur et le pape): une grande partie des normes édictées par ses capitulaires ont trait à la liturgie et l’organisation de la vie monastique et paroissiale.

L’essentiel de son énergie est consacré à la guerre permanente contre les Saxons, installés sur un territoire correspondant à l’Allemagne du Nord que Charlemagne considère comme faisant partie de l’espace naturel de la chrétienté. La conquête fut d’une violence inouïe: villages rasés et incendiés, populations exterminées ou réduites en esclavage, déportations massives. « Les chefs saxons sont divisés; ils accusent Widuking [leur chef], qui est déjà reparti au Danemark, et saisis de peur, ils se dénoncent entre eux: 4500 sont arrêtés et, sur ordre de Charlemagne, décapités sur place le jour même. » Les saxons n’auront finalement pas d’autre choix qu’entre la christianisation ou l’anéantissement. L’Europe occidentale fut façonnée dans le sang et la violence comme probablement toutes les grandes civilisations. Ce n’est pas faire repentance que de rappeler simplement la vérité historique.

Par l’intermédiaire de son fils Louis, roi d’Aquitaine, et au-delà de l’épisode célèbre de Roncevaux, Charlemagne est engagé dans un autre conflit avec l’Emir de Cordou, maître de l’Espagne musulmane, qui débouchera sur la prise de Barcelone en 801. Pour autant, voir dans l’empire Carolingien uniquement un rempart contre les conquêtes de l’Islam est, pour Georges Minois, une vue de l’esprit. De fait, l’Islam est alors déchiré entre les dynasties Omeyyade (l’Emir de Cordoue) et Abbasside, régnant à Bagdad, qui contrôle le reste des territoires musulmans. Sans parler d’une alliance formelle, il existe une forte connivence entre l’empire carolingien et le califat abbasside (échanges d’ambassades et de cadeaux, dont un éléphant), dirigée d’une part contre l’Emir de Cordoue, et d’autre part contre l’empire Byzantin qui dispute à l’empire carolingien l’héritage emblématique du saint empire romain – et certains territoires italiens.

Comment, avec des moyens dérisoires – il faut un mois pour se rendre d’Aix-la-Chapelle à Rome – contrôler un aussi immense empire? Charlemagne est bien conscient de cette faiblesse et son humeur s’en ressent, comme le raconte Georges Minois qui mêle, avec un talent hors pair, la grande et la petite histoire: « On sent fort bien à travers ces capitulaires de Nimègue, l’impatience de Charlemagne, qui veut tout contrôler dans les moindres détails et qui est excédé par la lenteur des réalisations. Le temps va lui manquer, il le sait, cela l’irrite, il devient de plus en plus exigeant et autoritaire. Son grand idéal d’empire chrétien, de cité de Dieu sur terre, se heurte aux pesanteurs sociales. Il s’en prend à ses auxiliaires, aux exécutants […] « C’est notre volonté et notre commandement que nos comtes ne négligent pas leurs cours ou ne les écourtent pas pour aller chasser ou pour se livrer à d’autres plaisirs […] Je vous avais donné cet ordre, de ma propre bouche, et vous n’avez rien compris! » écrit-il à un missus qui lui pose des questions ».

L’empire de Charlemagne, reposant uniquement sur la main de fer d’un homme et de la crainte qu’il inspire, ne survivra pas longtemps à sa mort en 814. Il se morcelle en royaumes et principautés qui donneront place aux Etats-nations. Son héritage spirituel – la constitution de l’Europe chrétienne ou de l’occident – est lui titanesque.

Maxime TANDONNET

 

 

 

 

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Author: Redaction