Lecture: Barbarossa, la guerre absolue, 1941, Jean Lopez et Lasha Otkhtmezuri, éditions passés composés, 2019

Barbarossa, la guerre absolue est un épais volume de près de 1000 pages d’une rare densité. Il porte essentiellement sur la période qui s’étend du 21 juin 1941, début de l’offensive hitlérienne, à l’échec devant Moscou en décembre/janvier. Le livre extrêmement bien documenté, est riche d’informations sur les rapports de forces, le nombre des victimes, le déroulement des batailles, assorti de nombreuses cartes permettant de suivre leur déroulement avec, en toile de fond, le duel de deux dictateurs sanguinaires qui rivalisent en cynisme et de cruauté.

Au départ, il y a la phénoménale perfidie d’Adolf Hitler: l’anéantissement de l’URSS est un objectif fondamental chez lui, en germe dans Mein Kampf, planifié dès l’été 1940, de nature à la fois idéologique – la destruction d’un régime qu’il qualifie de « judéo-bolchevique » – et territorial, à travers le dessein de germaniser l’ensemble de l’Europe orientale, dont l’Ukraine et la Russie, qu’il voue à la colonisation allemande et à l’esclavagisme. Ce rêve apocalyptique, produit des délires d’un cerveau malade, est au centre de l’idéologie nazie.

Ainsi, le pacte Staline-Hitler de non agression du 25 août 1939, suivi d’un substantiel développement de la coopération économique entre le Reich et l’Union soviétique (matières premières soviétiques contre produits finis allemands), n’était qu’un leurre hypocrite. Quand Hitler lance l’opération Barbarossa, le 21 juin 1941, plusieurs millions d’hommes et des dizaines de milliers de chars partant dans la nuit à la conquête de l’URSS, le Tsar rouge s’enfonce dans le déni le plus total. Il refuse de croire ses généraux qui lui affirment que la bataille est en cours  et continue de donner l’ordre impérieux d’éviter toute provocation envers les Allemands. Après quelques jours, quand il prend conscience de la gravité de la situation, le front est défoncé et les blindés de Halder (chef d’Etat major) Leeb, Von Bock, Guderian, von Rundstedt, Manschein, deferlent sur les Etats baltes, la Biélorussie, l’Ukraine… Le lecteur est sidéré par l’aveuglement, on ose dire, la bêtise de Staline l’autocrate absolu qui se venge de sa propre faute en faisant fusiller les officiers coupables de reculades.

Les ordres donnés par le Führer à la Wehrmacht sont guidés par le but d’extermination des Juifs et responsables ou commissaires soviétiques qui dans son cerveau dément ne font qu’une seule et même réalité. Les Einsatzgruppen, commandos formés de SS et de soldats spécialisés, ont pour mission de massacrer les populations civiles après le passage des armées. La terreur barbare qui sévit est indescriptible. Dans les villes conquises, comme Minsk et Kiev, le premier acte et de rassembler les Juifs, par dizaines ou centaines de milliers, hommes, femmes et enfants de tous âges (y compris les nourrissons dans les bras de leur mère), de les conduire dans les fosses à chars et de les exterminer à la mitrailleuse.

Mais on commettrait une immense erreur d’opérer une distinction radicale entre les SS et les généraux de l’armée régulière, les officiers et les soldats. Tous ont été complices, volontaires, actifs ou passifs, dans cet opération hitlérienne d’anéantissement. Les prisonniers de guerre soviétiques, 2 à 3 millions, sont soient massacrés soit exterminés par la faim et le typhus. Car le but est bien de destruction d’une population auquel l’armée régulière allemande a totalement adhéré: alors que Léningrad est à portée des panzer germaniques, ordre est donné de ne pas entrer dans la ville, mais de l’assiéger pour affamer et anéantir ses habitants jusqu’au dernier. Les généraux et leurs subordonnés s’y sont prêtés sans état d’âme.

Ce tableau étouffant, d’une armée de bourreaux sanguinaires et de tortionnaires sadiques (exemple de cet officier lambda qui rattrape une petite fille handicapée pour la liquider d’une balle dans la tête), comporte parfois, rarement, un souffle d’humanité à l’image de ce soldat allemand qui écrit à sa femme: « Abandonnés à un fou, nous devrons rester encore des années dans ce pays pouilleux. J’en ai plus qu’assez. Tout espoir en une fin prochaine est trompeur tant qu’un morceau de cette terre est livré à la volonté criminelle et à l’ambition maladive d’un dingue [Hitler]. Je suis plein de haine sans fond. On nous a abandonnés ici à un destin inhumain. » 

Un dingue, mais aussi un crétin vaniteux, qui se targuait de visions prophétiques mais s’est trompé du tout au tout: l’armée russe devait s’effondrer en quelques semaines et l’Etat bolchevique se désintégrer dès les premiers coups de boutoirs. Mais c’est le contraire qui s’est produit, l’attaque bestiale de la Wehrmacht provoque un sursaut nationaliste russe et une mobilisation du gigantesque potentiel démographique de ce pays. La résistance, orchestrée par le maréchal Joukov et le « général hiver » (- 25 à -30°, même si les auteurs tendent à minimiser ce facteur) parvient à repousser les divisions allemandes, exsangues, devant Moscou en novembre-décembre 1941 puis à les faire reculer de 100 km. Dès lors, l’échec de Barbarossa devient quasi certain et aussi de l’un des crimes les plus abominables de l’histoire de l’humanité, l’assassinat prémédité de 5 millions de civils dans des conditions d’une horreur indescriptible et dans un but délibéré d’anéantissement, parce qu’ils étaient Juifs ou parce qu’ils étaient Slaves.

Il faut lire ce livre pour avoir conscience de ce que des êtres humains – pas seulement des SS, mais des officiers et soldats représentatifs d’une population – sont capables d’infliger à leurs semblables, le plus banalement et naturellement du monde.

Maxime TANDONNET

 

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Author: Redaction